
Photo montage Jad Abou Jaoudé
« Dans le pire des cas, si on ne trouve personne, je pense que ça devrait être Joseph Aoun. Au moins il est neutre et honnête, lui... » Il y a deux ans, Élissa jetait cette phrase aux micros des télés libanaises, en tenue de scène rose fièrement arborée. Jeudi dernier, quelques heures seulement après l’élection du général à la présidence de la République, une fan inconditionnelle de la chanteuse postait cette archive sur la plateforme X. « Pour info, elle s’est spécialisée en sciences politiques », jubilait l’internaute.
La star n’a pas manqué de republier sa groupie et a par ailleurs posté une bonne dizaine de tweets célébrant l’élection de Joseph Aoun, tressant des couronnes de lauriers au nouveau président, qui a récolté 99 voix sur 128 chez les députés du Parlement. Moins de cinq minutes après l’annonce du résultat du second tour, elle avait déjà posté une photo triomphale du nouveau chef d’État. Puis des images de paysages du Liban avec l’hymne national tonitruant, un extrait de sa chanson Beyrouth libre, une photo de l’heureux élu flanqué du triptyque « Armée-peuple-État » et à côté de laquelle la diva a écrit : « C’est ce que le peuple libanais désire, en slogan et en action. »
Outre les louanges de l’artiste sulfureuse et décomplexée qui assume ouvertement son affiliation au parti des Forces libanaises (FL), qui a soutenu Joseph Aoun, l’immense majorité du milieu artistique s’est fendue du même message de félicitations au « président honnête et patriote » : Ragheb Alama, Nancy Ajram, Carole Samaha ou encore Majida el-Roumi... Avec peut-être Julia Boutros comme seule exception, peu surprenante au vu de ses engagements « prorésistance » passés. « Évidemment que ça allait être positif partout, et ils ont bien raison », abonde la journaliste Hala Murr, directrice de la rédaction du site el-Fann. « Je pense que pour l’immense majorité, à 90 %, c’est réellement leur conviction. Ils souhaitent que Joseph Aoun réussisse, comme nous tous. Après, certains le font sûrement aussi pour montrer patte blanche... »
Le seul credo : être vu
Car d’habitude, les artistes et autres people au Liban et dans le monde arabe se font plutôt discrets dans l’arène politique, surtout lorsque les sujets sont clivants et par peur de froisser une partie de leur public s’ils prennent une position trop nette. « C’est très commun au Liban et dans toute la région : les artistes sont orientés du côté du pouvoir et des personnalités dirigeantes », analyse le journaliste Jamal Fayad, spécialiste et critique virulent du milieu. « Rappelons que nos stars entretiennent souvent des amitiés avec les chefs d’armée ou les forces de sécurité, tout simplement parce qu’ils ont besoin d’eux pour organiser leurs concerts et événements... Et inversement, quand l’armée veut mobiliser des artistes pour ses célébrations ! ».
De quoi expliquer en partie les messages dithyrambiques d’un Waël Kfoury par exemple, qui, le jour J, a publié une photo de lui avec Joseph Aoun, rencontré quelques années plus tôt, accompagnée d’un poème en rimes flagorneur : « Avec des valeurs et des principes, on n’en a pas deux comme toi, un héros des rangs de l’armée monte au palais de Baabda. » Le chanteur de variété Assi el-Hallani a, lui, opté pour un photomontage le montrant aux côtés du commandant de l’armée sous toutes les coutures. Avec en fond une virile chanson à la gloire du treillis, de l’armée libanaise et de la popularité de la troupe « qui unit musulmans et chrétiens »...
Réelle adhésion politique ou simple hommage de circonstance ? « Les artistes ne réfléchissent pas autant à des calculs politiques. Ils le font aussi et surtout pour être vus. Si ça colle avec leurs convictions, tant mieux », résume Hala Murr avec un rire étouffé. « Il y a aussi ceux qui suivent la ligne de leur parti préféré : FL, Kataëb... ce qui est leur droit », ajoute la journaliste.
« Celui qui s’en tire le mieux, c’est l’artiste neutre »
Dès les premières minutes de l’élection du président jeudi, des banderoles ont été déployées, un aéroport illuminé de ses portraits ; des soirées en son honneur ont été organisées dans le Beyrouth festif. « On a déjà vu ça par le passé », rappelle Jamal Fayad. « Quel que soit le président nouvellement élu, les artistes lui vouent des chansons, lui dédient des fêtes. Lors de leurs mouwwels (improvisations typiques de la musique arabe), ils citent le nom du président et vantent ses qualités. » Si l’accession au pouvoir de Joseph Aoun la semaine dernière ne déroge pas à cette règle et a été globalement saluée par l’opinion publique libanaise, celle de son prédécesseur Michel Aoun en 2016, bien que moins consensuel, avait également connu son lot de messages positifs de la part du monde de l’entertainment.
Les rares artistes qui ont pris des positions un tant soit peu tranchées et clivantes se sont vus critiqués, éreintés et parfois jetés en pâture sur les réseaux sociaux. On se souvient de la phrase récemment lancée par Ragheb Alama sur Hassan Nasrallah, dans une conversation téléphonique filmée à son insu, qui lui a valu les foudres d’une partie de l’opinion et a même poussé quelques âmes vexées à aller saccager une école parrainée par le chanteur dans la banlieue sud de Beyrouth, inféodée au Hezbollah. « Celui qui s’en tire le mieux, c’est l’artiste neutre », explique Jamal Fayad. « Celui qui ne parle de politique que pour dire des généralités du type : “Félicitations au président, espérons que le pays aura sécurité et stabilité”, fin de la discussion. »
Dans le milieu du show-business où les positions sont scrutées et les artistes suivis à la trace, mieux vaut choisir ses combats. Et le plus consensuel reste le mieux. « Comme dit le proverbe : “Là où va le vent, je tourne.” Ça peut être appliqué ici », sourit Jamal Fayad. Pour le chroniqueur mondain, les artistes ne sont qu’un reflet des gens normaux : ils sont influencés, marqués par les événements qui adviennent et agissent ensuite. « Rares sont ceux qui ne s’intéressent pas à ces sujets et qui ne courent pas derrière leur intérêt... »
-L,ESPOIR SE MUE EN LOUANGE. -UN PRESIDENT EST UN ANGE, -POUR NOTRE PAUVRE PAYS, - ENVOYE DU PARADIS. -MAINTENANT QUE LA JUSTICE, -VA COMMENCER SON SERVICE, -AVEC LE JUGE SALAM, TOUT N,EST QUE LIESSE ET TAM TAM. -LE POUVOIR ET LE DEVOIR,, -ONT BESOIN DU BON VOULOIR, -QUI NOUS SOMMES SURS ARRIVE, -SUR LES AILES DU ZEPHYRE, -DES PATRIOTES ELITES, -DE NOS FRERES LES CHIITES. =AVEC CE TRIUMVIRAT, -NOUS BATIRONT TOUS L,ETAT. =ET PHENIX DE SES MEANDRES, -RESSUSCITERA DES CENDRES.
14 h 08, le 14 janvier 2025