L’ancien président Donald Trump a fait un come-back impressionnant, remportant non seulement une majorité de grands électeurs, le Sénat – la course pour la Chambre des représentants étant encore serrée –, mais aussi pour la première fois en vingt ans côté républicain, le vote populaire. De quoi faire pleuvoir les félicitations des dirigeants de la planète, et particulièrement au Moyen-Orient, où il a promis d’arrêter les guerres en cours. Sur les dossiers brûlants de la région, que peut-on attendre dans les prochains mois ? Nadim Houry, directeur exécutif du centre de réflexion Arab Reform Initiative (ARI), répond aux questions de L’Orient-Le Jour.
Les populations et les dirigeants arabes paraissent se réjouir du retour de Donald Trump au pouvoir. Comment l’expliquez-vous ?
La majorité des dirigeants arabes sont des dictateurs, des autocrates. Et Donald Trump, qui a une approche essentiellement transactionnelle, n’a jamais eu de problème avec eux : en 2019, par exemple, il avait déclaré que son homologue égyptien Abdel Fattah el-Sissi était son « dictateur préféré ». En outre, Donald Trump a des relations privilégiées avec les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui avaient normalisé leurs relations avec Israël en 2020 à travers les accords d’Abraham.
Côté populations, je ne pense pas qu’il y avait une adhésion à Donald Trump. Il ne faut pas oublier que le président est avant tout le « grand ami », pas simplement d’Israël, mais aussi de Benjamin Netanyahu. Durant son mandat, Washington avait reconnu l’occupation illégale du Golan par Israël. Il avait poussé pour les colonies en Cisjordanie et avait transféré l’ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem. Par ailleurs, il avait aussi adopté des politiques anti-musulmans en interne. Mais le rôle de l’administration Biden et de Kamala Harris dans le génocide en Palestine a bien sûr influencé la perception que les populations arabes ont de ces derniers. Et probablement aussi cette hypocrisie de l’administration actuelle, qui s’exprime souvent, se disant triste pour les victimes en Palestine et au Liban mais qui, concrètement, n’a vraiment pas fait grand-chose. Il a donc pu y avoir au niveau des populations arabes un désir de voir Joe Biden et son administration détestée punis par les urnes. Mais j’ai bien peur que ce qui vient après ne soit pas nécessairement mieux.
Justement, beaucoup pensent que la situation au Moyen-Orient ne peut pas être pire que ce qu’elle a été sous Joe Biden. Qu’en pensez-vous ?
Même si ce n’est pas nécessaire, cela peut malheureusement devenir pire, et ce de deux manières. La première, c’est une guerre régionale qui serait sans limite. L’administration Biden avait poussé Israël à ne pas bombarder les installations pétrolières et nucléaires de l’Iran. Si on sait que Donald Trump préfère les escalades et les bravades sans nécessairement aller jusqu’au conflit, est-ce qu’il ferait la même chose ? Ou est-ce qu’il soutiendrait une attaque plus générale ? C’est une possibilité.
Le second danger est que la prochaine administration américaine, forte d’une alliance avec une droite messianique dangereuse en Israël, essaie de changer de manière permanente la situation à Gaza, mais aussi en Cisjordanie. Les deux perspectives sont inquiétantes.
Quelles sont les politiques que pourrait prendre le nouveau président sur les dossiers brûlants de Gaza, du Liban ou encore de l’Iran ?
Nous sommes encore dans une phase de pure spéculation. Bien sûr, tout le monde dit que Donald Trump a une logique transactionnelle. Mais à Gaza, il aimerait qu’Israël achève ses objectifs d’ici à l’année prochaine pour se présenter ainsi comme l’homme qui a mis fin au conflit en janvier. Et je pense qu’il y a beaucoup de coordination entre lui et Benjamin Netanyahu sur ce plan. On peut ainsi craindre une escalade durant les prochaines semaines – ce qui est, bien que difficile, malheureusement encore possible –, menant potentiellement à une espèce de déclaration de victoire commune en janvier. Et je pense que le président américain va s’opposer à tout effort pour mettre fin à l’impunité, par rapport notamment au travail de la Cour pénale internationale et au mandat d’arrêt potentiel attendu contre Benjamin Netanyahu, etc. Il faudra aussi suivre de près la relation du président américain avec les pays du Golfe, notamment les Émirats arabes unis, dont Mohammad Dahlane est très proche, et qui pourrait être présenté comme l’homme fort de la période post-guerre dans l’enclave.
Par rapport au Liban, je pense que ce que Donald Trump voudrait, c’est un peu ce qu’on voit déjà avec l’administration Biden, c’est-à-dire un ordre politique post-Hezbollah. La question fondamentale ici est : est-ce que Donald Trump va déployer plus de pression sur l’Iran que Biden n’était prêt à le faire ? L’intention y est certainement, mais est-ce que le président a des leviers suffisants et est-ce qu’il est prêt à risquer une guerre totale avec l’Iran sur ces dossiers-là ? Les prochains semaines et mois devraient nous donner plus d’indications à cet égard. Il ne faut pas oublier que Trump ne sera président qu’en janvier. Il y aura peut-être des développements d’ici là...
Si M. Trump s’était retiré de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran lors de son premier mandat, certains soulignent aujourd’hui une propension à négocier un « deal » régional avec Téhéran. Quels contours pourrait-il prendre ?
Ce qui importera avant tout, ce sont les hommes qui vont être nommés aux postes-clés. On pense par exemple à quelqu’un comme Mike Pompeo, qui est resté proche de Donald Trump, ainsi que d’autres. Eux défendent une position profondément anti-iranienne et leur stratégie pendant le premier mandat du républicain était d’essayer de renforcer l’alliance entre Israël et les États arabes afin d’isoler et de contourner l’Iran, à travers les fameux accords d’Abraham ou encore des ventes d’armes. Leur objectif était de renforcer cet axe, notamment à travers les pays du Golfe, le but ultime étant de décrocher la normalisation avec l’Arabie saoudite. Cela n’a finalement pas eu lieu en raison du 7 octobre et des attaques du Hamas. Et je pense que Donald Trump garde en tête cette idée de revenir à cette vision de la région – qui a été en quelque sorte adoptée par Joe Biden. Ce que l’administration démocrate a tenté, Donald Trump essayera de l’accélérer. Réussira-t-il ? C’est là toute la question.
De l’autre côté, Téhéran pourrait-il envisager un deal ? Dans l’absolu, il est tout à fait possible d’imaginer que oui, pour préserver un tant soit peu ses intérêts. Le nouveau président iranien l’avait déjà indiqué en allant à New York il y a plus d’un mois et demi. Le problème, c’est que je vois mal Donald Trump céder aujourd’hui aux conditions iraniennes. Au contraire, il va vouloir mettre plus de pression, et l’accord qu’il pourrait imaginer avec ses alliés sera profondément défavorable à l’Iran. Par conséquent, il est difficile d’envisager que l’Iran l’accepte. Il faudra, là aussi, attendre de voir ce qu’il se passera dans les prochains mois.
Joe Biden pourrait-il tenter d’obtenir des avancées sur les dossiers moyen-orientaux avant la fin de son mandat ? Si oui, quelles sont les chances que Benjamin Netanyahu s’y plie ?
Malheureusement, je doute que Benjamin Netanyahu offre des cadeaux de départ à Joe Biden. Le président sortant était déjà un homme très affaibli ces derniers mois. Il l’est encore plus aujourd’hui. Tout le monde dans la région sait que c’est Donald Trump qui décidera. Aussi, je ne pense pas que Biden fera quoi que ce soit qui puisse avoir un effet. Je dirais même que l’administration démocrate, sachant qu’il lui reste deux mois, ne fera rien qui pourrait déranger Donald Trump. À ce stade, nous sommes déjà dans le moment de Trump en termes de politique étrangère.
Dans la présidentielle américaine, le plus grand gagnant après Donald Trump, c’est Benjamin Netanyahu. La seule chose qui pourrait encore faire bouger les choses, c’est s’il y a des changements sur le terrain, militairement, que ce soit de la part du Hezbollah ou de l’Iran. Sinon, il continuera de se sentir conforté dans le fait de commettre ses terribles crimes et ce génocide en Palestine, de poursuivre la colonisation de la Cisjordanie. La seule vraie question pour moi, qui changerait la dimension du conflit, et à laquelle je n’ai pas de réponse, c’est si Benjamin Netanyahu cherchera de nouveau à frapper l’Iran avec un allié américain désormais encore plus proche.