Avec la réélection de Donald Trump, on s’attendait à vivre un Grand 8 avec peut-être un espoir que les promesses pour une ère où les États-Unis ne s’engageraient plus dans de nouvelles guerres amortiraient le choc des initiatives d’un promoteur immobilier à la tête de l’une des grandes puissances de la planète. Mais non. Voilà qu’après la guerre commerciale déclarée aux partenaires traditionnels des USA, le retrait des organismes de solidarité internationaux, les visées ouvertes sur le Canada et le Groenland, l’expulsion des travailleurs immigrés, le nouveau plan le plus cher au cœur du président reconduit est de chasser les populations de Gaza vers les pays voisins.
« Les États-Unis vont prendre le contrôle de la bande de Gaza, la raser et éliminer toutes les bombes et armes dangereuses », a-t-il déclaré. « Nous allons créer des emplois et des logements », abondait-il aussi, lors de sa conférence de presse en présence du président israélien Benjamin Netanyahu à la Maison-Blanche. Rien que de très louable s’il n’avait ajouté : « Et nous pensons que les quelque deux millions de Palestiniens devraient être réinstallés dans d’autres États arabes. »
Deux millions de Palestiniens, négligeables obstacles humains devant la réalisation, sur ce « site de démolition » tel qu’il le qualifie, du projet merveilleux que pourrait être une « Riviera du Moyen-Orient ». Ce discours vaut à Trump, de la part de Netanyahu, un cadeau chargé de complicité et de symboles : un pager en or. En retour, le président américain qui n’a pas besoin d’en faire davantage, offre à son homologue, si homologue il peut avoir, une photo de leur tandem dédicacée « À Bibi, un grand leader ».
Ils pensent donc à l’unisson, ces deux grands hommes. L’un casse les œufs, l’autre bat l’omelette. Les deux se congratulent avec une joie et une fierté sincère, monuments complémentaires d’un nouveau style de gouvernance à la croisée du cynisme et de la vulgarité. Au moins, vous dira-t-on, ils sont « cash ». Pourquoi d’ailleurs, avec leur supériorité militaire, s’embêteraient-ils à chercher des euphémismes pour faire passer leur grosse pilule à des peuples de peu ? La nouvelle jungle mondiale qui s’annonce, et dans laquelle Trump feule à petit bruit, vaut bien tous les modèles de jungles : seule y prévaut la loi du plus fort. Mais cette fois sans compensations, sans le papier de soie de l’USaid, sans cracher au bassinet de l’OMS. Les aides se feront au bon plaisir et l’on séparera ainsi le bon grain de l’ivraie, les gentils des méchants, ceux qui nous aiment (même en se forçant) de ceux qui ne nous aiment pas (et n’osent pas toujours le dire).
Aux commandes d’un bulldozer, Donald Trump, 78 ans, veut défricher le monde de demain pour ses coéquipiers d’aujourd’hui. Peu importe qu’il y ait sur cette planète des habitants qui en feraient les frais. De toute façon, ils ne comptent pas. Gaza, Riviera, même combat. Une fois les démolitions achevées et les gravats charriés à la mer, la bande plate sera réaménagée en platebande. Sur les ossements des enfants, sur le ventre crevé des mères, sur les larmes et le sang et les ruines d’une des guerres les plus disproportionnées de l’histoire de l’humanité, on planterait des cyprès et des pins parasols, et aussi des parasols rayés, des frangipaniers et du jasmin. Sans doute quelque investisseur a-t-il déjà son idée de la couleur des transats. Il y aurait des marchands de glace et des marchands de ballons, des restaurants méditerranéens, des yachts en pavois, un palais des festivals et une corniche élégante. Il y aurait des villas et des palaces, du sable pour faire des châteaux et des plages pour s’aimer dans le sable.
Sur ces plages, quelques mois plus tôt, d’autres avaient planté des tentes au bord du chemin nu de l’exode, ayant fui leurs maisons bombardées. Dans ce sable, des enfants faméliques ont ramassé les miettes de pain, les grains de blé tombés des aides acheminées au lance-pierre ou littéralement parachutées sur la tête des habitants. Cette bande maudite dont les habitants se sont maudits eux-mêmes en se livrant par désespoir à la loi du Hamas, Trump et Netanyahu espèrent la récupérer vidée de son peuple. Où iront-ils, peu leur importe. Le mercato est lancé. Reste à savoir si le coût du transfert et des commissions versées aux pays d’accueil, ajouté à celui de la guerre, répercuté sur le prix du mètre carré réaménagé, ajouté à la satisfaction pour Israël de se débarrasser de ses plus intimes ennemis, fait de ce projet une bonne affaire. Il faudra compter aussi l’inéluctable vengeance de l’esprit des lieux, cette « bad vibe » mêlée à chaque atome de souffrance et d’injustice flottant sur cette terre et qui ne manquera pas de tourmenter l’étranger qui songerait à en faire sa plaisance.
Le plus hallucinant: le peuple qui a subi la Shoah, est enthousiaste pour CETTE proposition!
12 h 50, le 06 février 2025