Ce livre, suite au remarquable Les Français de la belle époque, a pour ambition de montrer et d’expliquer comment les Français vivaient et comment ils ont changé durant la période des deux guerres mondiales allant de 1914 à 1948, un temps terriblement marqué par ces deux guerres.
La Grande Guerre, c’est plus de six millions de mobilisés dont une part importante n’a pas ou peu combattu. Une violence extrême dans les combats, mais aussi de très longues attentes. L’armée n’est pas un rassemblement d’individus de même conviction, mais une institution, avec des chefs, des structures, des rituels. Les soldats ont tenu parce qu’ils ont fait corps, liés par une hiérarchie et des solidarités, des camaraderies de petits groupes.
La société a été mobilisée dans son ensemble. L’économie a été mise au service de la guerre. Les structures de production ont été transformées avec en particulier de très grands progrès dans la mécanisation.
La société a ensuite connu un nouveau départ avec la reconstruction de l’après-guerre dans un temps d’instabilité monétaire, nouveau choc pour les populations.
Trois changements majeurs ont eu lieu : le renforcement du rôle de l’État, un travail ouvrier maintenant nettement séparé de celui de la terre, la transformation des usines en un monde d’OS (ouvriers spécialisés), encadrés par une élite de professionnels. Le modèle guerrier de révolution est réhabilité avec une direction à Moscou, doté de moyens puissants. Durant toute la période, le salariat progresse au détriment des travailleurs indépendants. Parallèlement, l’État providence s’affirme.
Le fait majeur des années 1930-1935 est la baisse des prix de détail, un fait si inhabituel que nous peinons à l’imaginer. Ils ont diminué d’au moins 25 % et se situaient encore en juin 1936 plus de 20 % en dessous de leur niveau de 1930. Ceux qui avaient un emploi ont pu en bénéficier, les victimes ont été les chômeurs à temps plein ou partiel.
L’inflation et la quasi-suppression de nombreuses rentes a conduit à la ruine des rentiers et a forcé l’ensemble de la bourgeoisie à travailler, d’où l’importance prise par les études supérieures. De même, l’importance de la dote a diminué favorisant le mariage d’amour.
On a ainsi une imbrication entre les anciennes classes moyennes (artisans et commerçants) et la bourgeoisie salariée qui comprend maintenant une part féminine. Les employés deviennent de plus en plus nombreux. Comme d’habitude, les fonctionnaires sont à la fois enviés et vilipendés. Le service public ne lie pas les fonctionnaires aussi étroitement que l’usine les ouvriers, il est un archipel dont les corps s’égrènent tels des îles plus ou moins grandes et plus ou moins volcaniques.
La paysannerie a payé le poids le plus lourd durant la Grande Guerre. Le nombre d’exploitation diminue progressivement en même temps que la modernisation progresse. Le brassage pousse à la généralisation du français au détriment des patois.
La crise du logement frappe les villes mais les modes de vie urbains s’enrichissent du tourisme et du sport. La modernité s’impose naturellement. Il y a bien des censeurs qui dénoncent les modes nouvelles, la concurrence du tango à la valse, ou préfèrent les soirées en famille aux jeux du stade et l’opéra au jazz, mais les rubriques sportives s’installent dans la presse quotidienne sans tapage et les triomphes sportifs, l’Atlantique traversé en avion comme les tournois gagnés, font les unes.
L’auteur avec toujours autant de finesse décrit les autres institutions sociales : l’Église, l’enseignement, l’enfance. Les relations familiales deviennent de plus en plus affectueuses. Le pacifisme conduit à un refus de la guerre lors de la montée des périls. La politique coloniale est celle des colons. En métropole, l’outre-mer est mal connu.
Les années 30 voient une très grande créativité dans de nombreux domaines. C’est une France dynamique, pacifiste et irrémédiablement divisée qui entre en guerre à reculons le 3 septembre 1939.
Le livre se termine par les années noires de la Seconde guerre mondiale et les promesses de la Libération. De Gaulle a joué un rôle immense dans le retour à l’État de droit en 1944-45. Il est accompagné de grandes réformes sociales dans un temps de pénuries multiples.
Antoine Prost est un grand historien. Il nous restitue de façon vivante les Français de ce temps tout en n’hésitant pas à avoir recours aux statistiques quand cela est nécessaire. Ses deux livres sur les Français du XXe siècle sont à lire absolument.
Les Français d’une guerre à l’autre d’Antoine Prost, Gallimard, 2024, 448 p.