Il faut imaginer une ploutocratie à l’échelle mondiale. Un monde où seuls les pays riches ont droit de cité et, à l’intérieur de ces pays riches, seuls les riches imposent des lois à la dimension de leurs intérêts. Si les États-Unis de Trump imaginent s’offrir le détroit de Panama, le Canada, le Mexique, Gaza ou même l’Ukraine, alors les enchères sont ouvertes sur l’ensemble de la mappemonde. Qu’est-ce qui empêcherait désormais n’importe quel pays de lancer une OPA sur un voisin plus faible dont il convoiterait les atouts ? La puissance croissante des technologies et de ceux qui les possèdent annonce une ère dystopique dont les quatre ans de mandat du président américain ne seront que les prémices. On observe déjà, à très grande échelle, une accélération de la dégradation des valeurs humaines, une inquiétante reptation de l’ignorance, une tendance à permettre sans nuance l’usage déséquilibré de la force avec les plus faibles. La vision trumpienne se résume, semble-t-il, à régler les conflits avec l’argent, tantôt bâton, tantôt carotte. Celui qui a promis que l’Amérique ne s’impliquerait plus dans de nouvelles guerres, « parce que les gens veulent vivre », a omis la guerre commerciale qu’il vient de déclarer au reste de la planète. On ne meurt pas que d’obus ou de missiles. La raréfaction des ressources est un enjeu brutal et l’on sait depuis longtemps que la moindre goutte d’eau, la moindre terre arable sous un climat propice à l’agriculture, le moindre atome de pétrole, de gaz, voire d’oxygène, sans compter ces métaux rares si nécessaires à la fabrication des objets connectés et ces voies de navigation de l’Arctique, aubaines du réchauffement climatique, vont servir de prétexte à toute sorte de chantages, razzias et expropriations, et sans aucun doute de guerres impitoyables.
Plus près de nous, à la lumière du nouveau monde qui s’annonce, on peut sans se tromper faire une croix sur Gaza. Aucun argument humanitaire ou simplement humain ne fera le poids face aux pressions américaines sur la Jordanie et l’Égypte où l’on entend déporter les Palestiniens. Ni Israël ni les États-Unis ne sont disposés à s’émouvoir du destin de deux millions d’êtres humains qui considèrent cette terre comme leur foyer, ayant de plus réussi à y créer, ces dernières années, une certaine douceur de vivre malgré son statut informel de ghetto. Gaza est détruit. Il faudra des milliards pour le reconstruire. À moins d’y planter des tentes et d’y consentir à un fatal dénuement, la bande palestinienne n’est plus viable et, dans de telles conditions, elle ne peut être que terreau de revanche et ferment de guerres à venir. Malheur aux faibles, surtout s’ils sont en colère.
Deux avions israéliens ont franchi hier soir le mur du son au-dessus de Beyrouth. Comme un rappel à ceux qui seraient tentés de protester contre l’intention israélienne, avec l’assentiment américain, de ne pas évacuer à la date convenue du 18 février un certain nombre de zones occupées. Comme un rappel qu’Israël est maître du ciel autant que de la terre, de la paix que de la guerre. Humiliation supplémentaire pour un Hezbollah défait qui n’a plus d’autre ambition que celle d’enterrer son chef assassiné, Hassan Nasrallah, et par la même occasion recompter ce qu’il lui reste de fidèles dans un monde dont il ne possède plus les codes. Autour de cette communauté désenchantée qui veut encore croire au « triomphe du sang sur l’épée », un Liban plus pragmatique s’inquiète, lui, du triomphe de l’argent sur le droit. Le Sud rasé, la banlieue désertée ont urgemment besoin d’aides financières pour se rétablir. Si tant est qu’en plus des contributions nécessaires pour éventuellement reconstruire Gaza il se trouve encore des fonds pour redresser notre pays, la contrepartie risque d’être pour le Liban une douloureuse série de concessions.
Les habitants de la banlieue sud ne se plaignent pas. Ils ont fait une promesse à leur feu leader de mourir pour lui jusqu’au dernier et ils l’ont tenue, contrairement à lui qui leur avait promis protection et prospérité et les voilà qui se trouvent sans toit et exposés au feu et à la mort à ciel ouvert. A les entendre, ils sont prêts à renouveler l’expérience. Les clauses de l’accord contre un cessez-le-feu ne sont pas respectées par ce parti, alors pourquoi s’étonnent ils du refus d’Israel de se retirer? HB croit pouvoir s’en sortir avec des bluffs comme d’habitude et reprendre du service?
11 h 27, le 13 février 2025