
Le gouvernement de Nawaf Salam au Parlement libanais, au premier jour d'une séance consacrée au vote de confiance, le 25 février 2025, à Beyrouth. Photo Hassan Ibrahim/Parlement libanais
Le vote de confiance écrasant accordé cette semaine au nouveau Conseil des ministres est venu parachever une séquence synonyme d’espoir pour l'avenir du pays. Cette séquence a commencé en janvier avec le discours d'investiture du président Joseph Aoun, qui s'est engagé à placer toutes les armes sous le contrôle de l'État, à réformer le système judiciaire et à éradiquer la corruption. Avec la nomination inattendue de Nawaf Salam au poste de Premier ministre, puis la formation de son cabinet – composé essentiellement de technocrates – est venu un changement fondamental semblant soudain à portée de main.
Malgré cet élan initial, le chemin qui reste à parcourir reste escarpé : si les problèmes du Liban n'étaient que techniques, ils auraient été résolus depuis longtemps. Le pays ne manque pas de connaissances et d'expertise et, au fil des décennies, de nombreux efforts de réforme ont été entrepris. Ils ont tous échoué dans le feu croisé des luttes de pouvoir communautaires et de l'accaparement de l'État par une classe dirigeante enracinée. Et c’est sans doute dans ce qui suscite l’espoir aujourd’hui que se risque de se situer la faiblesse du tandem exécutif lorsqu’il s’agira de mettre en œuvre la politique annoncée : aucun des deux n'est empêtré dans les centres de pouvoir traditionnels du Liban ou ne leur est redevable. Avant d'entrer en fonction, M. Aoun était le commandant ferme et sans état d'âme des forces armées libanaises. M. Salam, qui a quitté son poste de président de la Cour internationale de justice pour revenir au Liban, pourrait difficilement avoir un CV plus étincelant d'intégrité. Cependant, ce n'est pas leur réputation qui les a portés au pouvoir, mais un coup de pouce de l'étranger : Washington, Paris et Riyad ayant tiré parti de l'affaiblissement du Hezbollah à la suite de la guerre avec Israël pour faire pression sur l'élite politique libanaise pour qu’elle approuve ces candidats.
Champ de mines
Pendant de nombreuses années, le refrain commun, et justifié, a été que la tutelle du Hezbollah empêchait la réforme de l'État et perpétuait ses maux. Cependant, le parti étant désormais en retrait, les nombreuses autres impasses qui le dépassent apparaissent au grand jour. La première est déjà apparente : un bloc de dirigeants sunnites traditionnels, furieux que Salam n'ait respecté aucun de leurs choix pour les nominations ministérielles, se montre de plus en plus critique à l'égard du Premier ministre. Cela est d'autant plus remarquable que ces dirigeants devraient faire partie de son électorat naturel, dans la logique confessionnelle qui prévaut au Liban. De même, M. Aoun ne bénéficie pas d'un soutien significatif de la part des deux plus grands partis chrétiens du Liban : les parlementaires du Courant patriotique libre (CPL) ont refusé de voter pour lui (tout comme ils ont refusé la confiance au gouvernement Salam cette semaine), tandis que ceux des Forces libanaises ne l'ont fait qu'à la demande des autorités françaises.
Cette opposition naissante laisse présager le champ de mines qui s'annonce : chaque décision politique majeure prise par Aoun et Salam est sûre de menacer les intérêts d'une partie de l'élite dirigeante libanaise. Bien que ces élites n'aient pas suffisamment d'influence pour faire dérailler le programme du gouvernement, chacune d'entre elles peut compliquer le processus de différentes manières. Si rien n'est fait, il ne faudra pas longtemps à ces forces d'opposition pour accumuler collectivement suffisamment d'inertie pour bloquer le processus de réforme.
Ce champ de mines politique n'est pas nouveau. Le défunt Premier ministre Rafic Hariri a cherché de la même manière à réformer radicalement le pays dans les années 1990, à la suite d'une guerre civile dévastatrice qui a duré 15 ans. Avant son assassinat en 2005, son mandat a été marqué par des blocages constants de son approche néolibérale de la reconstruction du Liban. Pourtant, qu'on l'aime ou qu'on le déteste, il est indéniable qu'il a réussi à imposer une grande partie de son programme. Cela est principalement dû à l'ensemble des forces catalytiques qui ont mis du vent dans ses voiles. Tout d'abord, il y a eu le consensus international : les États-Unis, la France, l'Arabie saoudite et la Syrie ont convenu que Damas imposerait la stabilité au Liban tandis que cet homme de confiance de Riyad le reconstruirait. Le facteur suivant était Hariri lui-même, un homme d'affaires milliardaire emblématique soutenu par l'Arabie saoudite et proche confident de l'ancien président français Jacques Chirac. Pourtant, malgré son poids, les réalisations de M. Hariri au sein du gouvernement n'ont pas été à la hauteur de ses objectifs.
Préparer 2026
Aujourd'hui, Nawaf Salam n'a pas l'influence de Hariri. La force brute internationale a contribué à les propulser, lui et Aoun, au pouvoir, mais il n'y a pas de consensus parmi les puissances mondiales pour soutenir leur programme de réformes. Salam n'a pas non plus le poids politique, la fortune personnelle ou les réseaux de mécénat nécessaires pour surmonter les nombreux obstacles auxquels son programme sera confronté.
Cela ne veut pas dire que son mandat est voué à l'échec, mais plutôt qu'il nous incombe d'être réalistes quant à ce qui est possible à court terme : relancer l'économie, rétablir la sécurité dans tout le pays et relancer les fonctions de base des services de l'État. En stoppant la descente du Liban, nous ouvrons la porte à la prochaine étape pour renforcer le mouvement réformateur : les élections parlementaires de 2026.
Les élections de 2022 ont vu 13 membres du Parlement issus du nouveau Bloc du changement, partisan de la réforme, remporter des sièges, perçant l'armure des partis traditionnels qui, jusqu'alors, semblait impénétrable. C'est au sein de ce groupe que la candidature de M. Salam a vu le jour et qu'elle a pris de l'ampleur et bénéficié d'un soutien international, ce qui prouve que leur petite présence au sein du corps législatif ne leur empêche pas d’avoir un impact majeur. Leur influence ne fait que croître au fur et à mesure que leur nombre augmente.
L'objectif le plus évident pour continuer à gagner du terrain sur les partis traditionnels est de briser l'emprise du Hezbollah sur la représentation de la communauté chiite. L'hégémonie du parti sur l'attribution des sièges parlementaires aux chiites semble vulnérable alors qu'il s'efforce de reconstruire et de remplacer ses dirigeants. En outre, l'état désastreux du pays et la soif renouvelée de l’opinion pour un changement significatif exposent toutes les sphères d'influence sectaires traditionnelles du Liban.
Joseph Aoun et Nawaf Salam ne sont pas des faiseurs de miracles. Leur gouvernement ne démantèlera pas des décennies de corruption en un seul mandat. Au lieu de grandes victoires, l'objectif devrait être de stabiliser le pays et d'ouvrir la voie à des réformes plus profondes après les élections de 2026. Pour l'instant, la priorité n'est pas la perfection, mais le progrès, et cela demande de la patience.
Par Spencer OSBERG, rédacteur au laboratoire d’idées Badil.
et Adam CHAMSEDDINE, conseiller politique au laboratoire d’idées Badil.
Mais l’espoir est permis car si le tandem au pouvoir part avec un défaut ã la cuirasse, celui-ci peut ne pas lui être fatal: “Je suis armé d'une cuirasse qui n'est faite que de défauts” a dit Pierre Reverdy et les législatives de 2026 peuvent significativement changer ka donne.
12 h 26, le 01 mars 2025