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Nos Lecteurs ont la Parole

Désapprendre l’impuissance

Deux chiens dans deux cages. Un se prend des décharges électriques qu’il est incapable de contrôler, l’autre peut les arrêter en appuyant sur une pédale. Relâchés dans la nature, l’un d’eux se verra continuellement se comporter comme s’il n’avait d’autre choix que de subir, l’autre essaiera toujours de trouver une issue. Les scientifiques appelleront le problème du premier chien : « la résignation apprise ».

Janvier 2025. Une énième guerre prend la pause. Selon l’équation stérile, quand bien même elle serait permanente dans cette banlieue du Moyen-Orient : ni vainqueur ni vaincu. Ceux qui ont survécu crient à la victoire. Ceux qui ont détruit crient à la victoire. Ceux qui sont persuadés que le grand satan est défait crient à la victoire. Ceux qui prétendent savoir ce qui se passe crient aussi à la victoire.

Le Liban est bien le seul à concéder une défaite. Combien de faux départs nous faudra-t-il encore subir avant qu’on décide de se mettre dans la course ?

Le Liban, terre ancienne, et les Libanais avec lui sont façonnés comme un canyon face à la force tranquille de l’occupation. De l’Antiquité à nos jours, il a toujours appartenu à d’autres. Une terre conquise et un peuple jamais maître de son destin. Un peu comme une fratrie qui a toujours eu à compter sur ses parents et n’a jamais su se débrouiller seule. Français, Anglais, Italiens, ottomans, Perses, en fonction de l’autorité divine prévalante, les confessions comptaient sur leurs soutiens conquérants pour assoir une autorité chimérique. Cette sale illusion du salut extérieur, ancrée peut être dans les livres abrahamiques, nous a transformés en peuple de commerçants, prêts à vendre ou à acheter au meilleur offrant. Oui notre monsieur, oui notre bon maître, disait Brel.

Or, il y a pire que la conquête. Il y a l’habitude de la conquête. La soumission, lorsqu’elle se répète, devient une seconde nature. Cette voix intérieure qui est convaincue que nous ne sommes pas capables de le faire nous-mêmes. « C’est ainsi. » « Ne te mêle pas trop et évite les ennuis », me répétait ma mère quand je lui disais qu’on allait manifester avec les amis, l’école, l’université. Alors, on a évité les ennuis, et accepté l’échec. Et cette norme nous a rendu incapables d’avoir des institutions propres et efficaces. Incapables d’élire un Parlement éduqué et collaboratif, qui puisse légiférer. Les obstacles, qui normalement sont là pour être surmontés, sont devenus fatalité. La conviction que les efforts seraient vains nous a amenés à une perte d’initiative et à un abandon progressif.

Depuis 1943, quand un pacte écrit pour servir les intérêts des Anglais contre les Français formalisait un conflit d’influence. Depuis 1943, chacune des parties principales tire dans un sens, en l’absence de vision commune, créant donc un immobilisme absurde. Les élections de 2022, au lieu d’apporter un changement, ont confirmé cette paralysie, ce sentiment que nous sommes condamnés à répéter les mêmes erreurs. « C’est ainsi », murmurent-ils encore, comme si cela expliquait tout. Comme si quelques ratés devaient empêcher la recherche du mieux. Comme si les États s’étaient construits en un jour. Alors qu’ils se sont exclusivement construits dans le sang et la sueur.

Janvier 2025, donc. Rien n’a changé. Certains espéraient la conquête tandis que d’autres priaient que le monde intervienne. Or, du temps qu’il allait bien, le monde n’intervient que lorsqu’il avait quelque chose à gagner. Aujourd’hui, face à sa faillite temporaire, le monde est incapable de voler au secours de quiconque. Notre salut, s’il doit venir, ne viendra que de nous-mêmes. Les chrétiens ont été remis à leur place en 1990. Les sunnites ont retrouvé la leur en 2005. Les chiites en 2024. Qu’il est malheureux d’avoir eu à découvrir l’égalité dans le sang de ceux qui n’y croyaient pas.

Le 9 janvier sonnera-t-il le réveil qu’il nous faut ? Nous sommes en effet face à une occasion unique et historique de réalisation. Une prise de conscience que cette résignation n’a plus de raison d’être. Que notre leadership actuel est démodé avec ses victoires divines, ses replis partisans, ses peurs héritées et ses confessions diaboliques.

Le nouveau president doit être convaincu que si nous sommes peut-être seuls, nous ne sommes pas pour autant démunis. Il devra désapprendre cette impuissance héritée et mettre au service de la nation cette ressource que nous envie le reste de la planète. Nos ressources humaines. Mobiliser la créativité qui fait de nos start-up des succès et engendre ces idées qui bousculent l’ordre établi, là où l’ordre existe. Ces artistes qui brillent à l’international, mais qui peinent à l’interne pour des raisons d’appartenance religieuse ou de préférences sexuelles. Ces médecins qui n’arrêtent pas de revenir malgré les difficultés, ces ingénieurs qui inventent et ces enseignants qui enseignent sous les bombes.

Le nouveau president devra agir, ici et maintenant. Il devra incarner une rupture radicale avec les habitudes passées : non pas un gestionnaire des crises, mais un architecte de solutions, capable de rassembler et de redonner espoir.

Il devra nous rappeler que les héros ne triomphent pas toujours. Qu’ils n’ont pas la victoire facile. Mais qu’ils n’abandonnent jamais. Il lui faudra délaver les cerveaux. Désapprendre la défaite. Désapprendre le commerce. Désapprendre les compromis vaseux. Désapprendre l’instinct de survie au détriment des autres. Pour réapprendre à planifier, à avoir une vision, à rêver un futur. Apprendre à vouloir, et apprendre à gouverner.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes. 

Deux chiens dans deux cages. Un se prend des décharges électriques qu’il est incapable de contrôler, l’autre peut les arrêter en appuyant sur une pédale. Relâchés dans la nature, l’un d’eux se verra continuellement se comporter comme s’il n’avait d’autre choix que de subir, l’autre essaiera toujours de trouver une issue. Les scientifiques appelleront le problème du premier...
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