Le gouvernement sortant de Nagib Mikati a adopté mardi, pendant le Conseil des ministres tenu au Grand Sérail, une décision qui étend de trois ans, soit jusqu’au 9 mars 2028, le délai de prescription des eurobonds, les titres de dettes contractés par l’État libanais en dollars et sur lesquels le gouvernement de Hassan Diab a fait défaut en mars 2020.
L’Orient-Le Jour a consulté le procès-verbal publié à l’issue de la réunion, qui a eu lieu deux jours avant une séance parlementaire cruciale prévue jeudi pour débloquer la présidence libanaise, aprés plus de deux ans de vacance.
La décision s’applique à toutes les séries de titres émises par le Liban. La décision (n° 30 du 7 janvier 2025) suspend plus particulièrement pendant trois ans les défenses, dans le cadre d'actions en justice, basées sur la prescription des délais auxquels sont soumis les eurobonds. Elle dispose également que le gouvernement se réserve le droit d’utiliser tous les autres moyens de défense dont il jouit en vertu de la loi et du contrat pour se défendre contre d’éventuelles actions en justice lui demandant de rembourser les montants dus au titre des eurobonds.
Procuration au ministre des Finances
Le gouvernement a aussi exprimé la « volonté » d'élaborer et d'appliquer un plan de restructuration de la dette contractée via ces titres « lorsque les circonstances le permettront et en concordance avec l’intérêt général ». Il donne également procuration au ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, de représenter l’État pour « appliquer les dispositions de cette décision » et « signer tous les accords, les annexes et les documents liés à son exécution », surtout en ce qui concerne les modifications à apporter aux contrats liés aux émissions d’eurobonds concernées.
Selon une source au fait du dossier, l’exécutif a pris cette décision pour éviter que les détenteurs de ces titres se pourvoient en justice pour réclamer le remboursement de ces plus de 30 milliards de dollars de dettes que l’État n’a toujours pas restructurées, près de cinq ans après le défaut, à l’approche de la fin des délais légaux et contractuels de prescription. Le délai légal est de six ans pour les intérêts et le principal d’après le droit à New York, et il y a un risque qu’il soit plus court en vertu des clauses contractuelles.
Le gouvernement a attendu jeudi pour communiquer sur le sujet. « Au cours de sa réunion du 7 janvier 2025, le Conseil des ministres de la République libanaise a approuvé à l'unanimité une résolution suspendant jusqu’au 9 mars 2028 le droit de la République libanaise de faire valoir des défenses dans toute action en justice concernant les eurobonds qu’elle a émis, en se fondant sur la prescription prévue par la loi de New York et sur tout autre délai de prescription contractuel. »
Cité dans le communiqué, le ministre sortant des Finances a déclaré : « Malgré les temps difficiles que nous traversons, le Liban reste déterminé à trouver une solution consensuelle et équitable à sa dette contractée via les eurobonds. En prolongeant les délais de prescription, les détenteurs d’euro-obligations ne seront pas contraints d’intenter une action en justice (...), mais participeront plutôt à un processus ordonné et consensuel. »
Les détenteurs des eurobonds ont un droit de créance contre l’État libanais pour non-paiement qu’ils peuvent faire valoir devant les tribunaux de New York et des tribunaux fédéraux qui y siègent. Bien que les mesures prises par le gouvernement n’assurent pas que les détenteurs ne se pourvoient pas en justice compte tenu du défaut qui perdure depuis près de cinq ans, sans cette extension, il était devenu certain que des actions auraient été lancées.
Les plus de 30 milliards de dollars de dettes sont détenus en partie par les banques libanaises, ainsi que par des investisseurs étrangers. La Banque du Liban en possède également pour plus de 5 milliards échangés contre des bons du Trésor au cours des dernières années.
La valeur des eurobonds, qui s’était effondrée depuis le défaut décidé dans les mois qui ont suivi le début de la crise économique en 2019, se négociait aux environs de 7 cents pour un dollar sur le marché secondaire – entre détenteurs de titres. Elle est légèrement remontée depuis l’automne dernier, face aux signaux laissant espérer des développements positifs sur le plan de la restructuration. Leur cours moyen a atteint 14,50 cents pour un dollar mercredi, à la veille de l'élection présidentielle, selon le directeur du département de recherche de Bank Audi, Marwan Barakat.