
Illustration: Jaimee Lee Haddad.
Ali Jouneh
Âge : 41 ans
Lieu de résidence : camp de réfugiés palestiniens de Rachidiyé, dans le caza de Tyr
Date de l’arrestation : octobre 2024
Lieu de l’arrestation : aux alentours d’octobre 2024 à Khan Sheikhoun, en Syrie
Durée de la détention : environ deux mois
Détention : « Branche palestine »
Date de libération : 8 décembre 2024, chute du régime Assad
Dans le camp de réfugiés palestiniens de Rachidiyé, au Liban-Sud, Ali Jouneh, posé sur le canapé d’une cafétéria, a le regard sombre, le dos courbé et la jambe qui tremble. Il vient de passer deux mois dans les prisons du régime de Bachar el-Assad. « Ils m’ont accusé de terrorisme pour les Turcs… », dit-il de sa voix rauque.
En octobre 2024, le père de famille décide de quitter le Liban en guerre avec Israël, car sa situation financière devient « insoutenable ». Recherché par les autorités libanaises « pour des disputes, une histoire d’armes », dit-il, évitant de donner plus de détails, Ali « profite du chaos dans le pays » pour sortir du camp qu’il n’a pas quitté depuis 2017, par peur de se faire arrêter.
Son objectif : aller en Turquie. Un jour d'octobre donc - il ne se souvient pas de la date exacte - il emprunte la route de la Syrie et traverse illégalement la frontière libanaise à Wadi Khaled après avoir donné 4 000 dollars à un passeur. Sur le chemin, il jette sa carte d’identité. « C’était une erreur », raconte-t-il, une vingtaine de jours après sa libération.
Alors qu’il atteint Khan Cheikhoun, dans le gouvernorat d’Idleb, l’armée syrienne arrête le bus et demande à tous les passagers sans papier de sortir du véhicule. Lors de l’interrogatoire, Ali dit avoir loué un appartement pour sa famille afin de fuir la guerre au Liban. « Tout le monde m’avait prévenu de ne pas dire un mot sur la Turquie », explique-t-il. L’officier ne le croit pas et l’accuse d’aider « les hommes armés » (terme utilisé par le régime Assad pour désigner toute forme d’opposition). Ali est incarcéré dans la « branche Palestine ». « J’avais l’impression d’être parmi les morts… Le régime syrien fait peur. »
Dans la nuit de la chute du régime, le 8 décembre 2024, après une offensive menée par le groupe islamiste sunnite radical Hay'at Tahrir el-Cham (HTC), un cri résonne dans les couloirs de la prison : « Dieu est grand ! ». « Les Syriens ont directement compris. Ils ont dit que les révolutionnaires avaient pris la branche et ont commencé à forcer les serrures », raconte Ali, qui à ce moment oscille entre la peur et un sentiment de liberté. « Nous étions dans la capitale. Pour moi, les hommes du régime allaient toujours être présents, et ils nous égorgeraient. »
Des hommes, des femmes et des enfants s’échappent des cellules. À la sortie de la prison, Ali fait la connaissance d’un ex-détenu, qui l’invite chez lui et lui donne 100 dollars pour l’aider à rentrer au Liban, mais il doit traverser la frontière illégalement, en passant par Qaa. Cinq jours plus tard, il arrive dans son camp, cette fois-ci en passant par la mer pour éviter le poste de contrôle de l’armée. « Quand je suis arrivé, j’ai ressenti la liberté… », raconte le quadragénaire, qui dit néanmoins « ne plus être le même ».