Vérifier la météo, même si l’on n’a pas l’intention de sortir. Se la jouer touriste, par exemple, s’imaginer qu’aujourd’hui on irait se promener, que nos déplacements seraient autres qu’utilitaires, courses ou travail. Qu’on irait se baigner à Jiyé avant le prochain orage, ou faire une virée au musée national pour découvrir cette aile récemment inaugurée, ou déjeuner au centre-ville. Mais « la qualité de l’air actuelle est mauvaise » indique la petite fenêtre sur le smartphone. Depuis plus d’un mois, la qualité de l’air sur Beyrouth oscille entre « mauvaise » et « médiocre ». Avec toutes ces bombes qui pleuvent sur la ville, leur grondement caverneux larguant un sombre hiver au cœur de l’été indien, la qualité de l’air est le moindre dommage de la guerre, entre la poussière, les larmes et le sang déversés. Encore heureux que les drones ne fonctionnent pas au fuel. Jiyé est bombardée plus souvent qu’à son tour, les musées et galeries sont fermés, le centre-ville désert, sinon quelques tentes résiduelles où s’abritent des malheureux qui ne savent pas encore où aller. La première tempête les délogera encore une fois.
Tandis que tout le monde s’interroge sur le sort des aides internationales parquées dans les hangars de l’aéroport faute de logistique pour en organiser efficacement la distribution, les collectes privées se poursuivent pour soulager tant soit peu le quotidien des Libanais poussés sur les routes, réduits à se serrer dans des écoles mises à l’arrêt, partageant à plusieurs des matelas qui sont pourtant livrés par milliers, mais les besoins se montent à des centaines de milliers.
Et puis vous apparaît le turban blanc qui a fini de répéter le numéro du doigt devant son miroir. Par ennui, vous comptez dans son discours les occurrences du mot « victoire ». Lassitude de ce mot indéfinissable, sans contenu, sans horizon, sans pitié pour toute une communauté longtemps marginalisée, dont on a pris prétexte de la misère pour la priver du peu qu’elle avait. De guerre en guerre, les chiites libanais n’ont d’autre choix que le renoncement, au nom de la victoire. Lassitude et puis rage, quand l’homme vous annonce que tant que celle-ci ne sera pas réalisée selon les termes et conditions de la « résistance islamique », le seul choix possible est la poursuite des combats jusqu’au dernier homme, jusqu’à la dernière pierre, jusqu’à ce qu’il ne reste rien à célébrer ou à pleurer. Rage de l’entendre dire que le Hezbollah est « structuré dans tous les domaines », quand il n’est même pas capable de prévoir un abri pour tous ceux qui ont été poussés à l’exode par son aventurisme. Rage de l’entendre affirmer que « la victoire appartient aux croyants », tandis qu’en parallèle Israël attribue une autre victoire, celle de Trump à la présidentielle, à une intervention divine. Ne plus supporter, en plus des humiliations de la guerre et des privations et dangers qu’elle impose, l’humiliation suprême des mensonges qu’on tente de nous faire avaler, des insultes en rafale à notre intelligence. Ne plus supporter d’être enjoint à taire sa réprobation par un définitif « il n’est plus important de savoir comment la guerre a commencé et ce qui l’a causée ». Il sera toujours important de le savoir et de le marteler : ce n’est pas Israël qui a commencé cette guerre, et le Hezbollah savait qu’il ouvrait les portes de l’enfer sur ses gens et tout le Liban, presque heureux de souffrir, persuadé qu’infliger quelques égratignures au camp d’en face relève pour lui d’une mission divine.
Dire à Dieu qu’il nous fatigue. Le prier d’arrêter d’intervenir dans des victoires contre la vie et contre tout ce qu’on lui attribue de création et de créatures.
Magnifique article. Chaque mot est bien placé...
12 h 55, le 08 novembre 2024