À l’ambassade d’Afghanistan de Londres, les portes sont closes depuis un mois. Le Royaume-Uni, comme la Norvège, a accédé aux demandes des talibans de fermer ces représentations tenues par des envoyés de l’ancien régime. Qui dénoncent une « trahison ».
La bizarrerie diplomatique durait depuis trois ans. Ces missions, dont les employés avaient été nommés par la République islamique d’Afghanistan, ennemie des talibans, avaient poursuivi leur activité après leur prise de pouvoir mi-août 2021.
Trois années durant, elles avaient dénoncé politiquement leurs agissements, notamment vis-à-vis des Afghanes. Tout en continuant d’émettre passeports et visas.
Jusqu’à cet été, quand le gouvernement des talibans, dans un courrier envoyé aux chancelleries occidentales, a annoncé « ne plus endosser la responsabilité » des délivrances, ajoutant avoir coupé tout lien avec ces ambassades.
Mi-septembre, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement taliban Amir Khan Muttaqi les a aussi accusées d’« énorme corruption » parce qu’elles « émettaient de faux documents et augmentaient les prix ». Une prévarication reconnue par une ancienne consule afghane en poste en Europe.
Quatre autres diplomates de l’ancien régime, interrogés, rejettent toutefois des accusations sans preuves, visant selon eux à mettre à genoux les missions afghanes. Ambassades et consulats, expliquent-ils, se finançaient uniquement grâce à l’émission des documents de voyage. Leurs revenus ont donc périclité. Tout comme leur légitimité.
Parmi les nombreux pays occidentaux sollicités par le gouvernement des talibans, dont aucun ne reconnaît officiellement son autorité, presque tous ont décidé de ne pas s’exécuter. Mais deux ont choisi de lui donner droit.
Lourde déception
« La Norvège prend acte que ce sont les autorités qui de facto contrôlent l’appareil d’État en Afghanistan et qui, selon le droit international, peuvent rappeler le personnel des missions afghanes à l’étranger », a expliqué le ministère des Affaires étrangères norvégien. L’ambassade d’Oslo a fermé le 12 septembre.
Celle de Londres a connu le même sort le 27 septembre, « à la demande officielle du pays-hôte », avait posté sur X l’ex-ambassadeur et ancien ministre des Affaires étrangères afghan Zalmai Rassoul.
Un porte-parole du Foreign Office a toutefois nié toute responsabilité du gouvernement britannique, parlant d’une décision de « l’État d’Afghanistan ». Et d’ajouter : « Il n’y a pas d’autre solution que d’engager (le dialogue) de manière pragmatique avec l’administration actuelle en Afghanistan. »
Une position surprenante venant du deuxième plus gros contingent de la coalition de l’OTAN qui avait chassé les talibans du pouvoir fin 2001. En 20 ans, les Britanniques ont perdu 457 soldats en Afghanistan, contre dix pour la Norvège, également membre de cette coalition.
« Le mot qu’on peut employer, c’est “trahison” », dénonce Nazifullah Salarzai, le président du conseil des ambassadeurs afghans de l’ancien régime, qui s’étrangle : « Si vous ne reconnaissez pas un groupe, comment pouvez-vous agir en suivant une lettre qu’ils vous ont envoyée ? »
Interrogé, un ancien diplomate européen à Kaboul évoque un nécessaire changement de stratégie de l’Occident vis-à-vis des autorités talibanes. « La confrontation n’a mené à rien », souligne-t-il, si ce n’est à une « détérioration » des relations accompagnée d’un anéantissement des droits des Afghanes.
Acteur sécuritaire
La question migratoire serait aussi une composante importante du jeu diplomatique, selon plusieurs sources.
Alors que le gouvernement des talibans ne reconnaît plus que cinq missions en Europe (Prague, La Haye, Madrid, Sofia et le consulat de Munich), les diplomates afghans craignent que l’Allemagne, où vivent plus de 500 000 Afghans, n’emboîte le pas à Londres et Oslo.
« Le gouvernement fédéral n’a jusqu’à présent apporté aucun changement au statut des représentations afghanes en Allemagne » et ne considère pas comme « légitime » le régime des talibans, a répondu une source diplomatique. Berlin a pourtant négocié avec le gouvernement des talibans, le Qatar jouant le rôle d’intermédiaire, pour permettre l’expulsion d’Allemagne fin août de 28 criminels afghans vers leur pays d’origine, selon Der Spiegel.
D’après la presse allemande, de telles expulsions pourraient se poursuivre à l’avenir via l’Ouzbékistan, pays voisin de l’Afghanistan qui mi-septembre a signé un accord migratoire avec l’Allemagne, avant d’agréer en octobre un ambassadeur afghan nommé par le nouveau régime.
La question est aussi sécuritaire, alors que les attaques dans plusieurs pays de la branche afghane du groupe État islamique, contre laquelle les talibans luttent, ont fait d’eux des interlocuteurs inattendus dans la guerre antiterroriste.
« Les pays occidentaux ont des relations de facto avec les talibans en tant qu’acteur sécuritaire » pour éviter qu’ils ne « deviennent une source d’insécurité, une sorte de menace », observe un ancien cadre sécuritaire afghan réfugié en Europe.
« Quand on perd les guerres, on n’a plus que de mauvaises solutions », résume Gilles Dorronsoro, chercheur expert de l’Afghanistan. « La décision de Londres et Oslo est un cadeau pour les talibans mais relève du principe de réalité, souligne-t-il : il n’y a aucune alternative au régime taliban », dont une délégation assiste à la COP29 qui s’ouvrait lundi en Azerbaïdjan. Une première.
Source : AFP