Critiques littéraires Histoire

Le maréchal Pétain, de Verdun à la collaboration

Ce livre est avant tout le rétablissement d’un certain nombre de vérités même s’il prend parfois la forme d’un réquisitoire. 

Le maréchal Pétain, de Verdun à la collaboration

D.R.

Avec Pétain (PUF, 2024), Jean-Yves Le Naour, historien réputé de la Première Guerre mondiale, nous donne ici un essai sur ce que Pétain a représenté dans l’histoire de France et sur la mythologie qui l’accompagne jusqu’à nos jours.

Une approche de ce genre passe d’abord par la rencontre entre un homme et son temps. Issu d’une famille paysanne et très tôt orphelin de mère, il a eu une enfance assez malheureuse, frustré d’amour et de tendresse. Il aura toujours tendance à avoir peur devant les risques. Entré dans l’armée en 1876 en passant de justesse le concours d’officier, il a une carrière honorable d’officier. L’armée sera son monde. Il reste sur la réserve dans les questions politiques, ce qui lui donnera une réputation d’officier « républicain ». Vieux garçon, c’est un habitué des bordels.

Alors qu’il est au bord de la retraite, la Grande Guerre le propulse en quelques mois au premier rang. En moins d’un an, il devient commandant d’une armée. Sa propension à la prudence s’accroît par la leçon des faits : tant que la supériorité des forces matérielles n’est pas acquise, il convient de rester sur la défensive. En attendant, si l’on pouvait s’abstenir de condamner des dizaines de milliers d’hommes à la mort, ce ne serait pas plus mal.

Sa gloire de vainqueur de Verdun est en partie usurpée. C’est le général de Castelnau qui a arrêté l’attaque allemande. En deux mois de commandement direct à Verdun, du 26 février au 30 avril 1916, Pétain n’a pourtant pas démérité, mettant en place les fondements d’une défense efficace, en particulier dans le domaine de la logistique. Mais il imagine le pire et envisage en permanence le risque d’une défaite. Il est ensuite remplacé par Nivelle qui reprend le terrain perdu. Ce dernier se déconsidéra par la terrible boucherie de la bataille du Chemin des Dames.

Le 19 mai 1917, il devient commandant en chef. Il adopte la stratégie des offensives limitées. Il mène une répression assez dure des mutineries, mais améliore considérablement le sort matériel des fantassins. Pour les soldats, il est l’homme qui prend soin d’eux. En 1918, son rôle est crucial grâce à sa conception très contestée de la défense élastique. C’est certainement son vrai fait d’armes.

Dans l’entre-deux-guerres, il est couvert d’honneurs partageant largement les idées des officiers supérieurs de son temps : une défiance à l’égard des élus du suffrage universel, un antiparlementarisme plus ou moins virulent, une aspiration à la régénération du régime avec pour boussole le renforcement des pouvoirs présidentiels et la création d’une chambre économique et sociale pour substituer les intérêts communs à la politique et en finir avec la lutte des classes. Pour la droite, il devient un homme providentiel, son âge avancé étant un gage sinon de sagesse, en tout cas de désintéressement. Il n’a d’autres ambitions que celle de venir en aide à la France puisque l’ensemble de sa carrière est derrière lui. Entouré de flatteurs, écrasé d’éloges, sollicité par différents gouvernements, il s’enferme dans un égocentrisme que tempère son souci militaire de servir.

À 84 ans, la défaite de 1940 l’amène au pouvoir. Il reçoit les pleins pouvoirs par des parlementaires assommés, intimidés ou tout simplement pressés de se déresponsabiliser. Sa référence est le passé : la communauté familiale, le monde rural, le bon travailleur respectueux de la religion et des traditions. Sa méfiance se porte sur la ville, l’industrie, l’ouvrier, l’individu qui croit avoir des droits et en oublie ses devoirs. Il est ouvertement hostile envers le libéralisme et le socialisme, deux erreurs qu’il veut corriger par un corporatisme venant du catholicisme social : plus d’exploitation capitaliste ni de lutte des classes, une société harmonieuse vidée de tout esprit revendicatif et où chacun est à sa place.

Il fait preuve d’un antisémitisme convaincu et somme toute assez banal, qui ne repose pas plus sur la lecture biologique du nazisme que sur la lecture religieuse dénonçant le peuple déicide, mais sur une perception xénophobe concevant les Juifs comme un corps étranger ayant trop d’influence. Ils sont vus comme des hommes d’argent et de pouvoir.

Si les Français ont adulé Pétain, ils n’ont jamais soutenu la politique de collaboration qui est pourtant bien l’œuvre du chef de l’État français. Le but est, selon lui, d’épargner des malheurs à la France. Bien souvent son régime préfère anticiper les demandes des occupants pour se donner une illusion de souveraineté. Il en est ainsi de la participation de l’État français à la Shoah. Après novembre 1942, Pétain n’est plus qu’une potiche : il sert plus les intérêts allemands qu’il ne protège les Français.

La dernière partie du livre qui va jusqu’à la candidature de Zemmour est consacrée aux conflits mémoriels autour de ce personnage.

Ce livre est avant tout le rétablissement d’un certain nombre de vérités même s’il prend parfois la forme d’un réquisitoire. Il en tire sa grande utilité à un moment où, dans une société qui a pourtant totalement changé, on voit resurgir un certain nombre de thématiques du pétainisme en particulier en matière de xénophobie et d’identité française.

Au-delà, la vie de Pétain pose une question essentielle : rien de tout cela ne se serait passé si l’octogénaire n’avait pas eu une excellente santé contrairement aux autres maréchaux de la Grande Guerre. Son action politique se comprend avant tout par sa psychologie. Sans lui, il y aurait probablement eu un régime collaborateur en France, mais il n’aurait pas eu une telle assise sociale.


Pétain de Jean-Yves Le Naour, PUF, 2024, 240 p.


Avec Pétain (PUF, 2024), Jean-Yves Le Naour, historien réputé de la Première Guerre mondiale, nous donne ici un essai sur ce que Pétain a représenté dans l’histoire de France et sur la mythologie qui l’accompagne jusqu’à nos jours.Une approche de ce genre passe d’abord par la rencontre entre un homme et son temps. Issu d’une famille paysanne et très tôt orphelin de...
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