Rechercher
Rechercher

Idées - Commentaire

Syrie : anatomie d’une chute… militaire

Syrie : anatomie d’une chute… militaire

Alep, 21 décembre 2017. Soldats des FAS paradant sur la place Saadallah al-Jabiri lors du premier anniversaire de la prise d’Alep. George Ourfalian/AFP

La chute du président syrien Bachar el-Assad, le 8 décembre, a donné lieu à un déluge de commentaires bien informés tentant d’expliquer comment et pourquoi son régime s'est effondré si rapidement. En revanche, la question très pertinente posée le même jour par le reporter syrien et analyste chevronné Hassan Hassan, n’a pas encore trouvé de réponse satisfaisante. « Quelque chose reste à expliquer. Assad disposait des forces loyalistes pour défendre Damas pendant au moins un certain temps, cela ne fait aucun doute. Avant Damas, il était clair que le régime était incapable de se battre dans la majeure partie du pays. Après Damas, il est clair qu'il a décidé de ne pas le faire. Cela n'a pas encore été révélé », a-t-il écrit sur X. Et de poursuivre : « Assad disposait des forces les plus entraînées et les plus loyales pour se battre, mais il n'y en avait pas pour la capitale. » Il semble que les unités loyalistes n'étaient pas non plus prêtes à se battre dans le bastion alaouite tant vanté par M. Assad dans la région côtière de la Syrie.

Alors pourquoi l'armée l’a-t-elle abandonné de manière aussi complète et irrévocable ? Des analystes tels que Gregory Waters et Muhsen Mustafa ont mis en évidence de multiples facteurs qui ont dégradé la cohésion et l'état de préparation de l'armée au cours des dernières années, notamment le transfert de dizaines de milliers d'officiers et de soldats, la grave érosion du niveau de vie du personnel d'active et de réserve, la corruption généralisée entraînant le détournement de la solde et un approvisionnement alimentaire déplorable… Autant de facteurs qui ne pouvaient qu'aliéner les alaouites, qui prédominent dans les rangs de l'armée. Des facteurs tout aussi importants ont également sapé le moral des troupes : le changement de doctrine en faveur d'officiers non combattants commandant depuis l'arrière, et le choc provoqué par la prise de conscience que l'assistance militaire de la Russie, de l'Iran et du Hezbollah, qui était essentielle à la survie du régime dans le passé, ne serait pas au rendez-vous cette fois-ci.

Héritage érodé

Ces facteurs ont effectivement contribué à l'effondrement précipité de l'armée syrienne, mais ils n'expliquent pas entièrement pourquoi son haut commandement a abandonné les tentatives initiales de rassemblement et de redéploiement des troupes le long de nouvelles lignes de front militairement défendables, pour adopter une position de passivité totale. Les jours à venir en diront beaucoup plus sur les perceptions au sein du régime et, en particulier, de l'armée, mais l'expérience de la politique militaire dans d'autres États arabes autoritaires au cours de crises systémiques et de transitions offre un aperçu utile dans l'intervalle.

La rupture des pactes autoritaires en Égypte et en Libye en 2011, et en Algérie et au Soudan en 2019, a été façonnée par plusieurs facteurs communs, dont au moins un semble avoir été partagé par la Syrie dans les derniers jours du régime. Dans chacun des autres pays arabes, lorsque les soulèvements populaires ont éclaté, l'armée avait déjà l'impression que les présidents en exercice portaient atteinte à des principes fondamentaux ou menaçaient des intérêts vitaux, et elle a donc suspendu son rôle de principal ancrage du pouvoir autoritaire et de garant de la pérennité du régime.

Lire aussi

Chute d'Assad : autopsie du royaume de la peur et du silence

La crainte d'un soulèvement populaire n'a pas creusé le fossé entre Bachar el-Assad et l'armée en 2011-2012, mais sa volonté d'abandonner à son sort pratiquement toutes les composantes sociopolitiques du régime semble avoir érodé l'un des principaux héritages du règne de son père Hafez entre 1970 et 2000. Il s'agit notamment d'une importante classe agricole décimée par les déplacements en temps de guerre et la perte du crédit de l'État, et d'un secteur des affaires soumis à de nombreux rackets et à des prises de contrôle prédatrices. Le nouveau chef du Baas a en quelque sorte rompu un pacte implicite avec la communauté alaouite qui a perdu des dizaines de milliers d'hommes pour sa défense, en ne parvenant pas à atténuer la dégradation constante du niveau de vie et la dépréciation des revenus dans le secteur public - y compris l'armée et les agences de sécurité - en raison des cycles sans fin de dévaluation de la monnaie nationale et de l'inflation.

Le point de bascule pour le haut commandement de l'armée, cependant, a peut-être été le sentiment que le président ne pouvait plus obtenir un soutien militaire ou financier étranger à un moment critique, même si les causes immédiates de cette situation - la guerre de la Russie en Ukraine, la dégradation de la dissuasion stratégique de l'Iran et les pertes militaires du Hezbollah au Liban - n'étaient absolument pas de son ressort. Les quatre autres cas arabes montrent que la perte réelle ou potentielle de la capacité d'un président à obtenir le soutien de l'étranger - ou à protéger l'armée des sanctions étrangères - a joué un rôle essentiel dans la détermination de l'état de préparation des forces armées à le défendre ou à l'abandonner. À cet égard, au moins, la Syrie semble s'être conformée au type des autres autocraties arabes soutenues par l'armée.

Culture d'autonomie lacunaire

Mais il y a une différence majeure. Si l'on tient compte des variations, les forces armées étaient et restent un acteur politique central et le véritable lieu du pouvoir en Égypte, en Libye, en Algérie et au Soudan, tant avant qu'après leurs soulèvements. Leurs armées sont en outre largement autonomes sur le plan social et institutionnel. En d'autres termes, elles sont indépendantes de toute coalition sociale bien définie et des autres institutions de l'État, y compris la présidence, que ce soit de facto ou, comme dans le cas de l'Égypte, légalement, à la suite d'un amendement d'une importance cruciale dans la constitution révisée de 2019.

La Syrie est différente. D'une part, malgré la militarisation de la société et de la politique et le rôle sans ambiguïté de l'armée en tant que pilier du régime pendant des décennies, celle-ci n'avait pas l'autonomie politique de ses homologues arabes. Du fait de l'imbrication de ses structures de commandement formelles avec les réseaux de contrôle informels que le régime avait tissé en son sein, ce dernier a tout fait pour préserver la cohésion et la survie de l’institution pendant la guerre civile, pour que celle-ci puisse en retour continuer à préserver le pouvoir présidentiel. Or le fait que Bachar el-Assad ait en partie détourné les yeux de sa situation pour se préoccuper davantage de tirer des revenus d'une économie en chute libre, a encore affaibli la cohésion de l'armée et la raison pour laquelle elle le défendait.

Lire aussi

Comment Israël profite de la chute d’Assad pour avancer ses pions en Syrie

D'autre part, l'armée syrienne manquait également d'autonomie sociale. La volonté même d'assurer la survie du régime en s'appuyant massivement sur le recrutement d'alaouites dans l'armée a fini par exposer l'institution à toutes les tendances qui affectaient la communauté dont elle était si fortement issue. L'armée représente depuis longtemps un secteur public majeur en soi, ce qui la rend indispensable en tant qu'outil du pouvoir présidentiel, et l'incapacité de Bachar el-Assad à la protéger de la paupérisation du reste de la bureaucratie de l'État s'est donc retournée contre lui.

Enfin, cette lecture des relations civilo-militaires syriennes laisse espérer que ce qui vient de se passer à Damas n'est pas une répétition de ce qui s'est passé en Égypte en 2011, lorsque les forces armées ont facilité le départ du président Hosni Moubarak afin de protéger leur position et de préserver le cœur du régime, ou lorsque les armées algérienne et soudanaise ont fait la même chose en 2019. Les dizaines de hauts gradés de l'armée syrienne qui sont restés à Damas le dernier jour du règne de Bachar el-Assad lui ont sans doute dit qu'ils ne se battraient pas pour lui et lui ont conseillé de se retirer. Mais eux n'avaient pas la culture de l'autonomie sociale et politique nécessaires pour faire avorter la transition politique de la Syrie et prendre le pouvoir en main.

Ce texte est disponible en anglais et en arabe sur Diwan, le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.

Par Yezid SAYIGH

Chercheur principal au Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center

La chute du président syrien Bachar el-Assad, le 8 décembre, a donné lieu à un déluge de commentaires bien informés tentant d’expliquer comment et pourquoi son régime s'est effondré si rapidement. En revanche, la question très pertinente posée le même jour par le reporter syrien et analyste chevronné Hassan Hassan, n’a pas encore trouvé de réponse satisfaisante. « Quelque chose...
commentaires (2)

okay....and?

Marie Claude

18 h 29, le 17 décembre 2024

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • okay....and?

    Marie Claude

    18 h 29, le 17 décembre 2024

  • Super article

    axangliviel@hotmail.com

    19 h 21, le 10 décembre 2024

Retour en haut