Pour leur bonheur, les petits Libanais n’ont probablement jamais entendu parler de ce redoutable personnage. Et pourtant le Père Fouettard n’a pas fini de hanter l’innocent folklore qui entoure la Nativité, et il continue de susciter des terreurs enfantines en plus d’un coin de la planète. Comme le brave Père Noël ou son alias St-Nicolas, il fait la tournée des chaumières ; et comme son nom l’indique, c’est une bonne correction, plutôt que des cadeaux, qu’il réserve aux bambins qui n’ont pas été sages.
En cet an de tourmente et de grâce 2024, l’élève Liban, 60 siècles d’âge, aura reçu coup sur coup la visite de ces deux improbables compères. Premier à faire irruption, Benjamin Netanyahu n’a certes rien d’une fiction de conte, aussi cruelle soit-elle que le Père Fouettard. Sous prétexte d’en finir avec le Hezbollah, Israël n’a pas épargné de sa criminelle furie la population civile, faisant cinq mille morts, détruisant les habitations et jetant un million de citoyens sur les routes.
C’est néanmoins en tirant espérance du fond de ses malheurs que le Liban aborde cette fin d’année : espérance d’un renouveau à l’ombre d’un État enfin maître de lui-même, digne de ce nom. Une telle renaissance, c’est bien vrai, tiendrait du prodige, puisqu’elle passe par un net rééquilibrage des forces politiques locales, hier encore impensable ! Mais la Nativité elle-même n’est-elle pas pour les croyants la célébration d’une miraculeuse mise au monde ? Que se taisent donc, à ce propos, ces esprits chagrins qui, au nom d’une dignité nationale par eux-mêmes foulée aux pieds, dénoncent un processus d’assainissement que l’agression israélienne a rendu possible. Or cette opportunité, ce n’est pas tant l’ennemi qui l’a créée que la milice elle-même. Laquelle, en ouvrant un front de soutien à Gaza sur injonction de l’Iran, ne faisait en réalité que se tirer non point une balle, mais tout un chargeur dans le pied.
Oui, il faut croire au Père Noël : et cela d’autant qu’il n’a guère lésiné sur les cadeaux. Prenant de vitesse le calendrier, le sémillant vieillard nous a gratifiés en bonus d’un fort appréciable motif de soulagement à notre frontière orientale. Ce serait évidemment faire preuve d’angélisme que de voir dans l’instauration d’un pouvoir islamiste à Damas un parfait, un idéal cadeau de Noël. Mais comment ne pas applaudir de toutes ses forces – sans trop pour l’instant s’alarmer de la suite – à la chute d’un régime baassiste qui, plus de cinq décennies durant, s’est acharné à asservir le Liban en usant de la plus extrême violence ? Quant à la suite, ne s’annonce-t-elle pas plutôt encourageante avec toutes les bonnes résolutions que s’évertue à afficher le chef des révolutionnaires, que l’on voit troquer le look Fidel Castro pour le sérieux du veston cravate ?
Même en s’armant de prudence, sinon de scepticisme, on ne peut ainsi que se réjouir de voir Ahmad el-Chareh répudier publiquement les visées et méthodes assassines des Assad. Non moins bienvenue est la rupture soudaine du cordon ombilical qui, d’Iran en passant par l’Irak et la Syrie, inondait le Hezbollah d’armes et de munitions . Plus que jamais pourtant la prudence reste de mise, et avec elle un colossal effort d’immunité nationale face aux actuels bouleversements régionaux. Les générations futures ne nous pardonneraient pas de n’avoir su opposer aux menées extérieures que le pitoyable spectacle de nos divisions. De n’avoir échappé de justesse aux prétentions impériales des mollahs persans que pour tomber sous le joug du sultan néo-ottoman.
C’est avec optimisme, mais aussi avec doigté, qu’il va nous falloir découvrir les cadeaux posés au pied de ce sapin de toutes les fêtes qu’est le cèdre pour les Libanais. Plus d’un colis risque d’être piégé ; et même les plus scintillants emballages peuvent ne renfermer que du vent. Du flair du courage dès lors, Messieurs les dirigeants !
Issa Goraïeb