À peine s’était-elle rodée à l’heure d’hiver, voici qu’une bonne partie de l’humanité se retrouve scotchée à l’horloge américaine, dans l’attente de ce fatidique 5 novembre qui verra la première superpuissance mondiale se doter d’un nouveau chef. Honneur dont ils se seraient bien passés, c’est avec une anxiété toute particulière que les Libanais s’interrogent sur les heurs et malheurs que peuvent bien leur réserver les urnes. Car pour notre pays en proie à une furie israélienne que seuls les États-Unis sont en mesure de stopper ou de freiner – et même pour la région tout entière –, il y va de bien davantage, de beaucoup plus décisif que le cours du dollar, le prix du baril de pétrole, l’indice Dow Jones ou même l’avenir de l’OTAN.
Donald Trump et Kamala Harris, c’est bonnet blanc et blanc bonnet, vous disent sceptiques et fatalistes. Même si les deux candidats se rejoignent dans un même et massif soutien à Israël, la démocrate est tout de même plus sensible à la question palestinienne, font valoir cependant les adeptes du moindre mal. À quoi les admirateurs du républicain vous opposeront sa promesse d’un Liban stable et prospère, consignée par écrit à l’adresse de l’électorat du Michigan. Par-delà toutes ces spéculations, reste cependant cette implacable évidence : Benjamin Netanyahu, condamné dès le départ à une guerre longue, n’a pas attendu les derniers jours du compte à rebours pour activer son chronomètre et exploiter à fond le facteur temps. Sans jamais desserrer son étau sur Gaza, il avait longtemps paru s’accommoder, sur son front nord, des règles d’engagement que le Hezbollah croyait tacitement convenues, immuables. Ce n’est qu’à l’approche du scrutin présidentiel US qu’il a porté le conflit à un niveau infiniment supérieur, qu’il est carrément monté à l’assaut de la milice, de son commandement suprême, de ses stocks de missiles et de ses galeries souterraines. Et maintenant qu’on n’est plus qu’à quelques heures du D-Day électoral, Israël redouble de violence contre le Sud, la banlieue chiite de Beyrouth et la Békaa. L’État hébreu accumule les crimes de guerre, suscitant l’émoi des organisations onusiennes ; celles-ci en sont même à s’inquiéter pour les ruines historiques de Tyr et de Baalbeck classées au patrimoine mondial de l’Unesco.
C’est dans ce calamiteux contexte que Netanyahu récusait jeudi le projet de cessez-le-feu que lui soumettaient deux hauts émissaires américains. Pourquoi d’ailleurs, on vous le demande, s’arrêterait-il en si destructrice voie ; pourquoi ferait-il un tel présent à une administration Biden dont c’était là le chant du cygne ; pourquoi ne pas garder ce cadeau bien au chaud – et même en marmite-pression sur feu vif – pour l’offrir à Trump, grand favori de la droite israélienne ? À cette diabolique gestion israélienne du calendrier, l’on voit hélas opposer une rhétorique incroyablement déconnectée du temps. Pour sa première apparition en tant que successeur élu de Hassan Nasrallah, le cheikh Naïm Kassem a ainsi relevé le défi d’une guerre longue, prêchant la patience sans regarder à la dépense. Le nouveau chef de la milice s’est félicité des colonies de Galilée désertées par leurs quelques dizaines de milliers d’habitants en faisant l’impasse sur le million et demi de Libanais jetés sur les routes de l’exode. Ces malheureux qui le plus souvent ont tout perdu, qui sont hébergés à la va-comme-je-te-pousse, il a cru pouvoir les réconforter en exaltant leur dignité préservée …
Mais l’État libanais lui-même a-t-il mieux évalué l’extrême importance du facteur temps ? C’est en vain que des cohortes de responsables étrangers sont venues mettre en garde les responsables légaux contre les risques chaque jour croissants d’intensification du conflit. Des mois durant, nos dirigeants ont observé, en spectateurs à peine concernés, les échanges de tirs à la frontière sud sans jamais se dissocier, de manière crédible et convaincante, de cette téméraire équipée qu’était l’ouverture d’un front de soutien à Gaza ; ils ont attendu le dernier moment pour se décider à quémander un arrêt des hostilités, alors que l’ennemi avait déjà entamé son sprint final. Hier, le chef du gouvernement d’expédition des affaires courantes et le président de l’Assemblée s’accordaient à constater platement que le projet américain a capoté par la faute de l’ennemi ; et que la violence des bombardements prouve son refus de tout cessez-le-feu.
Se mettre à deux pour pondre une aussi énorme lapalissade, c’était ça en somme l’exploit politique de la semaine.
Issa GORAIEB