Comme ce fut le cas pour le choc pétrolier de 1973, la pandémie de Covid et bien d’autres remue-ménages qui ont affecté la vie sur Terre, c’est dans la fièvre, néanmoins tempérée par un prudent pragmatisme, que les dirigeants du monde entier font déjà leurs premiers pas dans cette toute nouvelle saison de l’ère Trump inaugurée lundi.
L’Amérique d’abord ? Curieusement ambigu, sinon grossièrement trompeur, est en effet le slogan cher au 47e président des États-Unis. La grandeur retrouvée, l’âge d’or qui commence : la rutilante promesse ne s’adresse pas, de toute évidence, aux seuls Américains. Elle n’émane pas d’un chef qui a tourné le dos aux querelles internationales pour se vouer à donner bien-être, sécurité intérieure et prospérité à ses concitoyens négligés par l’administration précédente. À peine investi dans sa fonction, et comme le laissaient déjà prévoir ses prises de position antérieures, Donald Trump n’a rien eu de plus pressé en réalité que de redonner du lustre à l’impérialisme américain dans sa déclinaison la plus détestable, car copieusement gratinée de colonialisme.
En initiant une guerre commerciale et douanière tous azimuts, le président républicain a fait souffler dès hier un vent de panique au sein du Parlement européen, mais aussi du Forum économique international de Davos. En fait, l’Américain a commencé par s’en prendre à ses voisins les plus proches, le Canada et le Mexique ; et il menace maintenant de recourir à ses forces armées pour refouler les immigrants clandestins venant de ce dernier pays qu’il y a moins de deux siècles, ses propres ancêtres dessaisissaient déjà de six immenses territoires allant du Texas à la Californie. Il replace Cuba sur la liste noire et se jure de reprendre le contrôle du canal de Panama ; allez savoir, peut-être même lorgne-t-il celui de Suez, récupéré par l’Égypte à la France et au Royaume-Uni. Et du moment que Washington a bien acheté la Louisiane aux Français et l’Alaska aux Russes, il ne perd pas espoir d’acquérir, au prix fort s’il le faut, le Groenland danois, sans doute encouragé en cela par les inquiétants oligarques qui l’entourent.
C’est d’une mission providentiellement messianique que se dit investi le récidiviste de la Maison-Blanche ; mais c’est dans le western noir qu’il s’est plutôt immergé, même s’il se défend de toute velléité d’engagement militaire, même s’il se promet au contraire de régler vite fait tous les conflits entre nations en faisant simplement preuve de réalisme et d’esprit pratique. À Poutine il fait ainsi remarquer qu’en persistant dans sa guerre contre l’Ukraine, il court à un véritable suicide économique et politique ; et à Zelenski, il rappelle que tout accord devra forcément tenir compte des réalités nouvelles apparues sur le terrain…
C’est cependant dans notre partie du monde que le faux réalisme de paix prôné par l’âpre businessman se trouve le plus clairement démenti. En même temps qu’il graciait les centaines de ses supporters qui avaient pris d’assaut le Capitole, Trump n’a pas manqué de lever les sanctions édictées par Joe Biden contre les colons juifs coupables de violences en Cisjordanie. Par-delà l’atavique nostalgie de la conquête de l’Ouest qu’il révèle, un geste aussi outrancier ne pouvait être interprété par les Palestiniens indignés que comme une franche incitation au crime et à la dépossession. Il ne saurait donc, en toute raison, mener à une quelconque extension de ces accords d’Abraham dont s’enorgueillit le président US, et encore moins à une solution équitable du conflit de la Terre sainte.
Réalisé in extremis, à la veille de l’entrée en fonction du président, l’accord de cessez-le-feu à Gaza a certes enflammé les imaginations. On a pu y voir une soumission d’Israël à une injonction américaine ressemblant à s’y méprendre à un ultimatum. De toutes les prises de position arabes saluant l’ère Trump, c’est celle du nouveau maître de la Syrie, un repenti des ultra-radicaux islamistes, qui frappe le plus ; à en croire Ahmad el-Chareh, c’est en effet ce personnage qui ramènera la paix et la stabilité dans notre région.
Encore faut-il que le concerné en soit lui-même convaincu, autrement qu’en paroles. Alors, l’homme du miracle, le seul être vivant capable, s’il le veut, de faire fléchir Netanyahu ? Ou bien l’incorrigible vantard, bien parti pour perpétuer, en le magnifiant, le gâchis ? Qu’il emprunte l’une ou l’autre des portes de l’histoire, Donald Trump est assuré d’y entrer.
Issa GORAIEB