Quelques minutes après avoir été élu avec 99 voix, sur celles des 128 députés libanais, le président élu, Joseph Aoun, s'est adressé à la Chambre et aux Libanais en général, dans une prestation de serment forte en messages et promesses.
Voici l’intégralité du texte de son discours, chaudement applaudi à plusieurs reprises par les parlementaires, notamment lors de ses prises de position concernant le monopole des armes aux mains de l'État et l'indépendance de la justice:
Monsieur le président de la Chambre des députés,
Monsieur le président du Conseil des ministres,
Mesdames et Messieurs les députés et ministres,
Mesdames et Messieurs les chefs et membres du corps diplomatique,
Chères Libanaises, chers Libanais,
Mesdames et Messieurs,
C'est un immense honneur pour moi d'avoir été élu président de la République libanaise par vos soins, Messieurs les députés. Ce titre est le plus grand des honneurs et des responsabilités. Je suis devenu le premier Président après le centenaire de la création de l'État du Grand Liban, en pleine crise du Moyen-Orient où des alliances se sont effondrées et des systèmes ont chuté, et dont les frontières pourraient changer !
Mais le Liban est resté lui-même, malgré les guerres, les explosions, les interventions, les agressions, les ambitions avides, et la mauvaise gestion de nos crises… Parce que le Liban est le témoin de l'histoire, parce que les religions y sont complémentaires, et parce que le peuple est Un. Notre identité, malgré notre diversité, est libanaise. Nous aimons la créativité comme souffle essentiel de la vie, et nous nous accrochons à notre terre comme un espace fondamental de liberté. Notre caractère est courageux, notre force réside dans notre capacité à nous adapter. Nous fabriquons des rêves et les vivons, et peu importe nos divergences, dans les moments de crise, nous nous soutenons, car si l'un de nous se brise, nous sommes tous brisés.
Cher peuple bien-aimé,
Nous sommes arrivés à l’heure de vérité.
Nous traversons une crise de gouvernance qui exige un changement de la façon dont nous concevons la politique, afin de préserver notre sécurité et nos frontières, dans nos politiques économiques ; dans la gestion de nos affaires sociales ; dans la définition de notre démocratie, dans la gouvernance de la majorité et les droits des minorités ; dans la façon dont le Liban se présente à l’extérieur et dans nos relations avec la diaspora ; dans notre philosophie de la responsabilité et de la surveillance ; dans la centralité de l’État et dans la lutte contre l'injustice économique, le chômage, la pauvreté et la désertification humaine et environnementale.
C'est une crise de gouvernance et de gouvernants, un échec dans l'application des lois ou une mauvaise interprétation et formulation de ces lois !
Mon serment envers les Libanais, où qu’ils soient, et que le monde entier l’entende :
Aujourd'hui commence une nouvelle phase de l’histoire du Liban. J'ai prêté serment devant votre honorable Assemblée et devant le peuple libanais, jurant fidélité à la Nation libanaise et en m’engageant à être le premier serviteur de la préservation du Pacte national, ainsi qu’à appliquer ses principes de manière à servir l'intérêt supérieur de la Nation, et à exercer pleinement mes pouvoirs présidentiels comme un juste arbitre entre les institutions, dont l'objectif est de protéger la sacralité des libertés individuelles et collectives, qui constituent l’essence du Liban.
Ces libertés doivent être fondées sur l’État de droit, sur une gouvernance garantissant les droits, assurant la responsabilité, et assurant l’égalité entre tous les citoyens. Car si nous voulons construire une nation, nous devons tous être sous le toit de la loi et de la justice, où il n'y aura plus de mafias ou d'îlots sécuritaires, plus de fuites ou de blanchiment d'argent, plus de trafic de drogue, ni d’ingérence dans le système judiciaire, dans les postes de police, ni de protections ou de clientélisme, ni d'immunité pour les criminels et les corrompus. La justice est le rempart, c'est la seule garantie que chaque citoyen possède. C’est mon engagement !
Mon engagement est de travailler avec le prochain gouvernement pour adopter une nouvelle loi sur l’indépendance de la justice, en ce qui concerne ses branches judiciaire, administrative et financière, de développer le travail des bureaux du procureur, de procéder aux nominations judiciaires sur la base de critères d'intégrité et de compétence, de renforcer le Conseil de la magistrature, de simplifier les procédures judiciaires, de réformer les prisons et d’accélérer les jugements afin de garantir les libertés et les droits, tout en encourageant les investissements et en luttant contre la corruption.
Mon engagement est de contester la validité de toute loi qui viole les principes de la Constitution, et de respecter la séparation des pouvoirs, en exerçant ma fonction de supervision de manière honnête et objective, et en ayant le droit de renvoyer au Parlement ou au gouvernement les lois et décrets qui ne servent pas l'intérêt public.
Mon engagement est d'appeler à des consultations parlementaires rapides pour nommer un Premier ministre qui soit un partenaire dans la responsabilité et non un adversaire, afin que nous exercions nos pouvoirs de manière positive, visant à garantir la continuité des services publics, à privilégier la compétence sur la clientélisme, la nation sur la faction, l'efficacité sur la bureaucratie, et la transparence sur les affaires privées, et à adopter les développements mondiaux plutôt que de nous arc-bouter sur les conflits du passé.
Mon engagement avec le Parlement et le gouvernement est de restructurer l’administration publique, d'introduire la rotation dans les hautes fonctions publiques, et de nommer les autorités de régulation ; afin de redonner à l'État et aux fonctionnaires leur dignité, de restaurer leur statut et d'attirer les élites pour créer une administration moderne, électronique, agile, efficace, impartiale, décentralisée, qui améliore la gestion de ses ressources, qui n'a pas de complexe vis-à-vis du secteur privé, qui empêche les monopoles et qui n'a pas peur d'être transparente vis-à-vis des contrôleurs et des usagers. Elle renforcera la concurrence, protégera le consommateur, évitera le gaspillage, activera les mécanismes de surveillance et améliorera la planification, l'élaboration des budgets et la gestion de la dette publique. Car il n'y a pas de valeur dans une administration publique qui ne fournit pas de services de qualité aux citoyens au meilleur prix, comme condition essentielle pour préserver la dignité des Libanais, revitaliser l'économie et créer des opportunités d'emploi.
Mon engagement est d'exercer mes fonctions en tant que chef suprême des forces armées et en tant que Président du Conseil supérieur de la défense, en travaillant à assurer le droit de l'État à détenir le monopole des armes, et à investir dans l'armée pour assurer la surveillance des frontières, maintenir leur sécurité au sud, définir les délimitations à l’est, au nord et en mer, empêcher la contrebande, lutter contre le terrorisme et préserver l'unité du territoire libanais. L'armée a une doctrine de défense qui protège le peuple et combat selon les principes de la Constitution.
Mon engagement est de m'assurer que les forces de sécurité, dans leurs différentes missions, jouent un rôle essentiel pour maintenir l'ordre et appliquer les lois.
Mon engagement est de demander à ce que soit débattue une politique de défense intégrée, comme partie d'une stratégie de sécurité nationale sur les plans diplomatique, économique et militaire, pour permettre à l'État libanais, je le répète, à l'État libanais, d'éradiquer l'occupation israélienne et de repousser ses agressions sur l'ensemble des territoires libanais.
Mon engagement est de reconstruire ce qui a été détruit par l'agression israélienne au Sud, dans la Békaa, dans la banlieue sud et dans tout le Liban, de manière transparente, et de croire que nos martyrs sont l'âme de notre détermination, que nos prisonniers sont une responsabilité qui nous incombe, et de ne jamais faire de concession à la souveraineté et à l'indépendance du Liban. Notre unité est la garantie de notre sécurité, notre diversité est la richesse de notre expérience. Il est temps de miser sur le Liban, et de capitaliser sur nos relations extérieures, et non de parier sur l’étranger pour s’opposer les uns aux autres.
Mon engagement est que nous nous accrochions tous au principe du rejet de l’implantation des frères palestiniens, préservant ainsi leur droit au retour et renforçant la solution des deux États, adoptée lors du Sommet de Beyrouth selon l'Initiative de paix arabe. Je m'engage aussi à défendre le droit de l'État libanais à exercer sa souveraineté sur tout son territoire, y compris les camps de réfugiés palestiniens, tout en préservant leur dignité humaine.
Mon engagement est d’établir les meilleures relations avec les pays arabes frères, en partant du principe que le Liban appartient à la famille arabe, et de construire des partenariats stratégiques avec les pays du Levant, du Golfe et d'Afrique du Nord, en empêchant toute conspiration contre leurs régimes et leur souveraineté. Nous pratiquerons une politique de neutralité positive et ne leur offrirons que ce que nous avons de meilleur, que ce soit en produits, en industries, ou en attirant des touristes, des étudiants et des investisseurs arabes pour évoluer avec eux, en enrichissant nos relations humaines et en construisant des économies intégrées et collaboratives.
Mon engagement, face aux évolutions rapides de la situation régionale, est de saisir une opportunité historique pour commencer un dialogue sérieux et respectueux avec l'État syrien afin de résoudre toutes les questions en suspens entre nous, notamment celles concernant le respect de la souveraineté et de l'indépendance des deux pays ; le contrôle des frontières dans les deux directions ; l'absence d’ingérence dans les affaires internes de chacun ; le dossier des disparus et la question des réfugiés syriens, qui a des implications existentielles pour le Liban. Nous collaborerons avec la Syrie et la communauté internationale pour résoudre cette crise, loin des propositions racistes ou des approches négatives, et nous travaillerons avec le gouvernement à venir et l'Assemblée nationale pour mettre en place un mécanisme clair, immédiatement applicable, qui permettra à ces réfugiés de retourner dans leur pays.
Mon engagement est d'ouvrir le Liban aux deux mondes, à l'Est comme à l'Ouest, de créer des alliances et de renforcer les relations extérieures du Liban avec les pays amis et la communauté internationale, basées sur le respect mutuel, afin de préserver la souveraineté du Liban et sa liberté de décision.
Mon engagement est que chaque Libanais de la diaspora soit fier du Liban, tout comme le Liban est fier de ses expatriés. Leur droit de vote est un droit sacré qui transforme leur exil en un nouveau lien d'appartenance à chaque village et ville du Liban. Ainsi, ceux qui le désirent et qui en ont la possibilité reviendront, et l'émigration permanente se transformera en une idée temporaire dont il n’y aura nul besoin.
Mon engagement est de pousser, avec les gouvernements à venir, à développer les lois électorales afin de renforcer les opportunités de rotation au pouvoir, de garantir une représentation correcte, la transparence et la responsabilité. Je travaillerai aussi à l’adoption d'un projet de loi pour une décentralisation administrative élargie, afin de réduire les souffrances des citoyens et de promouvoir un développement durable et équilibré.
Mon engagement est de maintenir une économie libanaise libre et de protéger la propriété privée, avec des banques qui fonctionnent sous un régime de gouvernance et de transparence, où la loi est la seule règle, et où aucun secret n'existe à part le secret professionnel. Je m'engage à ne pas négliger la protection des dépôts des citoyens.
Mon engagement est de promouvoir et d'élargir les réseaux de protection sociale, en particulier la sécurité sociale et les services de santé, tout en œuvrant pour la préservation de l'environnement et en respectant la liberté de la presse et de l’expression dans les cadres constitutionnels et légaux.
Mon engagement est d'investir dans la science, encore et toujours dans la science, dans l'école publique, l'université libanaise et la préservation de la liberté de l'enseignement privé.
Mon engagement est votre engagement, honorables députés, et celui de tout Libanais désireux de construire un État fort, une économie productive, une sécurité stable, une nation unie et un avenir prometteur.
Il n'est plus question de perdre du temps ou des opportunités. Je vous invite à ne pas penser aux prochaines élections, mais à réfléchir à l'avenir de vos enfants et à la dignité de vos aînés. Notre devoir est d’être des femmes et des hommes d’État, de penser à l'avenir des générations à venir, et non à nos intérêts personnels, de considérer que nous appartenons au Liban, et non que lui nous appartient.
À mes frères d’armes (je voudrais dire ceci, Ndlr) : en ce moment, je retire mon uniforme militaire pour revêtir le costume civil, mais je reste un des vôtres et je suis fier de mon appartenance à votre école nationale, celle de l'honneur, du sacrifice et de la loyauté. Je garde dans mon cœur, mon esprit et mon âme vos sacrifices et vos héroïsmes. Vous êtes l'institution sur laquelle le pays est construit, qui protège son unité. Vous n'avez jamais trahi le peuple, et moi, à mon tour, je ne vous trahirai pas.
Aux chers Libanais, je dis : mon engagement est le vôtre, et le travail est vaste, je ne peux pas l’assumer seul. Ce sont des responsabilités qui incombent aux députés, aux ministres, à la justice, aux partis politiques et à la société civile. Mon engagement est de travailler avec tous pour défendre l’intérêt public et les droits des Libanais, qu'ils soient individuels ou collectifs, et de prouver au monde qu'il n'existe pas de mot « échec » dans le dictionnaire libanais. C'est le temps de votre créativité, le temps de faire plier le monde par la force de votre détermination, le temps de la paix, de la conscience, du travail et de la solidarité entre vous. Aucune confession ne doit être favorisée par rapport à une autre, et aucun citoyen ne doit avoir de privilège par rapport à un autre. C’est le temps du respect de la Constitution, de la construction de l'État et de l’application des lois. C’est le serment du Liban !
Vive le Liban !
L' Ame du Soldat, la Passion du Libanais, la Foi du Patriote! De Partout on se joindra à ses Troupes de Citoyens Constructeurs de l'Avenir !
14 h 52, le 11 janvier 2025