
Le président de la République, Joseph Aoun, le chef du Parlement, Nabih Berry, et le Premier ministre désigné, Nawaf Salam, à Baabda, le 14 janvier 2024. Photo tirée du compte Flickr du Parlement
« Je m’engage à former le gouvernement conformément aux dispositions de la Constitution et de l’accord de Taëf. » Cette phrase lancée par le Premier ministre désigné, Nawaf Salam, à Baabda au lendemain de sa nomination à son poste a résumé sa façon de faire pour accomplir sa tâche, à l’heure où la communauté internationale presse pour la mise sur pied rapide de la future équipe.
Mais en dépit de la volonté affichée par tous les protagonistes de faciliter la tâche au Premier ministre désigné, ce dernier se heurte à l’insistance du tandem chiite Amal-Hezbollah à maintenir dans son escarcelle le ministère régalien des Finances, aux mains du mouvement Amal depuis plus d’une décennie. En face, l’ex-chef de la Cour internationale de Justice est intraitable sur le principe : « Les Finances ne sont pas réservées à une communauté bien déterminée. Mais dans le même temps, aucune communauté ne devrait être privée de l’occuper », a-t-il dit mardi depuis Baabda. La riposte du duo chiite ne s’est pas fait attendre. C’est le président de la Chambre, Nabih Berry, qui s’en est chargé. Dans une interview accordée au site web Assas, il a affirmé sans ambages que l’accord de Taëf (1989) avait accordé ce portefeuille à la communauté chiite. Dans la forme donc, M. Berry a choisi d’affronter M. Salam avec la même arme que ce dernier emploie dans le cadre de la confrontation politique autour de la composition du cabinet. Mais dans le fond, ce bras de fer s’articule principalement autour des dispositions de Taëf et de leur interprétation. Que disent donc Taëf et la Constitution au sujet du ministère des Finances ?
La question se pose d’abord parce que les procès-verbaux des tractations ayant précédé la mise sur pied de l’accord dans la ville saoudienne de Taëf en 1989 (en vue de mettre fin à la guerre civile) n’ont jamais été divulgués. Il y a aussi le fait que plusieurs figures politiques de l’époque affirment que cette question avait été discutée sans pour autant avoir été consacrée dans les textes. C’est Boutros Harb, ancien député qui faisait partie de la délégation libanaise à Taëf, qui a tranché le débat. « Le document d’entente nationale (l’accord de Taëf) englobe tous les sujets qui ont fait l’objet d’un consensus. Et il est faux de dire que certaines questions ont été tranchées sans y être incluses. Si elles ne l’ont pas été, c’est parce qu’elles n’avaient pas fait l’objet d’une entente générale », a expliqué M. Harb dans un communiqué publié ce vendredi. Il a cependant reconnu que la question de l’attribution des Finances à la communauté chiite a été discutée lors des débats. « Mais elle n’a pas été adoptée, faute de consensus », a-t-il précisé, rappelant qu’aucun ministère n’a d’ailleurs été attribué exclusivement à une communauté déterminée, et ce « afin de consacrer la rotation et d’empêcher les monopoles ».
De toute évidence, ces propos ont de quoi déconstruire les arguments de Nabih Berry et consolider la position de Nawaf Salam qui se dit attaché à Taëf. D’ailleurs, la Constitution amendée en 1990 à la lumière de l’accord de 1989 n’accorde aucun ministère à une communauté. « L’alinéa J du préambule de la Constitution doublé de l’article 95 du texte stipulent, en substance, que les communautés religieuses devraient être représentées d’une façon juste et équitable au sein des institutions », explique à L’Orient-Le Jour Paul Morcos, constitutionnaliste. Il fait référence au dernier alinéa du préambule de la Constitution qui stipule qu’« aucune légitimité n’est reconnue à un pouvoir qui contredit le vivre-ensemble ».
Quant à l’article 95, il prévoit que « la Chambre des députés élue sur une base égalitaire entre musulmans et chrétiens doit prendre les dispositions adéquates en vue d’assurer la suppression du confessionnalisme politique (…). Durant la période intérimaire, les communautés seront représentées équitablement dans la formation du gouvernement. » « Cela veut dire que la répartition des ministères devrait être égalitaire entre chrétiens et musulmans, ni plus ni moins », tranche M. Morcos, estimant que ce qui va au-delà de cette interprétation ne relève que des pratiques (politiques), même pas des coutumes. Car toute pratique répétitive n’est pas coutume (dans le sens constitutionnel du terme). « La coutume se caractérise par la stabilité et la récurrence », rappelle l’expert. Il souligne que plusieurs portefeuilles ont été occupés à tour de rôle par plusieurs communautés.
Des sunnites et des chrétiens
Le ministère des Finances ne déroge pas à cette règle. Dans la période de l’après-Taëf, ce portefeuille a été, dans un premier temps, il est vrai, confié à des chiites. Ali el-Khalil (à ne pas confondre avec son lointain successeur Ali Hassan Khalil) en a été chargé au sein des cabinets de Salim Hoss (1989-1990) et de Omar Karamé (1990-1992). C’est ensuite Assaad Diab (originaire de Chmistar, à Baalbeck) qui a pris la relève dans le cadre du cabinet Rachid Solh (mai à octobre 1992).
C’est fort probablement cette répétition qui aurait poussé Nabih Berry à demander que les Finances restent entre les mains d’un chiite au sein du premier cabinet Rafic Hariri en 1992. Dans le cadre d’un deal en ce sens, le gouvernement devait en échange être autorisé à gouverner par décrets-lois, comme l’a rappelé le chef du législatif dans son interview. Mais cette entente est tombée à l’eau. À en croire M. Berry, Hariri n’a pas rempli sa part du marché parce qu’il a refusé d’avaliser la nomination de Rida Wahid (un chiite) aux Finances, comme le voulait M. Berry. En outre, comme l’a reconfirmé le président de la Chambre, le président syrien de l’époque, Hafez el-Assad, était loin d’être enthousiaste à l’idée de donner à Hariri les pleins pouvoirs.
Quoi qu’il en soit, c’est Rafic Hariri lui-même qui s’est chargé du ministère des Finances au sein de ses propres équipes ministérielles entre 1992 et 1998. Il est donc le premier sunnite à occuper ce poste après Taëf, assisté par son bras droit Fouad Siniora, désigné ministre d’État pour les Affaires financières. Cette démarche était alors jugée « naturelle » dans la mesure où le redressement économique et financier du pays, qui venait tout juste de sortir d’une longue guerre civile, était au centre des ambitions de Rafic Hariri.
Ce n’est qu’en 2000 que M. Siniora sera officiellement ministre des Finances, après le passage du maronite Georges Corm à la tête de ce ministère (1998-2000). Après Fouad Siniora, se succéderont à ce poste le grec-orthodoxe Élias Saba (2004-2005), les maronites Damien Kattar (2005) et Jihad Azour (2005-2008) ainsi que les sunnites Mohammad Chatah (2008-2009), Raya el-Hassan (2009-2011) et Mohammad Safadi (2011-2013). Saad Hariri mais aussi Nagib Mikati ont donc emboîté le pas à Rafic Hariri, sans que personne ne crie au scandale ni ne joue la carte de la conformité au pacte national, même après l’entrée en vigueur de l’accord de Doha (mai 2008). C’est avec la mise en place du cabinet de Tammam Salam (2014) que les chiites, en particulier le tandem Amal-Hezbollah, sont revenus à la tête du ministère des Finances. Ali Hassan Khalil y a été nommé en 2014 et est resté jusqu’en 2020 avant de céder la place à Ghazi Wazni, puis Youssef Khalil.
Changement du système ?
L’insistance de M. Berry à obtenir ce ministère régalien est donc éminemment politique. Elle trouve ses raisons dans la volonté des chiites d’apporter leur « quatrième signature » aux côtés de celles du président maronite et du chef du gouvernement sunnite (et du ministre concerné) aux décrets pris en Conseil des ministres et qui, dans leur écrasante majorité, ont un volet financier. C’est donc une façon pour la communauté de s’assurer une place prépondérante au sein du système en vigueur. Un forcing qui intervient à l’heure où d’aucuns craignent que le plaidoyer du tandem pour les Finances et le chantage qu’il pratique face à Nawaf Salam ne mène à un changement fondamental du système qui remplacerait la parité islamo-chrétienne par un système de partage par tiers. D’ailleurs, M. Berry s’en est défendu dans son interview. « Personne n’a intérêt à se lancer dans un tel chantier à l’heure actuelle », rassure Paul Morcos, dans la mesure où ce serait un saut dans l’inconnu. « Ils feraient mieux de commencer à appliquer la Constitution avant de songer à la changer », ironise-t-il.
En anglais cela s'appelle Bullying. SVP Mr Salam et Aoun n'ouvrez pas la boîte de Pandore, souvenez vous de 2005 et l'essai de la souveraineté non transformé suite au départ de Syriens. Un vaincu n'impose pas ses conditions, la majorité de la chambre, du peuple et des États amis vous appui .Avez peur de l'ombre de Nesrallah? Il faut confronter ses démons si vous n'en êtes pas capable prière de laisser la place à Mr Geagea et Rifi qui eux iront jusqu'au bout. A défaut de quoi il faut songer au divorce, Merci de publier.
08 h 59, le 28 janvier 2025