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Réveils en catastrophe


Du Liban on a pu dire qu’il est le pays des occasions perdues. Si complexe et laborieuse y est toute prise de décision étatique, si nombreux et contradictoires sont les facteurs entrant en jeu, que notre pays attend trop souvent d’être arrivé à l’extrême bord du gouffre pour se décider à démentir la sombre fatalité.

Ce que se résout à faire en ce moment le pouvoir libanais est, dès lors, en retard d’un an. Dans un premier temps, un gouvernement démissionnaire – et étroitement contrôlé par le Hezbollah – a donné la singulière impression qu’il n’était même pas concerné par le périlleux ping-pong qui se jouait, comme en compétition privée, à la frontière sud entre la milice et Israël. La température ne cessant de monter, le Liban officiel a cru par la suite se donner bonne conscience en jurant ses grands dieux qu’il n’avait jamais souhaité la guerre. C’est seulement le fracas des missiles s’abattant sur une large part du territoire, c’est la crainte de désastres encore plus énormes qui le tirent maintenant de sa léthargie. Pour le dire en toutes lettres, c’est bien dommage, douloureux, de constater que pour qu’apparaisse un tel frémissement de vie il aura fallu que s’émousse substantiellement, sous les coups de l’ennemi, l’emprise de la milice pro-iranienne sur les destinées de la République.

Prudente, mesurée reste cependant l’audace toute fraîche des dirigeants. En réclamant un cessez-le-feu immédiat, ils répudient de facto, mais pas encore explicitement, l’intransgressible lien de cause à effet entre la boucherie de Gaza et le front sud libanais qu’avait décrété Hassan Nasrallah. Car bien qu’orphelin de son charismatique leader, bien que démuni désormais de systèmes de communication conventionnels, bien que demeurant l’objet d’une implacable chasse à l’homme, le Hezbollah est loin d’avoir jeté l’éponge, faisant même preuve d’un regain de combativité. Hier encore le guide suprême d’Iran appelait d’ailleurs la totalité du monde islamique à se joindre à une lutte. De son côté, et par-delà les serments de solidarité qu’il est venu prodiguer à Beyrouth, le ministre iranien des A.E. n’a envisagé d’autre arrêt des hostilités qu’en jumelage avec Gaza et avec l’assentiment du parti de Dieu. Sans doute n’avait-il pas trop apprécié cette autre et fort inattendue liberté que s’est octroyée, il y a quelques jours à l’ONU, une diplomatie libanaise habituellement timorée et avare de surprises. On y a vu ainsi, pour la première fois, notre délégation évoquer la situation d’un Liban pris entre l’agression israélienne et les ambitions régionales. Ah, qu’en termes élégants ces choses-là étaient dites !

Pour timide qu’elle fût, l’allusion ne manquait tout de même pas de piquant…

Non moins vitale qu’un cessez-le-feu est par ailleurs la fin de la vacance présidentielle vieille, elle, de deux ans. C’est sous la même, lancinante et omniprésente pression de la guerre que l’urgence d’y remédier vient de se rappeler au bon souvenir de tous. La bonne nouvelle, assortie de l’assurance qu’il n’y avait désormais de place que pour un président de consensus, nous en était annoncée mercredi par une troïka improvisée groupant le Premier ministre démissionnaire, le chef du législatif et le leader du PSP Walid Joumblatt. Pour en faire un quatuor parfaitement représentatif et harmonieux manquait (et pour cause !) le chrétien de service, lacune que l’on a cru pouvoir expliquer par la multitude de très estimés candidats pouvant prétendre au pupitre… et au titre. À tout prendre cependant, et passé l’émoi causé un moment par cette absence, les chrétiens pourraient au contraire tirer fierté de cette pluralité qui est effectivement la leur, au sein d’un Liban dont la vocation est précisément le pluralisme. Ils échappent à la loi du zaïm unique, ils sont encore traumatisés par le pénible précédent de deux coqs se sautant à la gorge pour le contrôle d’un coin de poulailler. Toujours est-il qu’il ne faut surtout pas laisser traîner les choses, attendre que se soit étendue l’agression pour finir par élire un chef de l’État à l’ombre d’une éventuelle invasion ennemie. Ce grief avait été fait en 1982 par une partie des Libanais au président élu Bachir Gemayel, assassiné en dépit de la large adhésion populaire qu’il se gagnait rapidement. Or c’est le même sort qu’un ancien député prédisait tout récemment, avec la plus stupéfiante outrecuidance, à tout président qui n’aurait pas la caution de la milice.

Éteindre au plus tôt l’incendie ; élire un président ; secourir le million et quart de malheureux citoyens jetés sur les routes, victimes des fausses promesses de victoire dont les ont abreuvés les va-t-en guerre, mais aussi de la scandaleuse impréparation d’un État fainéant ; retour dans le giron de l’État des communautés au complet : gigantesque est le chantier qui attend le Liban. Il requiert une exceptionnelle dose de détermination, de sens des responsabilités nationales. Sans surtout oublier la célérité.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Du Liban on a pu dire qu’il est le pays des occasions perdues. Si complexe et laborieuse y est toute prise de décision étatique, si nombreux et contradictoires sont les facteurs entrant en jeu, que notre pays attend trop souvent d’être arrivé à l’extrême bord du gouffre pour se décider à démentir la sombre fatalité.Ce que se résout à faire en ce moment le pouvoir libanais est,...