Critiques littéraires Coup de cœur

Beyrouth soufflée, Beyrouth recomposée


Le recueil Nouveau départ réunit les nouvelles primées de la 20e édition du « Prix littéraire international George Sand », dédié à la valorisation des talents littéraires féminins à travers le monde. Créé en 2004 pour célébrer le bicentenaire de la naissance de George Sand, ce concours met à l’honneur la langue française comme outil d’expression et d’émancipation, tout en perpétuant l’engagement de l’écrivaine en faveur de l’égalité des droits.

Parmi les nouvelles sélectionnées figure Du verre soufflé au verre soufflé de l’auteure libanaise Sana Khatcherian, distinguée dans la catégorie « Rayonnement de la langue française dans le monde ». Avec une écriture d’une puissance évocatrice rare, ce récit transpose la catastrophe du 4 août 2020 en une fable poétique sur la destruction et la renaissance.

Beaucoup ont raconté l’explosion du port de Beyrouth, chacun à sa manière. Mais, cette nouvelle surprend par son approche symbolique : le drame y est raconté à travers le regard… d’un carreau de verre ! Personnage à part entière, il incarne à la fois la mémoire de la ville et sa fragilité.

Avant la catastrophe, le verre est un témoin silencieux d’une maison centenaire et de la vie qui l’anime. La personnification lui confère une âme, un passé et des aspirations : « Je serais mieux ailleurs. J’aimerais bien être un vase ou une gargoulette ou un petit verre d’arak. (…) Il rêvait, geignait, soupirait et se repassait le film de sa vie lorsqu’il était grain de sable sur la plage de Jnah. » Il ne sait pas encore que son destin est inscrit dans la tragédie, qu’il connaîtra la violence du souffle et l’abîme du néant avant d’accéder à la métamorphose.

Lorsque l’explosion survient, il est pulvérisé, en une fraction de seconde, comme tant d’autres fragments de la ville. Le récit bascule alors dans un chaos cauchemardesque, une apocalypse visuelle et sonore : « Des hurlements emplissent la planète. Des cris et des crissements. Une pluie de sang. (…) Le ciel est noir. L’air est rouge. On les piétine. Des sirènes et des klaxons et des appels au secours s’entrecroisent. À la détresse fait écho la douleur, à la désolation le désespoir, à l’horreur l’épouvante, à la terreur l’obscénité, à l’effroi l’abomination. »

Pourtant, au-delà de l’image de Beyrouth violée et crucifiée, surgit l’espoir d’une transfiguration, car la force du texte réside dans sa capacité à réinventer le désastre. Le verre brisé ne disparaît pas : il est recueilli, lavé, fondu et soufflé à nouveau. Il renaît sous la forme d’une gargoulette éclatante emplie d’arak, et devient le symbole d’un deuil transcendé, d’une ville qui, malgré l’horreur, refuse de sombrer.

À travers ce récit lyrique, Sana Khatcherian ne raconte pas seulement Beyrouth, mais quelque chose d’universel sur la condition humaine. Elle affirme que même dans l’instant où tout bascule et que la douleur semble insurmontable, il existe une possibilité d’après, et nous invite à découvrir en nous, selon la belle formule d’Albert Camus, « au milieu de l’hiver (…) un invincible été ».

Nouveau départ. Concours de la Nouvelle George Sand 20e édition, sous la direction de Fabrice Bonardi, L’Harmattan, 2024, 142 p.


Le recueil Nouveau départ réunit les nouvelles primées de la 20e édition du « Prix littéraire international George Sand », dédié à la valorisation des talents littéraires féminins à travers le monde. Créé en 2004 pour célébrer le bicentenaire de la naissance de George Sand, ce concours met à l’honneur la langue française comme outil d’expression et d’émancipation, tout en perpétuant l’engagement de l’écrivaine en faveur de l’égalité des droits.Parmi les nouvelles sélectionnées figure Du verre soufflé au verre soufflé de l’auteure libanaise Sana Khatcherian, distinguée dans la catégorie « Rayonnement de la langue française dans le monde ». Avec une écriture d’une puissance évocatrice rare, ce récit transpose la catastrophe du 4 août 2020 en une fable poétique sur la destruction...
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