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Environnement - Patrimoine

Projet de route controversé : la vallée de Qannoubine dans la tourmente

Si des travaux sont constatés et ne respectent pas les critères de l'Unesco, ils pourraient causer l’exclusion du site de la liste du patrimoine mondial. 

Projet de route controversé : la vallée de Qannoubine dans la tourmente

La vallée de Qannoubine, trésor naturel et patrimonial. Michel Hallak/L'Orient-Le Jour/Archives

Une décision prise par l’ancien ministre de la Culture Mohammad Mortada, le 28 janvier 2025, peu avant la formation du nouveau gouvernement de Nawaf Salam le 8 février, en faveur de la construction d’une route dans la Vallée sainte de la Qadicha au Liban-Nord, inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, a causé une levée de boucliers de la part d’écologistes, de défenseurs du patrimoine et de membres de la communauté locale. 

Accessible à pied, ce trésor national, qui traverse les cazas de Bécharré et de Zghorta, est un sanctuaire écologique et un patrimoine exceptionnel de par ses couvents plusieurs fois centenaires, témoignant de la vie des premiers chrétiens du Liban. L’affaire de l’ouverture de routes, notamment vers (ou dans) le village habité de Wadi Qannoubine (côté Bécharré), ne date pas d’hier et fait régulièrement débat. 

Dans une déclaration datant du 9 février, Mohammad Mortada a affirmé qu’il répondait à « un besoin des habitants de cette région », assurant que « la décision a été prise en harmonie avec les règles en vigueur dans un site protégé ». Or, de sources proches des institutions concernées et recoupées plusieurs fois, L’Orient-Le Jour a vérifié et fait confirmer que ni la Direction générale des antiquités (DGA) – faisant pourtant partie du ministère de la Culture – ni l’Unesco n’étaient au courant de cette décision.

La décision du ministre Mortada, datant du 25 janvier dernier. Photo DR


Les deux institutions n'ont ainsi pas pu vérifier suivant quelles modalités cette route a été pensée et si elle respecte les critères de classification du site. Selon les sources précitées, aucune carte n’a été soumise, ni aucune étude d’impact patrimonial ou écologique.

Suivant les règles en vigueur, tout projet dans un site classé doit être soumis au Comité du patrimoine mondial, au siège de l’Unesco. L’enjeu est considérable : si des travaux sont constatés et qu’ils ne respectent pas les critères de la liste du patrimoine mondial, ils pourraient causer l’exclusion du site de cette liste. Nous n’avons pas réussi à entrer en contact avec le nouveau ministre de la Culture, Ghassan Salamé, avant la publication de cet article.

Avis favorable du patriarcat maronite

Le patriarcat maronite, propriétaire du terrain où la route devrait être construite et que nous n’avons pas réussi à contacter à temps non plus, a exprimé un avis favorable à travers un communiqué publié par son porte-parole Walid Ghayad, repris par l’Agence nationale d’information (ANI) le 12 février. Il y explique qu’il est « évident que le patriarche maronite adopte naturellement les revendications de sa paroisse et cherche à les réaliser, surtout quand cette paroisse souffre d’une négligence de longue date ». Il a ajouté que le patriarcat a souvent demandé « que les habitants de Wadi Qannoubine retrouvent une vie normale comme tous les autres villages », c'est-à-dire avec un accès routier.

Également à l’ANI, le prêtre Tony Agha, en charge des terrains dans la vallée, a précisé le même jour que le dossier de la route agricole qui relie la station de production d’électricité au monastère Notre-Dame de Qannoubine est finalisé depuis 2018 d’un point de vue légal, administratif et technique, sachant qu’il existe déjà une route agricole à cet endroit depuis des centaines d’années, et que la nouvelle voie sera située au même niveau, comme on peut le lire dans la décision du ministre Mortada.

Minimisant la portée de la décision ministérielle, le père Agha assure donc « qu’il n’y a pas de construction d’une nouvelle route et que la réhabilitation sera effectuée par la main-d’œuvre locale ». Il ajoute que « cette voie ne sera empruntée qu'en cas d'urgence médicale ou d’incendie, ou pour que les habitants rentrent chez eux, en conformité avec les lois et les règles qui régissent le site ». Il explique aussi que cette revendication faisait déjà l’objet d’une demande « de réhabilitation envoyée (par le passé) par le comité patriarcal en charge du dossier, la Fédération des municipalités de Bécharré et les habitants de Wadi Qannoubine ».

Entorses aux lois

Sauf que le président de la Fédération des municipalités de Bécharré, Élie Makhlouf, donne une autre version des faits. « Il est évident que nous comprenons les revendications des habitants, mais pourquoi avoir pris une décision sans l’aval des institutions concernées ? » dit-il à L’OLJ.

Selon lui, une réunion qui a rassemblé tous les acteurs concernés par cette affaire avait eu lieu l’été dernier au siège estival du patriarcat maronite à Dimane (Liban-Nord). « Nous avons alors simplement demandé que soit prise en compte une étude déjà effectuée et approuvée par toutes les parties, concernant la réhabilitation des routes dans le village », se souvient-il. Pourtant, la décision récente du ministre a surpris les municipalités, « qui en ont entendu parler dans les médias », selon lui.

« Tout ce que nous demandons, c’est que la DGA soit en charge du projet », assure l’élu.

L'un des monastères plusieurs fois centenaires de Wadi Qannoubine. Archives/L'Orient-Le Jour


Les écologistes, pour leur part, dénoncent des entorses pures et simples à la loi. « Le projet n’a pas été soumis à une étude d’impact environnemental, ce qui est contraire à la loi », assure Paul Abi Rached, président de Terre-Liban, à L’OLJ, ajoutant que « le ministère de l’Environnement peut, à ce titre, arrêter ce projet qui ne fait l’objet que d’une décision ministérielle ».

Pour sa part, Youssef Tok, médecin et activiste écologique bien connu de Bécharré, fait remarquer que « Wadi Qannoubine est un petit village qui a été déserté depuis longtemps par la majorité de ses habitants ». Il raconte à L’OLJ qu'il se rend souvent dans cette localité « à pied, sans problème, pour y soigner des habitants du troisième âge ». L’activiste craint que « cet enthousiasme pour ce projet de route ne cache des ambitions d’un autre type, portant sur un développement inapproprié pour une telle vallée chargée de patrimoine ». 

Perte du caractère patrimonial et spirituel

Outre le côté légal et écologique, les détracteurs du projet craignent que le site ne perde son caractère unique, autant patrimonial que spirituel. Le Conseil international sur les monuments et les sites du Liban (Icomos) a publié un communiqué le 26 février dans lequel il se dit « très inquiet » de la décision du ministre, prise « en l’absence d’études de faisabilité, d’impact patrimonial et environnemental, et sans la consultation de la DGA et de la communauté locale ».

Une peinture murale dans un couvent de Qannoubine. Jaimee Lee Haddad/L'Orient-Le Jour


Le texte note les impacts négatifs d’une route élargie sur 2,5 mètres de large dans un endroit aussi sensible et dans un paysage aussi distinctif. « Cela met en péril le caractère exceptionnel du site, exemple de vie monastique chrétienne ancienne », souligne le texte, mettant en avant l’importance « du paysage accidenté et isolé qui fait partie intégrante de sa fonction spirituelle et méditative ».

Plus d'un mois après la décision de l'ancien ministre, les travaux n’ont pas commencé, la société civile est mobilisée et multiplie les rencontres pour tenter de trouver un compromis dans cette affaire, selon Aoun Abi Aoun, écologiste local de Bécharré. « Il faut démontrer qu’il y a un moyen de promouvoir le site et de multiplier les visiteurs tout en préservant ses caractéristiques d’écotourisme et de tourisme religieux », souligne-t-il.  

Une décision prise par l’ancien ministre de la Culture Mohammad Mortada, le 28 janvier 2025, peu avant la formation du nouveau gouvernement de Nawaf Salam le 8 février, en faveur de la construction d’une route dans la Vallée sainte de la Qadicha au Liban-Nord, inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, a causé une levée de boucliers de la part d’écologistes, de défenseurs du patrimoine et de membres de la communauté locale. Accessible à pied, ce trésor national, qui traverse les cazas de Bécharré et de Zghorta, est un sanctuaire écologique et un patrimoine exceptionnel de par ses couvents plusieurs fois centenaires, témoignant de la vie des premiers chrétiens du Liban. L’affaire de l’ouverture de routes, notamment vers (ou dans) le village habité de Wadi Qannoubine (côté Bécharré), ne date...
commentaires (18)

Projet suspect qui servira probablement des gens très indésirables voir dangereux. Qu’en dit Geagea ?

Wow

22 h 59, le 06 mars 2025

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Commentaires (18)

  • Projet suspect qui servira probablement des gens très indésirables voir dangereux. Qu’en dit Geagea ?

    Wow

    22 h 59, le 06 mars 2025

  • La vallée est avant tout un lieu d'ermitage pas de pèlerinage...

    CHAHINE Omaya

    08 h 27, le 05 mars 2025

  • Ce qu'une décision ministérielle a fait, une autre décision ministérielle peut le défaire! Yalla M. Salamé, annulez ce projet qui, comme tant d'autres ailleurs, n'aura pour effet que de dégrader irréversiblement Wadi Qannoubine. On peur avoir infiniment de respect pour le religieux mentionné dans l'article, mais il n'est ni expert en conservation du patrimoine, ni paysagiste, ni élu chargé de répondre aux demandes de ses paroissiens, ni maître en écologie et écosystèmes. Cette affaire doit être un test décisif pour le nouveau mandat!

    otayek rene

    19 h 57, le 04 mars 2025

  • Le lit e Procuste des 600 caractères ne permettant pas de s'exprimer suffisamment, j'ai envoyé une série de commentaires: aucun n'est paru. Pourquoi? En tous cas, tout doit être mis en œuvre pour barrer la route à ce projet qui porte en germe la DESTRUCTION COMPLETE de la Qadicha.

    Yves Prevost

    06 h 38, le 04 mars 2025

  • Merci pour cet article, Cependant, je tique sur la dernière phrase: non! Il ne faut pas "multiplier les visiteurs". Au contraire" La carats éristique de la Qadicha eat son isolement. Tout ce qui en facilite l'accès contribue à la dénaturer, l'UNESCO note dans tous ses rapports, parmi les problèmes, le manque de gestion des visiteurs, et s'est plusieurs fois élevé contre un "tourisme de masse" qui ne respecte pas l'aspect spirituel.

    Yves Prevost

    01 h 01, le 04 mars 2025

  • La Qadicha est un patrimoine, c’est-à-dire un héritage, un ensemble de valeurs historiques, culturelles, spirituelles et morales reçues de nos pères et que nous avons le devoir de préserver, de cultiver, de faire connaître et de transmettre à nos descendants. La Qadicha n’appartient à PERSONNE, ou plutôt, elle appartient à tous, présents et à venir. Personne ne peut en disposer à sa guise. Les titres de propriété que certains peuvent posséder ne leur confèrent qu’un droit d’usage, La détruire, c’est VOLER nos enfants!

    Yves Prevost

    00 h 43, le 04 mars 2025

  • Ce projet est extrêmement dangereux car on ne s’en arrêtera pas là. Il y a quelques années, une route descendant de Hadchit a été stoppée, mais pour combien de temps. Plus récemment, c’était à partir de Qozhaya. On nous parle d’une communauté d’Antonins qui doit s’installer à Mar Abon, mais à condition que le couvent soit accessible en voiture! Dans ce cas, les moines feraient mieux de s’installer au centre-ville de Beyrouth, iks y seraient plus à l’aise!

    Yves Prevost

    00 h 42, le 04 mars 2025

  • Le paisible petit village va devenir une attraction touristique, avec restaurants et musique. Cette route, nous assure-t-on, sera interdite aux touristes. La route du fond de la Vallée aussi, et on sait ce qu’il en est! Quand aux restaurants, sur les 4 que l’on trouve dans la Vallée, combien ont fait l’objet d;une autorisation? En face de Mar Lichaa, une auberge et trois restaurants rivalisent de musique, sans qu’on puisse les faire taire, alors même que l’auberge et un des restaurants sont la propriété du monastère. Comment rêver qu’il en sera autrement à Wadi Qannoubine?

    Yves Prevost

    00 h 42, le 04 mars 2025

  • On nous parle de "réhabilitation d’un sentier". "réhabiliter" signifie restaurer dans sa fonction première. Or ici, il s’agit de route pour voitures. Ce n’est pas une "réhabilitation", mais une "réaffectation". De plus, le sentier actuel a une pente trop forte, Il faudra bien créer une NOUVELLE ROUTE, quoi qu’on en dise. Mortada veut même nous faire croire que le sentier menant au village n’est que le prolongement de celui qui mène à Qannoubine et et donc soumis aux mêmes règles, alors que, pour Qannoubine, a toujours existé une ROUTE.

    Yves Prevost

    00 h 41, le 04 mars 2025

  • De quels "habitants" parle-t-on? Actuellement, ils ne sont que 2! Si le village est vide, c’est que ses habitants se sont entre-tués dans les années 80. Ces villageois étaient des métayers, censés exploiter les terres, et verser au patriarcat propriétaire une partie des revenus, Les terres n’ayant pas été cultivées depuis des décennies, le contrat de métairie est devenu caduc, et les anciens habitants n’ont aucun droit sinon ceux que le patriarcat veut bien leur concéder.

    Yves Prevost

    00 h 40, le 04 mars 2025

  • Le patriarcat a tort et devrait consulter comment préserver ce site des gens loin de son entourage de cimentier et bétonnier

    CBG

    21 h 21, le 03 mars 2025

  • On ne touche pas à la vallée sainte. Celle-ci appartient au patrimoine de l’humanité!

    R.E.K.

    20 h 40, le 03 mars 2025

  • Guerre ou Paix : Les libanais s’acharnent à tout détruire. MAR MONEY ! Les VALLÉES SAINTES (??) Allons du sérieux : SAINTE ? Peut-être très bientôt une AUTOROUTE au fond de la vallée, direction MAR LICHA - MAR HAWKA, : les Resto Abou GEORGES, Abou JOSEPH, puis Rondpoint : direction autoroute KOZHAYA : falafel/chawarma MAR CHARBEL, Resto/dancing ABOU FOUAD . Autres exemples ? Toute la cote, les plages. OUI aux promoteurs qui ont déjà investi beaucoup d’ARGENT ! OUI à nos EXPERTS ENVIRONNEMENTAUX. N’est-ce pas ? Dans ces cadastres grignotez du côté DE TOUS LES TEMPLES…

    aliosha

    18 h 36, le 03 mars 2025

  • C'est une honte qu'un tel projet soit même imaginé ... détruire un des rares endroits au Liban protégé par sa configuration et par son histoire et qui se mérite des efforts afin de le visiter et l'explorer, tout cela pour permettre à une horde de personnes motorisés de polluer et détruire au final un tel site.

    Zeidan

    17 h 33, le 03 mars 2025

  • on s'attendrait a une reaction plus que forte de la part de Raii... mais non il laisse faire pour que, a l'avenir, cette valee sainte soit frenquentee par des milliers de touristes locaux.... qui se feront un plaisir -voulu -ou pas de la salir de leurs detritus suite a des pic nic et autres festivites... BRAVO Mg R RAII !

    L’acidulé

    14 h 58, le 03 mars 2025

  • Au-delà de l'aspect écologique et patrimonial, l'ajout d'un accès automobile créera ce qu'on appelle un trafic induit. Si le site n'est pas accessible pour tout le monde, c'est triste mais c'est c'est le prix à payer pour sauver ce patrimoine.

    Nacouzi Jacques

    13 h 19, le 03 mars 2025

  • On ba pouvoir construire des restaurants et des hotels, et plus personne ne voudra plus visiter. Comme d’hab.

    Gros Gnon

    13 h 14, le 03 mars 2025

  • Si j'ai bonne mémoire, je suis allé à Quannoubine et je me suis juré de ne plus jamais y aller. La seule route est dangeureuse ( en voiture) et si une voiture vient en face, pas évident de manipuler. Bref, si c'est de cette même route dont il s'agit?? Je trouverai naturel voire obligatoire d'ouvrir une route " sécurisée" pour les pélerins afin d'y avoir accès sans risque de tomber dans un ravin. D'autant plus que pour de nombreux pélerins, il ne peuvent pas arpenter à pied, la route sinieuse. Question d'âge et de santé aussi. Bref, si cela ramène un confort et une sécurité? Mille fois oui.

    LE FRANCOPHONE

    11 h 30, le 03 mars 2025

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