
Illustration Jaimee Lee Haddad.
Souhail Hamaoui
Âge : 61 ans
Lieu de résidence : Chekka, Liban-Nord
Date de l’arrestation : 3 décembre 1992
Lieu de l’arrestation : dans son domicile, à Chekka
Durée de détention : 33 ans
Détention : « Branche Palestine » (1992-2011) ; prison de Saydnaya (1997-2011) ; prison de Adra (2011-2015), prison centrale de Lattaquié (2015-2024)
Date de libération : 8 décembre 2024, chute du régime Assad
Sous ses yeux sont affichés les moments d’une vie qui lui ont été volés : la cérémonie de remise des diplômes de son fils, celle de ses fiançailles, un portrait de son petit-fils… Sur l’étagère du salon de la demeure familiale à Chekka au Liban-Nord, il y aussi cette photo jaunie dans un cadre en argent : celle de Souhail Hamoui, lorsqu’il était libre, jeune, et qu’il n’avait pas encore perdu tous ses cheveux... C’était un « homme d’ambition ». Souhail travaillait à cette époque dans un dépôt de denrées alimentaires. En deux ans, il avait déjà accompli le « quart de ce qu’(il) voulait faire » dans sa vie, assure-t-il.
Souhail est heureux. Il est marié à Joséphine depuis deux ans et est papa d’un petit garçon de 10 mois… quand des officiers syriens l’arrêtent chez lui le 3 décembre 1992. Lui et ses amis sont membres des Forces libanaises et s’opposent à l’occupation syrienne du Liban. Syrien sur papier, c’est un Libanais dans l’âme. « Je ne connais que Chekka. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour mon village. Nous, on demandait de vivre, on réclamait nos droits. Beaucoup ont été incarcérés comme moi… Beaucoup sont morts », dit-il. Il devra attendre 20 ans pour découvrir les raisons de son incarcération : « Membre des Forces libanaises ».
Pendant toutes ces années de détention, Souhail passe d’une prison à l’autre, à commencer par le centre de détention appelé la « branche Palestine » géré par les services de renseignements. « Pendant cinq ans, je n’ai pas pu prendre de douche. Je n’avais pas d’habits. J’étais sous terre, dans une cellule individuelle », détaille-t-il. Il est ensuite transféré dans la prison de Saydnaya, surnommé l’« abattoir humain », où il est détenu de 1997 à 2011. Puis il est incarcéré dans la prison d’Adra, située à la périphérie nord-est de Damas, avant de finir dans la prison centrale de Lattaquié de 2015 jusqu’à la chute du régime.
En prison, Souhail n’existe plus, il n’est qu’un numéro. Il subit la torture des officiers syriens. « Personne ne peut supporter une telle pression. On abandonne ses principes, ses croyances, même son âme… Une fois, ils ont menacé de faire venir mon fils et ma femme. Sous les coups, ils m’ont demandé de changer le prénom de mon fils Georges et de l’appeler Ahmad », raconte-t-il avec calme.
Souhail s’accroche pour sa femme et son fils qui, pendant 18 ans, n’auront aucune nouvelle de lui. Les images de sa « vie d’avant » passent en boucle dans sa tête. « Je n’avais que ça. Dieu m’a donné la force. J’ai tenu 33 ans pour ma famille. Je rêvais de revenir auprès de ma famille, de voir mon fils, de rentrer dans mon village. »
Au lendemain de la chute du régime, Souhail retrouve sa femme et son fils, 33 ans et père d’un petit garçon. Le 22 janvier, près de deux mois après sa libération, Souhail racontait être « en train de rencontrer (s)a famille ». « Hier, pour la première fois, je me suis senti à l’aise avec mon fils. J’ai entendu son rire. Je ne l’avais jamais entendu… », relate-t-il.