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Environnement - Focus

À Tripoli, des incendies en série rendent l’air de la ville « irrespirable »

La récupération de cuivre et de fer par incinération de déchets est devenue une pratique courante dans la capitale du Liban-Nord.

À Tripoli, des incendies en série rendent l’air de la ville « irrespirable »

De la fumée noire émanant de la ville de Tripoli le dimanche 9 mars 2025. Photo fournie par notre correspondant Michel Hallak.

Chaque jour ou presque ces derniers temps, d'épais nuages de fumée noire planent dans le ciel de Tripoli. Déjà récurrent, le phénomène est devenu encore plus incontrôlable, avec au moins trois cas de feux sauvages de grande ampleur allumés au sein même de la capitale du Liban-Nord cette semaine : l’un dans les environs du vieux souk, dimanche dernier ; un deuxième dans le quartier de Saqi el-Tébbéné mercredi et un troisième près du port jeudi soir. « À chaque feu, des odeurs nauséabondes se propagent dans toute la ville y rendant l’air irrespirable pendant plusieurs heures, voire plus dans les quartiers voisins des lieux d’incinération », confie Narimane Chamaa, une journaliste et activiste engagée sur les questions d’égalité des genres et de l’environnement contactée par L’Orient-Le Jour. « Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais un fléau qui dure depuis plusieurs années et empoisonne et pollue l’air que respirent les habitants », dénonce-t-elle.

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Ce « fléau » est bien connu des Tripolitains : un mélange de pneus, de câbles électriques, de ferraille ou de déchets plastiques et métalliques incinérés en zones urbaines pour en extraire quelques filons de cuivre ou de fer, avant de les revendre pour quelques poignées de dollars. Avec le temps, cette pratique illégale s'est transformée en une banalité pour les chiffonniers de la ville, au grand dam des habitants, désormais contraints de subir régulièrement l’odeur nauséabonde issue des foyers de combustion qui se sont multipliés à travers Tripoli.

« De nombreuses décharges sauvages où sont brûlés les pneus se trouvent dans différentes entrées de la ville, près du souk, de l’Université arabe, dans le quartier de Mina, de Beddaoui, ou encore aux alentours de la foire internationale Rachid Karamé… » énumère l’activiste. Hormis une intervention de l’armée au niveau de la foire internationale, qui n’a pas permis d’évacuer les déchets sur place, aucune action concrète n’a été prise par la municipalité et les pouvoirs publics », déplore celle qui s’est engagée sur la problématique du traitement des déchets depuis 2013.

« Cela ne relève pas de notre responsabilité »

Contacté par L’OLJ, le président de la municipalité de Tripoli, Riad Yamak, rejette la responsabilité du traitement des déchets sur la « fédération », nom de l’agglomération regroupant Tripoli, Mina, Beddaoui et Qalamoun. « La compagnie Batco, qui s’occupe du ramassage des ordures, dit ne pas pouvoir s’occuper du ramassage de certains types de déchets, dont les pneus, car cela n’est pas compris dans son contrat passé avec la fédération, qui ne relève pas de la responsabilité de la municipalité », précise l’édile. Dans le même temps, une source sécuritaire affirme à notre publication qu’une enquête a été ouverte à l’initiative du département régional des Forces de sécurité intérieure (FSI) et « qu’un des responsables présumés de ces récents incendies a été interpellé ».

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De son côté, Narimane Chamaa affirme avoir personnellement déposé une plainte en 2018 après avoir été sujette à des « crises d’asthme » à cause de l’exposition aux fumées toxiques, l’ayant poussé à déménager hors de Tripoli intra-muros. Mais une « ingérence politique » aurait permis de faire libérer les responsables interpellés à l’époque « après quelques jours de détention », selon elle. « Les prisons sont déjà pleines à cause de toutes les autres formes de criminalité », rétorque Riad Yamak, qui déplore également le manque d’effectifs parmi les forces de sécurité déployées dans sa ville « qui ne dépasse pas les 200 agents pour 400 000 habitants, soit moins de 10 % du nombre imposé par les lois internationales, qui fixent un taux d’un policier pour 500 habitants », précise l’élu. Et d’ajouter : « Les feux sont souvent déclenchés pendant la nuit, lorsque la présence policière est la plus faible. Il est alors difficile d’identifier les responsables, étant donné que nous n’avons pas de système de caméras de surveillance fonctionnel. »

Pourtant, en vertu de la loi de protection de l'environnement n° 444, entrée en vigueur en 2002, tout contrevenant est censé être soumis à des sanctions financières et pénales, « mais il manque une vingtaine de décrets d’application pour que cette loi soit appliquée. Aucun décret ne précise quel doit être le montant de ces amendes ou d’éventuelles peines d’emprisonnement », précise Narimane Chamaa.

« Un drame évité de peu »

Inaugurée en juin 2017, l’usine de traitement des déchets de Tripoli a connu de multiples périodes de fermeture et des changements d’exploitants, avant d’atterrir entre les mains de Batco. Elle est censée s’occuper « du balayage et nettoyage des rues, de l'enlèvement des affiches et de la collecte et du transport des déchets » dans l’agglomération à hauteur de « 450 tonnes par jour », selon son site internet. Contactée, la société est restée injoignable avant publication.

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Cette négligence généralisée aurait pu conduire à un drame évité de peu le mois dernier, lorsqu’un autre incendie s’est déclaré dans un bâtiment voisin d’une crèche dans le quartier de Mina. Celui-ci s’est propagé après qu’un générateur électrique défectueux a pris feu avant de calciner les immeubles environnants. « Heureusement, l’incident a eu lieu un dimanche et il n’y avait aucun enfant sur les lieux », rapporte la députée Najat Aoun Saliba, qui s’est rendue sur les lieux la semaine dernière en compagnie d’un des élus locaux, Élie Khoury, député des Forces libanaises du siège maronite de la ville. « Je n’avais pas conscience du niveau de négligence et de l’ampleur des infractions aux normes de sécurité concernant les générateurs électriques à Tripoli », poursuit l’élue issue de la contestation. « Le fait qu’un générateur ait pu être installé dans une zone fermée, qui plus est à proximité d’une garderie, contrevient à toutes les normes établies par les décrets émis par le ministère de l’Environnement », souligne-t-elle.


Outre cette question des générateurs, principal cheval de bataille de la parlementaire, celle-ci confie que les incendies récents à répétition à Tripoli l'avaient déjà conduite à se pencher de près sur les problèmes de qualité de l’air dans la région. « J’ai reçu un très grand nombre de signalements de la part d’habitants. La qualité de l’air à Tripoli en est grandement détériorée et il y a un fort risque pour les personnes allergiques, asthmatiques et atteintes de maladies chroniques respiratoires, mais aussi de développement de cancers lorsque de telles quantités de gaz toxiques sont répandues dans l’air d’une façon aussi fréquente », développe-t-elle.

Se basant sur une étude que la députée a menée au sein du centre de recherche de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), Najat Aoun Saliba indique que le risque de cancer a augmenté de 30 % au Liban, selon des calculs sur l’augmentation du taux de substances cancérigènes présentes dans l’air mesurées entre 2016 et 2023. « Si des habitants souhaitent m’envoyer des photos de ces incendies de pneus, ils peuvent me contacter via le numéro de mon bureau pour que je puisse agir en tant que parlementaire pour soumettre cette plainte auprès des ministres de l’Environnement et de l’Intérieur », conclut-elle.

Chaque jour ou presque ces derniers temps, d'épais nuages de fumée noire planent dans le ciel de Tripoli. Déjà récurrent, le phénomène est devenu encore plus incontrôlable, avec au moins trois cas de feux sauvages de grande ampleur allumés au sein même de la capitale du Liban-Nord cette semaine : l’un dans les environs du vieux souk, dimanche dernier ; un deuxième dans le quartier de Saqi el-Tébbéné mercredi et un troisième près du port jeudi soir. « À chaque feu, des odeurs nauséabondes se propagent dans toute la ville y rendant l’air irrespirable pendant plusieurs heures, voire plus dans les quartiers voisins des lieux d’incinération », confie Narimane Chamaa, une journaliste et activiste engagée sur les questions d’égalité des genres et de l’environnement contactée par L’Orient-Le Jour. « Ce...
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