
La Cour pénale internationale, dont le siège est à La Haye (Pays-Bas), en septembre 2018. Martin Bertrand/Hans Lucas /AFP
La dévastation causée par une nouvelle guerre avec Israël et la chute du régime Assad ont mis à nu l’immense souffrance de notre peuple, révélant le besoin urgent d’une justice qui transcende les clivages politiques. Dans cette optique, la crédibilité, la souveraineté et la position morale de notre pays dépendent en grande partie d’une décision cruciale : ratifier le Statut de Rome et adhérer à la Cour pénale internationale (CPI). Depuis des décennies, le Liban subit des violations du droit international, les civils étant les plus touchés par ces atrocités. Des bombardements aveugles à la destruction d’infrastructures vitales, ces actes, dont beaucoup constituent des crimes de guerre, exigent un examen impartial. La CPI offre au Liban un mécanisme solide et internationalement reconnu pour faire face à ces violations et garantir l’obligation de redevabilité. Toutefois, notre choix de poursuivre la justice ne peut être sélectif ; il doit refléter un engagement universel à rendre des comptes, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays.
La ratification du Statut de Rome n’est pas un simple geste symbolique ; il s’agit d’une démarche stratégique visant à protéger la souveraineté du Liban et à garantir la justice pour ses citoyens. La CPI offre une plateforme pour enquêter et poursuivre les crimes de guerre commis sur le sol libanais ou par ses ressortissants. Les mandats d’arrêt récemment délivrés à l’encontre de dirigeants israéliens, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahu et l’ancien ministre de la défense Yoav Galant, pour des crimes de guerre présumés en Palestine, montrent que la Cour n’est pas assujettie à la puissance géopolitique. Le Liban doit tirer parti de cette impartialité pour présenter des preuves des crimes commis contre son peuple.
Mais la justice ne peut s’arrêter à nos frontières. Le Hezbollah, qui fait partie intégrante du tissu politique libanais tout en le polarisant, doit également se soumettre à ce nouveau paradigme de responsabilité. Alors que ses dirigeants dénoncent les crimes de guerre israéliens, ils s’opposent à l’adhésion du Liban à la CPI, craignant un examen minutieux de leurs propres actions. Cette contradiction mine la crédibilité du Liban. La justice doit aller dans les deux sens ; sinon, elle devient une rhétorique creuse, qui érode la confiance de l’opinion et le soutien international.
Le Hezbollah se doit d’être cohérent
Le Hezbollah et ses alliés ne peuvent à la fois qualifier les dirigeants israéliens de criminels de guerre et empêcher le Liban de présenter les preuves de ces crimes à des procureurs indépendants et impartiaux de la CPI. Cette hypocrisie affaiblit non seulement la crédibilité du Liban, mais aussi la prétention du Hezbollah à défendre la souveraineté et la justice libanaises. Si le Hezbollah ne vise réellement que les infrastructures militaires, comme il l’affirme, il ne devrait pas avoir d’objection à ce que la CPI l’examine. En effet, une cour neutre serait l’occasion pour le Hezbollah de démontrer son adhésion au droit international.
En s’opposant à la ratification de la CPI, le Hezbollah envoie un message troublant : il craint de devoir rendre des comptes, non seulement pour les autres, mais aussi pour lui-même. Cette attitude est conforme à ses antécédents en matière de blocage des mécanismes de justice, qu’il s’agisse de l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth en 2020 ou d’autres enquêtes sur des actions nationales et régionales. Cette résistance ne fait que renforcer l’idée que le Hezbollah agit au-dessus du droit libanais et du droit international, une position de plus en plus intenable alors que le Liban est aux prises avec les retombées de la guerre désastreuse avec Israël.
Les inquiétudes concernant la compétence de la CPI sur des actions passées, telles que l’implication du Hezbollah en Syrie, peuvent être atténuées. Le Liban a la possibilité de limiter la compétence de la Cour aux crimes commis pendant la guerre civile syrienne en soumettant à la CPI une déclaration par laquelle il se soumet à sa compétence à partir d’une certaine date. Bien qu’elle ne soit pas idéale, cette approche offre un compromis pragmatique, permettant au Liban de s’attaquer au conflit actuel tout en évitant les affaires politiquement délicates du passé. Si le Hezbollah est attaché à la justice, il devrait accueillir favorablement cette voie.
Après la chute de son allié Bachar el-Assad, en Syrie, le parti doit reconnaître que la survie du Liban dépend d’un engagement unifié en faveur de la responsabilité. Une justice sélective n’est pas une justice tout court, et tant qu’une partie cherchera à se soustraire à l’examen, la voie du Liban vers la paix et la réconciliation restera bloquée.
Critiques infondées
Les opposants à la ratification de la CPI font valoir qu’elle pourrait exposer les acteurs libanais, y compris le Hezbollah, à des poursuites. Cette crainte révèle toutefois un problème plus profond : la résistance à l’obligation de rendre des comptes de manière impartiale. En bloquant l’adhésion du Liban à la CPI, ces factions sapent le principe même de la justice qu’elles prétendent défendre.
Une autre critique courante est que la CPI cible de manière disproportionnée les nations les plus faibles tout en épargnant les États puissants. Cependant, les antécédents de la Cour réfutent cette affirmation. Les affaires récentes contre les dirigeants israéliens et le président russe Vladimir Poutine illustrent sa volonté de poursuivre la justice indépendamment du pouvoir politique. L’adhésion à la CPI n’est pas un abandon de souveraineté ; c’est l’affirmation du droit du Liban à demander justice à ses conditions.
En outre, les critiques affirment que les procédures de la CPI sont lentes et manquent de pouvoir d’exécution. S’il est vrai que les enquêtes de la CPI peuvent durer des années, la juridiction de la Cour a un effet dissuasif puissant. Les auteurs de crimes qui savent qu’ils peuvent faire l’objet de poursuites internationales sont moins susceptibles de commettre des atrocités. Pour le Liban, cet effet dissuasif pourrait se traduire par une plus grande protection des civils et un cadre plus solide pour la sauvegarde des droits de l’homme.
Un tournant pour le Liban
L’histoire de notre pays, marquée par des griefs non résolus – qu’il s’agisse de l’explosion au port de Beyrouth en 2020 ou de l’héritage de la guerre en Syrie –, a laissé de profondes cicatrices. L’adhésion à la CPI marquerait une rupture avec le cycle de l’impunité. Elle renforcerait le système judiciaire libanais en offrant un cadre neutre pour traiter les crimes commis par toutes les parties, nationales et étrangères. Il ne s’agit pas de cibler des groupes spécifiques, mais de créer une culture de la responsabilité qui protège tous les Libanais.
La ratification présente également des avantages diplomatiques significatifs. Elle rehausserait la position du Liban sur la scène internationale, en nous alignant sur les normes de la justice internationale et en ralliant le soutien d’alliés attachés à l’État de droit. La surveillance exercée par la CPI pourrait avoir un effet dissuasif sur les violations futures, offrant ainsi une certaine sécurité aux communautés les plus vulnérables du Liban.
La ratification du Statut de Rome exige du courage politique et une volonté collective. La résistance du Hezbollah et d’autres factions doit être confrontée à une vision unifiée de l’avenir du Liban, où la justice n’est pas sélective, mais universelle. En adhérant à la CPI, le Liban enverrait un message clair : nous sommes une nation qui accorde de l’importance à la responsabilité, à la souveraineté et à l’État de droit.
Il est temps d’agir. Le Liban ne peut pas se permettre de laisser passer cette occasion. La justice n’est pas seulement un idéal abstrait, elle est le fondement de la paix, de la stabilité et de la résilience nationales. Sans elle, le Liban continuera à s’enfoncer dans la division et le dysfonctionnement. En adhérant à la CPI, nous pouvons tracer une nouvelle voie, ancrée dans la responsabilité, la justice et l’espoir pour les générations à venir.
Par Cynthia ZARAZIR
Députée.
Tout à fait d'accord si les libanais veulent pouvoir recourir à la justice et non aux armes pour faire valoir leurs droits.
07 h 04, le 18 février 2025