Dans mes derniers textes publiés dans L’Orient-Le-Jour, le 3 juillet 2024 et le 20 juin 2022, j’avais évoqué les défaillances du parti démocrate, qui risquaient de lui faire perdre l’élection présidentielle de 2024. Mes prévisions se sont avérées correctes. En effet, ces élections marquent un tournant décisif pour le parti démocrate des États-Unis. Les choix stratégiques opérés par ce dernier révèlent une série d’erreurs de jugement qui risquent de compromettre son avenir à court et moyen terme. Parmi ces erreurs, deux en particulier méritent d’être soulignées.
La première erreur réside dans le retard et la gestion maladroite du retrait de Joe Biden de la course présidentielle. Bien que des préoccupations concernant son âge et sa santé aient émergé dès 2023, le parti n’a réagi qu’après le débat présidentiel de juin 2024 entre Biden et Trump. La performance catastrophique de Biden lors de ce débat a intensifié la pression au sein de son propre camp pour qu’il se retire. Mais à ce moment-là, il était déjà trop tard. Le mal était fait. Biden, pris au dépourvu et incapable de s’adapter à la situation, a d’abord résisté à son retrait, mais a fini par céder face à la pression croissante exercée par son propre parti, dont l’une des figures dominantes était Nancy Pelosi, ancienne présidente de la Chambre des représentants. Bien qu’elle n’ait pas explicitement demandé à Biden de se retirer, elle a exercé une influence discrète, parfois perçue comme perfide, pour orienter l’opinion des élites démocrates en faveur de son désistement. Cette manœuvre, loin de calmer les tensions, a exacerbé l’incertitude et l’instabilité au sein du parti. Ce n’est qu’à la fin du mois de juillet que Biden a annoncé son retrait, devenant ainsi le premier président en exercice depuis Lyndon B. Johnson en 1968 à abandonner la course à la réélection. D’ailleurs, il est évident que Biden en veut toujours à Pelosi pour ce qu’il perçoit comme un acte immonde de trahison.
Le second échec stratégique du parti démocrate réside dans la manière précipitée dont Kamala Harris a été choisie pour remplacer Biden. Cette décision hâtive, prise dans l’urgence, n’a pas été le fruit d’un véritable processus démocratique. Nancy Pelosi a également joué un rôle central dans cette transition accélérée. En quelques jours seulement après l’annonce du retrait de Biden, Harris a été couronnée candidate, sans qu’aucune alternative sérieuse n’ait été envisagée. Certains pourraient penser que la vice-présidente Kamala Harris est de facto la candidate du parti démocrate en cas de retrait de Biden. Cependant, cela n’est pas le cas. En effet, les règles du parti démocrate ne donnent aucun avantage majeur au vice-président par rapport aux autres candidats potentiels en cas de retrait volontaire du président. Donc cette précipitation de choisir Harris contre vents et marrées a manqué de transparence. Pire, elle a été largement perçue comme une manipulation politique, privant ainsi les électeurs de la possibilité d’exprimer librement leurs opinions. Si l’objectif affiché était de maintenir l’unité du parti, cette décision a paradoxalement accentué le fossé entre une base électorale de plus en plus désillusionnée et une élite perçue comme autoritaire, agissant en coulisses sans consulter véritablement la base populaire. En privilégiant une unité de façade, le parti démocrate n’a pas seulement fragilisé son image, mais a aussi raté l’opportunité d’engager un renouvellement idéologique nécessaire pour s’adapter aux nouvelles attentes des électeurs. Cette situation est d’autant plus problématique que les jeunes générations sont de plus en plus engagées et exigent non seulement une plus grande transparence, mais aussi une participation plus intense dans les décisions cruciales. En ignorant ses bases populaires, le parti démocrate s’est en quelque sorte tiré une balle dans le pied.
Pourtant, Kamala Harris avait commencé sa campagne tambour battant. Mais au fil du temps, l’enthousiasme et l’exubérance ont commencé à s’atténuer, surtout qu’elle semblait manquer de confiance. Lors d’une interview sur la chaîne ABC, à peu près un mois avant l’élection présidentielle, elle a répondu à la question de Sunny Hostin, « qu’est-ce que vous auriez fait différemment du président Biden au cours des quatre dernières années ? » : « Il n’y a rien qui me vienne à l’esprit. » Un pays avide de changement n’a certainement pas apprécié cette réponse qui manquait de vision et de conviction.
Mais le problème du parti démocrate est bien plus profond qu’une simple réponse mal formulée. Il est évident que le « parti de l’âne », comme on le surnomme aux États-Unis depuis 1828, traverse une crise existentielle. Ses erreurs stratégiques révèlent non seulement un manque de cohésion interne, mais aussi une incapacité à se réinventer face à un paysage politique en constante évolution. Il a perdu non seulement la présidentielle, mais aussi les deux chambres du Congrès (le Sénat et la Chambre des représentants). Pire encore, les échecs cuisants des démocrates pourraient ternir durablement l’image du parti pour des années, voire des décennies. Si ce cercle vicieux persiste, le parti pourrait bien se retrouver dans une position de plus en plus marginalisée et fragilisée.
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