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BDL : le jeu dangereux de Joseph Aoun


Nous avons eu la chance de rencontrer Joseph Aoun avant qu’il ne soit élu président de la République. Il était tel qu’on nous l’avait décrit : affable, intelligent, modéré, politique et – chose particulièrement rare dans notre pays – maîtrisant parfaitement ses dossiers. Dans cet océan de médiocrité qu’était devenu l’État libanais, il semblait être l’un des seuls responsables à la hauteur de sa fonction et du moment. C’est dire si nous avons accueilli son élection en janvier dernier avec enthousiasme. Si des doutes subsistaient quant à son projet politique, son discours de prestation de serment – certes avare de détails – traçait les lignes d’une « nouvelle ère » qui promettait de rompre avec toutes les pratiques qui ont conduit le Liban à sa perte.

Dans un contexte particulièrement délicat, marqué par une forme de tutelle israélo-américaine sur le Liban, par l’épineuse question du désarmement du Hezbollah et par la nécessité de réinventer nos relations avec la Syrie après des décennies d’hostilités, les premiers pas de Joseph Aoun pour tenter d’édifier enfin un État digne de ce nom ont été assez convaincants.

Il semblait même y avoir entre lui et son Premier ministre, Nawaf Salam, une sorte de complémentarité naturelle et de volonté commune, malgré leurs différences de parcours et de style, de réformer le pays en profondeur tout en tenant compte de ses fragiles équilibres.

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Puis le doute s’est installé. Les fissures sont apparues. Et les interrogations ont afflué. Et si Joseph Aoun était beaucoup moins réformateur qu’on pouvait l’espérer ? Et si le président était finalement plutôt à l’aise avec les pratiques de cet « ancien monde » que son mandat devait pourtant enterrer ?

Il serait présomptueux d’apporter des réponses définitives à toutes ces questions. L’ancien chef de l’armée n’est à Baabda que depuis quelques mois et doit composer avec une Assemblée largement dominée par les partis traditionnels et dans laquelle il ne dispose pas de son propre bloc parlementaire. Mais si elles se posent aujourd’hui, c’est en raison de la façon dont Joseph Aoun a géré le dossier de la nomination du futur gouverneur de la banque centrale.

Pourquoi le président s’est-il en effet accroché, comme une arapède à son rocher, à la candidature de Karim Souhaid, et a écarté dans le même temps tous les autres candidats ? En quoi ce gestionnaire de fortune dispose-t-il d’atouts si singuliers qu’ils en font le seul et unique candidat à la hauteur de l’enjeu aux yeux du président ?

Nous ne connaissons pas Karim Souhaid. Son frère, l’ancien député Farès Souhaid, figure du 14 Mars, est un homme fin et cultivé comme le Liban n’en fait plus assez. Mais il n’empêche : le candidat du président est perçu par de nombreux réformateurs comme étant celui du lobby bancaire, à la tête duquel se trouve le patron de la SGBL Antoun Sehnaoui. Peut-être s’agit-il d’un faux procès. Mais rien ne permet pour l’instant de le penser : ni les déclarations passées du favori, ni la forme qu’a parfois prise le soutien affiché des médias proches de ce lobby ou de plusieurs partis traditionnels. Il ne s’agit pas ici de mettre en doute les compétences de Karim Souhaid ou le choix du président. Mais plutôt de comprendre pourquoi, malgré l’opposition du Premier ministre et de plusieurs de ses ministres, Joseph Aoun insiste tant pour sa nomination.

La restructuration du système bancaire, dans laquelle le prochain gouverneur va jouer un rôle de premier plan, est un enjeu de taille pour les déposants, pour les banques et pour l’État. Il s’agit de savoir, in fine, qui va ou non payer la facture. Tout aussi importante est la nécessité de signer un accord avec le FMI, de redéfinir notre politique monétaire et de sortir de l’économie du « cash ». Ces enjeux ne méritaient-ils pas un processus de désignation plus transparent ? Sans prétendre transformer du jour au lendemain le Liban en un pays scandinave, n’était-il pas nécessaire de savoir quel était le programme des principaux candidats au poste avant de désigner l’heureux élu ?

Tous les prétendants les plus sérieux entretiennent de bonnes relations avec les États-Unis et auraient ardemment lutté contre le blanchiment d’argent et l’économie parallèle du Hezbollah et de ses alliés. Ce n’est donc pas sur ce point que le choix du président s’est arrêté. Et ce n’est pas en raison de ses considérations qu’il a écarté d’un revers de main les options Jihad Azour, pourtant directeur régional du FMI, et Camille Abousleiman, ancien ministre du Travail, maîtrisant tous les deux parfaitement le dossier.

Est-ce un choix tactique de la part du président pour ne pas se mettre à dos le lobby bancaire et trouver une issue rapide à ce dossier si complexe ? Ou est-ce une décision plus stratégique qui révèle non seulement une volonté de ne pas torpiller l’ancien système – à l’exception du Hezbollah –, mais aussi de s’y tailler la part du lion ?

Parce que l’homme d’affaires franco-libanais Samir Assaf – seul nom faisant consensus au sein de l’exécutif– a refusé le poste, parce que la majorité des ministres sont soit favorables au choix du président, soit ne veulent pas le contrarier, et parce que Nawaf Salam n’a pas mené une véritable bataille pour imposer une autre candidature, Karim Souhaid devrait être nommé ce jeudi gouverneur de la banque centrale. À moins d’un revirement de dernière minute et à moins d’un sursaut des formations politiques qui se présentent depuis des années comme des forces de l’opposition, le président va gagner son premier bras de fer contre Nawaf Salam.

C’est désolant. Non pas parce que l’un l’a emporté sur l’autre – le président est de toute façon beaucoup plus populaire que son Premier ministre et est, lui, assuré de rester à la tête de l’État pour les six prochaines années. Mais parce que leur entente était la clé de la possibilité d’un autre Liban. Et que les compromis d’aujourd’hui et les batailles à venir ont déjà – un an avant des législatives que l’on annonçait comme décisives – le goût d’une nouvelle occasion ratée.

Nous avons eu la chance de rencontrer Joseph Aoun avant qu’il ne soit élu président de la République. Il était tel qu’on nous l’avait décrit : affable, intelligent, modéré, politique et – chose particulièrement rare dans notre pays – maîtrisant parfaitement ses dossiers. Dans cet océan de médiocrité qu’était devenu l’État libanais, il semblait être l’un des seuls responsables à la hauteur de sa fonction et du moment. C’est dire si nous avons accueilli son élection en janvier dernier avec enthousiasme. Si des doutes subsistaient quant à son projet politique, son discours de prestation de serment – certes avare de détails – traçait les lignes d’une « nouvelle ère » qui promettait de rompre avec toutes les pratiques qui ont conduit le Liban à sa perte.Dans un contexte particulièrement...
commentaires (23)

Il vous a bien berné, ce militaire qui s’avère aussi borné et arrogant que ses prédécesseurs.. de tous les candidats possibles, il s’est quand même débrouillé pour choisir le pire.. on aurait eu un meilleur résultat en choisissant un nom dans un chapeau, les yeux bandés. Vu notre histoire, il est difficile de croire à une erreur honnête..

Ghassan Bejjani

15 h 18, le 27 mars 2025

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Commentaires (23)

  • Il vous a bien berné, ce militaire qui s’avère aussi borné et arrogant que ses prédécesseurs.. de tous les candidats possibles, il s’est quand même débrouillé pour choisir le pire.. on aurait eu un meilleur résultat en choisissant un nom dans un chapeau, les yeux bandés. Vu notre histoire, il est difficile de croire à une erreur honnête..

    Ghassan Bejjani

    15 h 18, le 27 mars 2025

  • au cours des 30 dernières années, et à chaque fois que nous (libanais) avions les clefs du pays, on en a fait un désastre. Maintenant qu'on est sous tutelle, on va devoir prendre ce qu'on veut bien nous donner. on peut s'en plaindre bien entendu mais souvenons-nous que ça ne sera jamais pire que ce qu'on a eu. alors, qu'est-ce qu'on veut?

    N.A.

    13 h 39, le 27 mars 2025

  • Suite de mon commentaire. Et les banquiers dans tout celà ? Ils sont à l'abri, car ils sont aussi législateurs (députés) ou influenceurs et sponsors des législateurs. Voilà la supercherie de Antoine Sehanoui et consorts ...

    What a Guy !

    13 h 03, le 27 mars 2025

  • Au delà du débat sur les noms -et donc les hommes- le vrai enjeu que mentionne cet excellent édito est celui de savoir qui va payer la facture de la restructuration ! Le lobby bancaire veut rejeter la balle dans le camp de l'Etat, géré par des gouvernements dispendieux, affairistes et mafieux. Mais l'Etat c'est qui, in fine ? Le contribuable !!! Voilà le tour de force du lobby bancaire : le citoyen est pénalisé deux fois, une fois comme "déposant" naïf et innocent et une fois comme "contribuable" qui doit renflouer les caisses vidées par les gouvernants des 40 dernières années ! CQFD ...

    What a Guy !

    12 h 59, le 27 mars 2025

  • Nous ne voulons pas d’un mandat nourri par des promesses qui ne tiennent pas la route. Le président ne doit pas perdre de vue sa promesse initiale de désarmer les milices sur notre sol afin de pouvoir, et sans se compromettre remettre notre pays sur les bons rails. Assez de démagogie et de concessions, l’heure est aux actes concrets qui honorent les promesses afin que les libanais se sentent enfin entendus et respectés. Excellent édito, comme d’habitude.

    Sissi zayyat

    12 h 52, le 27 mars 2025

  • Un édito intéressant bien construit . Mais les zones d’ombre autour de certains points existent mais ne seront jamais éclaircies. D’ailleurs, passée l’ivresse des élections présidentielles, les Libanais commencent à déchanter et n’espèrent pas grand chose de ce mandat jusqu’à preuve du contraire.

    Hitti arlette

    12 h 39, le 27 mars 2025

  • Cest justement la tutelle israélo-américaine sur le Liban qui a imposé l’homme affable et souriant à la tête de l’état

    Hitti arlette

    12 h 23, le 27 mars 2025

  • Je crois sincèrement que l’article d’Anthony Semrani est excellent, mais la réalité géopolitique impose au président J. Aoun de rester dans le giron des USA avant que Trump s’en aille pour espérer une esquisse de changement positif.

    Georges Breidy

    12 h 18, le 27 mars 2025

  • Edito excellent tant sur la forme que par le courage de Antony Samrani qui ne se planque pas derrière les "sources informées" ou autres "personnalités de premier plan": il cite des noms. Sera-t-il entendu en haut lieu? Le minimum serait que les candidats présentent en effet leurs programmes pour que nous puissions juger sur pièce sans se fier aux tribunes et aux articles tendancieux lus sur certains sites. Ce serait bien dommage que Joseph Aoun ternisse son image - les Libanais ont tellement besoin d'une icône! - en compromettant les finances de l'Etat et l'argent des déposants, bref, l'avenir

    Marionet

    11 h 55, le 27 mars 2025

  • Très bon article comme d'habitude

    Hind Faddoul FAUCON

    11 h 53, le 27 mars 2025

  • Nous ne voulions pas encore d'autres déceptions d'autres faux départs ratés... si ce que nous Dit Monsieur Samrani est exact, c'est une nouvelle douche froide pour nous qui rêvions enfin de l'édification d'un état digne de ce nom. Cette déception sera la pire car enfin, nous aurions pensé à tort que cette élection était différente des autres ... Ceci dit attendons, les prochains 6 mois seront décisifs, soit le Liban renait soit il est définitivement noyé et enterré dans les cimetières mafieux.

    Zeidan

    11 h 07, le 27 mars 2025

  • C’est d’un Phillipe Takla, un Elias Sarkis,un Edmond Naïm qu’on a besoin des hommes institutionnels et non pas d’un brooker pour remplacer un autre brooker pour assainir notre système et mener les finances de ce pays à bon port

    Bersuder Jean-Louis

    11 h 04, le 27 mars 2025

  • C'est une fatalité au Liban. Les postes à responsabilités ne sont pas attribués aux plus compétents. Ce qui est révélateur ce sont les tentatives de dorer le blason de K Soueid. Certes ce n'est pas n'importe qui, mais dans la sphère financière mondiale, ils sont nombreux les libanais maronites qui ont un parcours meilleur que le sien. Et que l'on parle pas du respect de critères dans l'Administration car que ce soit en taille des structures/fonds, en bilans de ceux ci, en diplomes, en responsabilités financières (bonds) d'autres candidats sont mieux placés.

    Moi

    10 h 19, le 27 mars 2025

  • Très bon article!

    GEARA MARC

    10 h 10, le 27 mars 2025

  • et si ON nous contait les raisons qui font que mr. Souaid K n'est pas le bon choix ? en details avec preuves a l'appui ! non des extraits de denigrements sur social media encore moins certains medias ?

    L’acidulé

    09 h 30, le 27 mars 2025

  • La raison est simple. Aoun est proche des Americains qui controllent la finance Mondiale. Salam est proche des Europeens qui sont a la traine et qui, avec leur pratiques socialistes, ont transformé leur pays en antiques sclerosés en train trés rapidement d'etre depassés. Donc il vaut mieux aller dans le sens des Americains. Aoun a eu la sagesse de comprendre ceci.

    ..... No comment

    09 h 24, le 27 mars 2025

  • Superbe article!

    Akote De Laplak

    09 h 08, le 27 mars 2025

  • Désolant. Oui, c'est le mot.

    Yves Prevost

    07 h 35, le 27 mars 2025

  • Pourquoi cette attaque menée contre Karim Souhaid en le qualifiant comme adjoint de Antoun Sahnaoui, mais vous ne mentionnez pas le fait que les autres candidats sont proches soit du clan Kulluna Irada ou de l'ancien Premier Ministre, Fouad Sanioura?

    Ihab Ammoury

    07 h 21, le 27 mars 2025

  • On a tendance à oublier que notre président est arrivé à son poste grâce à une classe politique corrompue. Nous savons tous comment les gens accèdent à ces postes de haut niveau (commandant en chef de l'armée). Serait-il une exception à la règle ? Il est encore trop tôt pour juger. Mais jusqu’à présent, rien ne semble encourageant : visite en Syrie sans discussions sérieuses concernant le retour des réfugiés ; aucun plan structuré pour le retour des dépôts bancaires ; aucune mention de ses armes palestiniennes illégales dans les camps palestiniens, etc.

    Amer tabbara

    06 h 27, le 27 mars 2025

  • qui etes vous M. Samrani pour prendre le parti de azour et abuslaiman avec une phrase comme celle ci? "Jihad Azour, pourtant directeur régional du FMI, et Camille Abousleiman, ancien ministre du Travail, maîtrisant tous les deux parfaitement le dossier"....azour fait partie de l'ancienne equipe de saniora et abusleiman un avocat lambda plutot qu'un financier

    Elementaire

    04 h 12, le 27 mars 2025

  • On baigne dans un brouillard étant donné que personne ne tient à expliquer clairement son programme . Pourquoi bon, faut-il éclairer ce malheureux libanais de ce qui l’attend puisqu’il n’a aucune valeur et que ce sont les mêmes mafieux qui vont décider de notre sort et nous jeter quelques miettes plutôt que de nous rendre ce qu’ils nous ont dérobés ?

    Wow

    01 h 15, le 27 mars 2025

  • Ne vous triturez pas les méninges : le poste de gouverneur de la BDL est le seul poste où les USA surtout TRUMP ( Plus businessman que politicien ) décide et impose son choix.ce n’est pas plus mal, ce poste est aussi lié à la finance internationale qu’aux affaires bancaires nationales. Le monde économique, bancaire et financier est lié au DOLLAR… Ni au yen, ni à l’euro… le géant US est le moteur et la boussole dans ce domaine.surtout que le Liban est sur la paille et ne peut pas se permettre le luxe de contrarier les donateurs qui sont censés aider à la reconstruction..ce mot répété en boucle

    LE FRANCOPHONE

    00 h 42, le 27 mars 2025

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