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Le lapin dans le poulailler

Liban partout : c’est avec un légitime orgueil que nous avons longtemps arboré ce slogan, tant il est vrai qu’il n’est pas un coin de la planète où ne se sont aventurés nos expatriés en quête d’une existence meilleure. Nombreux sont ceux qui y ont prospéré dans leur patrie d’adoption, ou qui y ont même accédé parfois aux fonctions publiques les plus hautes. Voici cependant que le monde, ou du moins une bonne partie du monde, nous rend la monnaie de notre pièce. Il s’installe dans nos murs, ce gros morceau de monde, pour forcer nos élus à accomplir le plus élémentaire de leurs devoirs : doter enfin le pays d’un chef de l’État.

Ce n’est certes pas la première fois qu’une élection présidentielle libanaise exige un recours aux gentils accompagnateurs étrangers ; jamais toutefois une telle formalité n’a paru plus flagrante. Groupés en quintette ou agissant parfois en solo, cela faisait des mois que les États-Unis, la France, l’Arabie saoudite, l’Égypte et le Qatar planchaient sur la question. Et ce n’est qu’à quelques jours à peine du scrutin parlementaire du 9 janvier qu’Américains et Saoudiens ont envoyé des émissaires sur place pour annoncer clairement la couleur : l’homme du moment est le commandant de l’armée.

Ce choix n’a rien de trop surprenant car en temps de paix comme de guerre, le général Joseph Aoun a fait ses preuves. Oui, il a volontiers accepté des subsides américains et autres ; mais n’en déplaise à ses calomniateurs (eux-mêmes frappés de sanctions US pour corruption !), c’était seulement pour améliorer un tant soit peu les soldes de la troupe et regarnir d’un peu de viande le fruste menu des casernes. Mais surtout, cet officier a su, en gardant le front haut, tenir l’armée nationale à l’écart de la dernière en date et la plus ruineuse des aventures guerrières du Hezbollah. Ces mêmes qualités de probité, de poigne et de doigté, rarement réunies chez une même personne, lui sont d’ailleurs reconnues au double plan politique et populaire ; dès lors, elles semblent tout naturellement le désigner pour assurer le suivi du cessez-le-feu avec Israël et de la stricte application des résolutions de l’ONU. Totalement étranger à un establishment tombé en pleine déconsidération, il paraît bien équipé enfin pour mener à bien, sans le moindre conflit d’intérêts, les réformes structurelles nécessaires à tout redressement économique et financier du Liban.

Cette savante mécanique, c’est la mathématique politicienne, pudiquement drapée dans les plis de la Constitution qui, à quelques heures du vote, menace pourtant de la faire gripper. L’élection de Joseph Aoun, comme de tout haut fonctionnaire qui n’aurait pas renoncé à sa charge dans les délais réglementaires, ne serait en effet valide que s’il obtenait la majorité des deux tiers de l’Assemblée (86 suffrages sur les 128) ; ce score tiendrait lieu alors d’amendement de facto de la Loi fondamentale. Mais qui donc voit-on brandir avec le plus d’ardeur (et de moyens !) l’impératif de légalité ? C’est nul autre que le président de l’Assemblée, Nabih Berry, qui a cavalièrement ignoré lui-même tous les délais constitutionnels relatifs à l’élection présidentielle ; qui a saboté le scrutin en participant activement au systématique défaut de quorum ; qui est en somme le seul chef de législatif sur terre à avoir claqué la porte du Parlement à la figure des députés !

C’est dire qu’une fois de plus, une fois de trop, les calculs bassement politiciens prennent allègrement le pas sur la raison d’État. Manœuvres, faux-fuyants, caquetages de poulailler, plans B et anonymes candidats de rechange fleurissent un peu partout sur le paysage parlementaire, même si c’est la position du tandem chiite qui revêt un relief particulier. Nabih Berry s’en tient-il à un classique partage des rôles avec le Hezbollah, lequel se défendait dimanche de tout veto contre le commandant de l’armée, tout en agitant face à Samir Geagea le spectre de la guerre civile ? Le président de la Chambre aspire-t-il plutôt à se poser en leader d’un chiisme politique toujours présent en dépit des sévères dommages qu’a endurés la milice ? De quelle sorte de bazar se satisferait donc le deuxième personnage de l’État qui se trouve être paradoxalement, lui aussi, un chef de mouvement armé ?

Sur la fantomatique élection présidentielle programmée pour les toutes prochaines heures, est venu en somme se greffer un exceptionnel déploiement d’art du chantage, décliné en deux styles différents. Raison de plus, pour les magiciens s’affairant autour de nous, de veiller à sortir de leur chapeau le bon lapin.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Liban partout : c’est avec un légitime orgueil que nous avons longtemps arboré ce slogan, tant il est vrai qu’il n’est pas un coin de la planète où ne se sont aventurés nos expatriés en quête d’une existence meilleure. Nombreux sont ceux qui y ont prospéré dans leur patrie d’adoption, ou qui y ont même accédé parfois aux fonctions publiques les plus hautes. Voici...