Haro sur le baudet! Plus que naturelle et légitime est certes la liesse qui, en Syrie et hors de Syrie, a salué la chute du régime Assad. Mais quel répugnant spectacle, sur les sites d’information libanais, que celui de tous ces doctes analystes, anciens thuriféraires du président déchu, que l’on voit maintenant retourner habilement leur veste ! Les voilà en effet à reconnaître, un tantinet trop tard, les fatales erreurs de gestion et de calcul qui ont causé la perte de leur héros déchu.
Mais n’est-ce pas la même sentence – malheur au vaincu – que colportent les organes plus ou moins officiels de Moscou et de Téhéran, ces deux grands perdants du récent bouleversement? Qui pour conserver sa base navale de Tartous, et qui pour sauver ce qui reste des meubles, Russes et Iraniens ne se privent pas de reprocher à leur entêté de pupille d’avoir ignoré les fraternels conseils que ne cessaient de lui prodiguer ses honnêtes et très désintéressés parrains…
Nombreux sont entre-temps les défis qui attendent les nouveaux maîtres de la Syrie, dans le cadre d’une passation pacifique des pouvoirs sanctionnée hier même par la nomination d’un chef de gouvernement transitoire. Non moins décisive que le maintien du calme et la réactivation des services publics est cependant la reconstitution du puzzle syrien, peuple et terre.
À cet égard, un premier écueil vient d’être évité : celui, périodiquement ressassé depuis des décennies par les experts, d’un repli des alaouites sur leur littoral et leur montagne du Nord-Ouest si le clan Assad venait à être délogé de Damas. Doublement mythique s’avère d’ailleurs ce scénario catastrophe. Il trouve d’abord sa lointaine origine dans l’éphémère territoire, puis État, des alaouites que créait la France coloniale en 1922, aux côtés des États de Damas, d’Alep et du djebel Druze. Et si ces réminiscences ont pu jadis alimenter un fumeux projet d’alliance régionale des minorités, la fuite peu glorieuse de Bachar ainsi que le ralliement aux révolutionnaires qu’ont scellé par écrit les notables de Qardaha, ville natale des Assad, paraissent avoir clos le chapitre. Pour l’heure, du moins.
Il n’en reste pas moins que c’est sur pièce que la communauté internationale jugera les assurances fournies aux diverses communautés religieuses par les islamistes ; seulement alors l’Occident pourrait se résoudre à rayer Hay’at Tahrir al-Cham de la liste noire du terrorisme. Pour ce qui est de la terre, tout aussi remarquable est le concert quasi mondial de mises en garde contre une fragmentation de la Syrie. La plus tonnante, la plus menaçante même de ces voix aura été celle du président turc Erdogan, parrain des principales forces qui ont renversé le régime baassiste. Le reis sait fort bien pourtant de quoi il parle, à quel point la Syrie se trouve déjà morcelée, puisque ses propres troupes occupent de longue date une bande de territoire frontalier ; des groupes kurdes rivaux se sont eux aussi taillé des sanctuaires ; même les extrémistes de l’État islamique disposent d’un désertique réduit, et quelque neuf cents soldats américains installés non loin s’emploient à les matraquer.
La colère turque s’explique néanmoins par l’intempestive irruption d’Israël dans un jeu de quilles déjà surpeuplé, congestionné. Car l’intrus n’en est plus à bombarder les positions et installations des Pasdaran iraniens et du Hezbollah. Sourd aux injonctions de l’ONU, il s’octroie un consistant pied-à-terre dans la zone tampon du Golan. Et il s’emploie, à l’aide de centaines de frappes aériennes, à détruire les aérodromes, radars, dépôts d’armes et jusqu’à la flotte de l’armée régulière. Celle-ci, il est vrai, s’est effondrée comme château de cartes face à l’offensive éclair de HTC ; amnistiée par ses vainqueurs, la troupe reste néanmoins indispensable pour assurer l’ordre public dans le pays. Voudrait-il donc rééditer en Syrie le chaos qui résulta de l’invasion de l’Irak qu’Israël n’agirait pas autrement.
Après les fronts de Gaza et du Liban, ce sont les périls de l’après-Assad qu’invoquait hier même Benjamin Netanyahu pour obtenir un nouveau report des poursuites dont il est l’objet pour fraude et corruption. La guerre permanente ou alors la prison, quel chef de gouvernement au monde pourrait dire mieux ?
Issa GORAIEB