
Des élèves à l’examen du baccalauréat libanais dans un lycée de Beyrouth, le 10 juillet 2023. Photo Houssam Chbaro
Dans la foulée de la loi sur les baux commerciaux, deux lois qui ont pour objectif de soutenir la caisse de retraites des enseignants du privé, adoptées par le Parlement en décembre 2023 et gelées par l’ancien Premier ministre Nagib Mikati, ont été publiées jeudi 3 avril 2025 au Journal officiel, à la demande du Premier ministre Nawaf Salam. La première loi permet « l’alimentation par l’Etat de la caisse de retraite des enseignants du privé à hauteur de 650 milliards de LL ». La seconde permet « l’amendement de la loi organisant le corps professoral et le budget scolaire des écoles privées » qui remonte à 1956 (le code du travail ne s’appliquant pas aux enseignants). Et ce sachant que les caisses de retraite ont été plombées par l’effondrement de la livre libanaise en 2019*.
Dans les détails, la première loi a pour objectif de permettre à l’Etat de renflouer pour un an les caisses de retraites vides, à hauteur de 650 milliards de LL, le temps que la deuxième loi se mette en place et que la caisse des retraites s’auto-alimente. Pour ce faire, la seconde loi impose aux établissements éducatifs privés non seulement une hausse du pourcentage des cotisations à la caisse, mais aussi le versement de ces contributions en dollars. Pour chaque enseignant, les montants à verser par l’établissement représentent désormais 8 % du salaire, aides en dollars comprises, alors que la contribution des instances éducatives à la caisse était de 6 % jusque-là, sur base du salaire en livres libanaises. Autre disposition de cette loi, les établissements scolaires sont tenus de présenter un quitus prouvant qu’elles se sont bien acquittées de leur contribution à la caisse de retraite des enseignants. Quant à la part des enseignants, elle restera en livres libanaises, mais passera de 6 à 8 % de leur salaire.
5 000 enseignants retraités
Réagissant à la publication des deux lois au JO, le député Edgar Traboulsi, rapporteur de la Commission parlementaire de l’Education, a félicité les retraités de l’école privée et leur syndicat. « Mes félicitations aux enseignants du privé après des années d'injustice et 15 mois de lutte, pour la publication de ces lois votées par le Parlement et publiées par le gouvernement, mais injustement combattues par ceux qui sont supposés éduquer les générations à l'obéissance aux lois, à la vérité, à la justice et aux valeurs », a-t-il publié sur son compte X. Le député n’a pas manqué de remercier le Premier ministre Nawaf Salam qui, réagissant aux recommandations du Conseil d’État, du Parlement et du syndicat des enseignants, a permis la publication au JO de ces deux lois.
C’est à l’initiative du président du syndicat des enseignants du privé Nehmé Mahfoud que ces lois avaient vu le jour. Durant l’année 2023, le syndicaliste avait fait la tournée des responsables pour régler le problème des 5 000 enseignants retraités du privé dont les salaires mensuels oscillaient depuis l’effondrement de la monnaie nationale entre 1 million et demi et 3 millions de LL (soit entre 16,75 et 33,51 dollars). Si l’État avait revalorisé les salaires mensuels des retraités de la fonction publique, ceux du privé n’avaient pas bougé. Après avoir en vain tenté de convaincre les écoles privées de la nécessité de trouver une solution, Nehmé Mahfoud avait alors frappé à la porte du président du Parlement Nabih Berry. Le résultat a été immédiat. Le député du mouvement Amal (parti du président Berry), Ali Hassan Khalil, a aussitôt élaboré une loi conforme aux revendications du syndicat. Le 15 décembre 2023, pendant la séance plénière qui a permis de proroger (pour la première fois) le mandat du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, la proposition de loi a été adoptée par tous les blocs politiques.
La polémique reprend de plus belle
Malgré sa publication au JO, la loi continue de faire polémique. Dans un communiqué publié le 28 mars dernier, la fédération des établissements privés au Liban présidée par le secrétaire général des Ecoles catholiques, le père Youssef Nasr, a demandé « la suspension de la loi » le temps que des réunions entre les différentes parties concernées aboutissent à une « formule viable ».
La fédération s’est dit « étonnée de la publication de la loi alors que les parties prenantes s’étaient accordées à dire qu’elle devait être amendée pour être applicable ». La loi publiée le 15/12/2023 « est difficile à mettre en oeuvre dans sa forme actuelle », note le communiqué, évoquant « l’absence de justice dans la répartition des charges et d’un mécanisme clair ».
« Comment pouvons-nous appliquer cette loi alors que nous sommes dans le dernier tiers de l’année académique 2024-2025, que les budgets des écoles ont été approuvés et que toute modification de ceux-ci imposera des charges supplémentaires aux écoles, aux parents, et aux enseignants contractuels qui n'ont pas le droit de bénéficier du fonds de compensation ? », s’est demandé la fédération qui « s’engage par ailleurs à respecter le décret émis par le Conseil des ministres le 28/11/2024 stipulant que les contributions versées par les écoles privées à la Caisse des retraites pour le personnel enseignant des écoles privées sera multipliée par dix-sept ».
La réponse du syndicat des enseignants du privé n’a pas tardé. « Nous ne reculerons pas pour obtenir nos droits . Les enseignants ont travaillé pendant des années dans des conditions financières difficiles sans indemnités de fin de service », a-t-il martelé dans un communiqué, dénonçant « la réaction négative » des écoles privées et « leur refus d’alimenter le fonds de compensation des enseignants retraités, alors qu’elles perçoivent les écolages en dollars ».
« Nombre d’écoles privées ont même effectué des prélèvements sur les salaires des enseignants sans pour autant les verser au fonds de compensation, ce qui constitue une violation des droits des enseignants », a de plus dénoncé le syndicat.
Rappelant « l’effet rétroactif de la loi depuis la date de sa publication », le syndicat a précisé que le texte attend une décision officielle du vice-président du Parlement, le député Elias Bou Saab, en présence de la ministre de l’Education et de l’Enseignement supérieur, Rima Karamé.
*Un dollar s’échange aujourd’hui sur le marché parallèle à 89 500 LL contre 1 500 LL avant la crise de 2019