
Jennifer Chamandi rend souvent hommage à son idole. Photo DR
C’est fou comme elle lui ressemble ! À force de cohabiter en style et en fantasme avec Audrey Hepburn, Jennifer Chamandi a opéré avec sa muse un mimétisme surprenant. La créatrice de souliers de luxe, qui avait commencé sa carrière dans les eaux bien cadrées de la finance, entre un diplôme à la London School of Economics et un début prometteur chez Merrill Lynch, a fini par trancher entre son amour des mathématiques et sa passion pour les chaussures. En 2016, enceinte de ses jumelles, elle ajoute à cette double grossesse une troisième : celle de son entreprise éponyme qui verra donc le jour en même temps que ses enfants.
Ayant enchaîné des formations entre Central Saint Martins et le Cordwainers College de Londres pour maîtriser l’art complexe du soulier féminin, elle est prête à relever le défi. Son idée : prendre le talon aiguille à la lettre et y ajouter un chas par lequel passera une bride, accessoire facultatif et versatile. Ce chas deviendra le détail signature de la marque. Une idée brillante dans la mesure où ce signe de reconnaissance dispense de la présence d’un logo trop présent ou prétentieux pour un label qui tente de trouver sa place sur un marché pléthorique.
Ce chas d’aiguille, pour la grâce des jambes
Oui, mais… trouer un talon présente le risque non négligeable de fragiliser la structure du soulier et l’équilibre de celle qui le porte. Or ce chas est indispensable à la vision de Jennifer Chamandi. C’est ce petit trou en forme de larme métallique qui va en effet permettre d’abaisser la bride sur le cou-de-pied, de manière à le soutenir tout en évitant la disgracieuse coupure visuelle de la jambe au niveau de la cheville. Convaincre les maîtres artisans de faire confiance à ses plans, pourtant issus de calculs complexes, n’est pas facile. Mais elle ne renonce pas à son projet pour autant. Elle s’attèle à apprendre l’italien pour négocier avec une famille d’artisans italiens, les seuls fabricants qui trouvent grâce à ses yeux, tant pour leur audace que pour leur savoir-faire. Quand Lorenzo, le maître cordonnier milanais, reçoit sa lettre pleine de passion, il décide de relever le défi et de lui faire confiance. Ainsi naîtra le premier modèle de la marque.
Colorée, sophistiquée, la gamme créée par Jennifer Chamandi séduit people et artistes. Photo DR
Sans surprise, il portera son nom, un prénom masculin : Lorenzo. Tous les modèles qui suivront seront eux aussi baptisés de prénoms masculins, en hommage à chaque main ayant présidé à leur fabrication. Ainsi, « le Lorenzo » est un escarpin classique, talon aiguille, avec le fameux chas qui oriente vers lui le regard avec subtilité. Suivent les bottes et demi-bottes Samuele et Alessio, les escarpins de soirée Lorenzo et Vittorio, les sandales à talons Tommaso, les plateformes Antonio, Leonardo et Roberto, et le modèle Mario à petits talons « kitten heels » ou talons de chaton.
Le 8, un sac enveloppe bourré de géométrie
Très vite suivra une ligne de sacs de soirée dont le fermoir en métal doré ou argenté, agrémenté de strass, arbore la forme du chas « Eye Of The Needle ». Le nom du sac lui-même, Le 8, renvoie à de nombreuses références chères à la créatrice, de son amour pour les mathématiques à son chiffre porte-bonheur. Influencé par la pureté de l’abstraction géométrique, le chiffre 8 trouve l’équilibre parfait entre grâce et précision. Comme une évocation de l’amour de Jennifer Chamandi pour l’art très oublié des notes manuscrites, sa forme s’inspire de la structure d’une enveloppe. S’ajoutant à la forme emblématique du fermoir, la lanière signature amovible est le lien avec le principe fondamental des souliers de la marque, permettant de porter le sac à main comme une pochette ou comme une poignée.
Minimalisme, talons mignons et filets de pêche
À mesure que les collections Jennifer Chamandi évoluent, elles demeurent fidèles aux principes des débuts, réduites à l’essentiel de la forme et de la couleur, dédiées au renforcement de l’estime de soi et surtout au confort « parce que plus aucune une femme n’a envie de souffrir pour être belle ». La collection 2025 vient d’être livrée à plus d’une vingtaine de détaillants à travers le monde et notamment sur les sites de mode en ligne, comme Net-à-Porter, et dans les magasins de luxe comme Harrods, à Londres, ou Bergdorf Goodman, à New York.
Jennifer Chamandi à Londres. Photo DR
Cette nouvelle collection se distingue par un hommage à Audrey Hepburn, inoxydable muse de la créatrice, notamment à travers le style créé pour elle par Hubert de Givenchy, si intimement lié à une certaine vision de Paris, comme dans la comédie romantique Paris When It Sizzles (1964). Ainsi s’explique le grand retour des pastels gourmands, citron, pistache et rose et celui des « kitten heels », ces talons inventés dans les années 1950 pour offrir aux jeunes filles une alternative au stiletto de mauvaise réputation. Longtemps boudés par la suite pour leur manque d’audace, ces petits-talons-qui-n’osent-pas retrouvent, autour des années 2010, l’aura « mignonne » de talons qui minaudent. Symboles de jeunesse et d’ingénuité, supports d’une violente nostalgie des années perçues comme heureuses qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les « kitten heels » sont aussi garants de confort pour les longues journées au bureau. Jennifer Chamandi fait également une grande place au « mesh », ce matériau qui imite le filet de pêche et joue avec ses transparences le cache-cache sexy entre cuir et peau. Grande folie de 2025, le mesh est le matériau vedette de tous les grands et petits chausseurs des saisons à venir.
Fidèle aux principes-clés de son esthétique, la marque au chas d’aiguille continue à limiter ses créations à l’essentiel de la forme et de la couleur. Conséquente avec ses choix éthiques, Jennifer Chamandi soutient activement le Centre Anna Freud et l’association Smart Works Charity, fermement convaincue de l’énergie positive qu’elle canalise à travers sa marque par le biais de la philanthropie. Pour la créatrice, un beau produit a toujours une belle raison d’être.