
Tareh Khlat, un financier au grand cœur. Photo DR
À l’origine un refuge de nuit pour les sans-abri, créé en 1969 par le révérend Ken Leech, baptisé Centerpoint. Au fil des ans et des besoins, l’association a grandi, largement évolué pour pouvoir prendre en charge au quotidien quelque 2 000 jeunes en les accompagnant et en leur assurant un logement.
En mars 2024, c’est un Libanais d’origine, Tarek Khlat, qui succède à Symon Eliott, son administrateur depuis 2015 et président depuis 2017. Son président d’honneur n’est autre que le prince héritier William d’Angleterre, comme l’a été sa mère Lady Diana qui portait une attention très particulière à ce problème de la jeunesse. « Centrepoint accompagne chaque année environ 16 000 jeunes sans-abri aux côtés de ses partenaires, à travers l’hébergement, la psychothérapie, l’accès à l’emploi, à la formation et à l’éducation, explique le Libanais. L’an dernier, cette organisation a fourni des conseils à 7 500 jeunes sans-abri, via la ligne d’assistance Centrepoint, et a commencé à proposer des services de prévention de l’itinérance chez les jeunes dans les écoles. »
Né au Liban, Tarek Khlat a obtenu un BA en économie de l’Université de Georgetown et un MBA de la Harvard Business School. Établi à Londres, ce cinquantenaire s’est forgé une brillante carrière dans le monde de la finance auprès de Credit Suisse, JP Morgan et Crossbridge Capital, dont il est le cofondateur, et dans le journalisme auprès de CNN et Fox News. « Travailler dans le journalisme après l’université, et plus particulièrement à CNN où je dirigeais la division de collecte d’informations de CNN Financial News, m’a permis de couvrir un large éventail de sujets, notamment les meurtres, la drogue, la criminalité financière et la politique. Ces expériences m’ont ouvert les yeux sur l’immense responsabilité que nous devons assumer pour empêcher le public d’être induit en erreur par des individus ou des organisations. J’ai voulu porter le flambeau de la vérité, en agissant de manière indépendante et en veillant à ce que la voix des gens soit toujours entendue. Autant de valeurs qui sont restées au cœur de mes préoccupations personnelles et professionnelles. »
Consacrant le temps et l’énergie qu’il fallait dans son agenda chargé pour mener une activité intense dans le domaine humanitaire, il a reçu la distinction MBE (Most Excellent Order of the British Empire) qui lui a été décernée par la reine Elizabeth II en 2021 en reconnaissance de ses services rendus aux enfants du Royaume-Uni, en tant que membre de la NSPCC, la principale organisation caritative britannique qui lutte contre la maltraitance des enfants dans ce pays et dont il est toujours l’administrateur. Créée en 1917, cette médaille est décernée par le Royaume-Uni aux personnes qui ont apporté une contribution exceptionnelle à leur communauté, leur profession ou leur vie publique. Il précise : « Les compétences et la vision que j’ai développées dans le domaine de la finance ont joué un rôle déterminant dans l’orientation de mon travail philanthropique. Elles m’ont appris l’importance de la réflexion stratégique, de la planification à long terme et de l’établissement de relations basées sur la confiance. »
Du collège Louise Wegmann à la Harvard School
L’existence londonienne bien remplie de Tarek Khlat est tissée des fils très serrés qui le lient au Liban. Né à Beyrouth d’un père économiste et banquier de renom, Paul Khlat, et de Nadia née Hitti, il fréquente le collège Louise Wegmann. De ses premières années de scolarité, il se souvient avec émotion : « Les retrouvailles tôt le matin en attendant l’autocar avec les copains et voisins de la rue du Mexique où nous habitions restent inoubliables. Tous vêtus du fameux costume à rayures jaunes et blanches, on s’engouffrait avec joie dans le bus. C’était pour nous une randonnée vers Bchémoun, plutôt que le chemin de l’école ! » Il se souvient aussi des « belles trempettes » au Coral Beach, des jeux avec les voisins en extérieur, « quand les divertissements électroniques n’existaient pas », ou encore des visites à la famille de Tripoli (dont est originaire son père) et les promenades à vélo à travers Chemlane et Aley.
« Une des plus belles surprises de cette année reste pour moi la visite inattendue aux États-Unis où j’étais de passage de l’un de mes amis d’enfance et voisins. Ce fut un moment incroyable pour se reconnecter, se remémorer notre passé commun et réfléchir à ce qui aurait pu se passer si les troubles de la guerre au Liban n’avaient pas autant remodelé notre monde. »
Tarek Khlat recevant la distinction MBE (Most Excellent Order of the British Empire). Photo DR
De la finance au caritatif
Fondateur et PDG d’une plateforme de services financiers qui a toujours visé l’excellence et opéré dans plusieurs points du monde, il explique ainsi son immersion dans l’univers caritatif . « J’ai quitté le Liban à l’âge de huit ans pour un internat au Royaume-Uni où j’ai appris l’importance de la résilience, de la communauté et du pouvoir d’aider les autres. Ces premières leçons m’ont inculqué la notion d’engagement et la volonté de faire une différence dans la vie des moins fortunés. Elles m’ont aussi poussé à relever les nombreux défis liés à l’intégration dans une nouvelle culture et un nouvel environnement. » Très concerné et très actif au cœur de l’association britannique, il sait en toute lucidité que tout reste à faire, tous les jours. « L’année dernière, plus de 136 000 jeunes ont demandé de l’aide à leurs autorités locales parce qu’ils étaient sans-abri ou risquaient de le devenir. Ce chiffre alarmant souligne l’ampleur de la crise. De nombreuses personnes sont ainsi susceptibles de se cacher dans des situations précaires ou un logement insalubre. Notre ligne d’assistance a aidé à elle seule plus de 7 500 jeunes en 2024, leur offrant des conseils et des ressources essentielles. Chez Centrepoint, nous adoptons une approche holistique et personnalisée pour lutter contre l’itinérance chez les jeunes. Nos soins commencent par leur fournir un lieu d’accueil sûr et sécurisé, comblant ainsi un besoin fondamental qui manque à beaucoup d’entre eux lorsqu’ils viennent chez nous. »
Conscient également de la lourde responsabilité qui lui incombe, en tant que président armé d’une expérience réussie dans ses autres domaines de prédilection, il affirme à L’Orient-Le Jour : « En tant que président, mon rôle est de diriger Centrepoint pour répondre à la fois aux besoins immédiats et aux causes systémiques de l’itinérance chez les jeunes. Je m’appuie sur mon expérience en gouvernance, mon expérience dans les services financiers et les connaissances acquises en tant qu’administrateur à la NSPCC pour mener cette tâche. Un élément-clé de ma contribution consiste à m’appuyer sur le soutien et le plaidoyer de notre patron, le prince de Galles. Son engagement dans la lutte contre l’itinérance chez les jeunes s’aligne profondément sur la mission de Centrepoint. »
Et le Liban, dans ce combat qu’il a choisi de mener si bien ailleurs, alors que les souvenirs sont encore très présents, les émotions aussi ? « Les défis du Liban – instabilité économique, incertitude politique et difficultés sociales – sont profondément préoccupants. Cependant, ce qui continue de m’inspirer, c’est la résilience et l’ingéniosité inébranlables du peuple libanais. L’esprit humanitaire au Liban est palpable, avec d’innombrables individus et organisations qui se mobilisent pour soutenir ceux qui en ont besoin malgré des ressources limitées. Pour moi, résoudre ces problèmes systémiques nécessite des solutions collaboratives, où les efforts locaux sont soutenus par le soutien international et l’innovation stratégique. C’est un appel à l’action pour nous tous qui avons des liens avec le Liban, afin de contribuer de manière significative, que ce soit par le biais de plaidoyers, d’aide directe ou en favorisant les opportunités pour la prochaine générations. »