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Politique - Disparition

Comment j’ai rencontré le « sayed »

Comment j’ai rencontré le « sayed »

Une affiche géante de Hassan Nasrallah à Téhéran le 30 septembre 2024. Atta Kenare/AFP

Je le précise tout de suite, je ne prétends pas bien le connaître, ne l’ayant vu que quelques fois. Mais de toutes les personnalités que j’ai rencontrées au cours de ma carrière, Hassan Nasrallah est l’une des plus marquantes. D’abord du fait de son charisme et ensuite en raison des modalités particulières qui accompagnent chacune de ses apparitions et qui donnent à ses interlocuteurs l’impression de vivre une grande aventure.

Ma première rencontre avec « le sayed » a eu lieu au début du mois de mai 1997. Le pape Jean-Paul II devait arriver à Beyrouth pour une visite historique et la direction du journal avait voulu sonder à l’époque le secrétaire général du Hezbollah, alors que son parti parlait encore d’une République islamique au Liban. Les mesures de sécurité n’étaient pas encore aussi strictes qu’elles ne le sont devenues par la suite. La rencontre a eu lieu dans un appartement banal, dans un des quartiers de la banlieue sud de la capitale. Aucun élément personnel ne permettait de dire que c’était celui dans lequel il habitait. Et soudain, il est apparu, entrant seul par la grande porte. Il s’est même assis sur le canapé à mes côtés et je ne savais plus quelle position adopter. Souriant, je pourrais presque dire un peu timide, ne me regardant pas dans les yeux pour ne pas me mettre mal à l’aise, il a parlé d’une voix basse, qui n’a rien à voir avec le ton de ses discours. En dépit des questions qui se voulaient provocatrices sur la compatibilité entre la République islamique et le Liban divers et le rôle de la communauté chrétienne, le sayed a répondu avec un grand calme, sans jamais donner l’impression d’être fanatique, se contentant d’expliquer que c’est l’injustice faite aux Palestiniens par les Israéliens et ceux qui les appuient qui est à ses yeux la cause des problèmes de la région. Nasrallah avait d’ailleurs envoyé à travers cet entretien un message positif au pape, rejoignant ce dernier et même le précédant, dans cette volonté de pousser les chrétiens à s’intégrer encore plus dans leur environnement, selon d’ailleurs ce que dira par la suite la fameuse Exhortation apostolique pour le Liban, publiée après la visite de Jean-Paul II... Quelques mois plus tard, en septembre de la même année, j’ai revu le sayed dans des circonstances douloureuses. Il venait de perdre son fils Hadi dans une opération contre les occupants israéliens et le Hezbollah avait organisé des condoléances ouvertes à tous, sous des tentes dans la banlieue sud. L’ayant interviewé il y a quelques mois, j’estimais qu’il était de mon devoir de lui exprimer ma peine et ma solidarité en ce moment précis. Mais n’étant pas vraiment consciente des usages et des coutumes en vigueur, je n’avais pas la tenue adéquate et les gardes du Hezbollah n’ont pas voulu que je m’approche de lui. C’est alors que, m’apercevant et voyant que les gardes m’empêchaient d’avancer, il leur a fait signe de me laisser passer, me faisant ainsi sentir qu’au-delà des us et des coutumes, il avait apprécié ma venue.

Je l’ai revu en juin 1998, lors de la cérémonie destinée à accueillir les prisonniers vivants et morts libérés par les Israéliens dans le cadre d’un échange négocié via les Allemands. C’était le soir, aux alentours de minuit, et les principaux responsables de l’État, Émile Lahoud, Nabih Berry et Rafic Hariri, étaient sur place, attendant l’atterrissage de l’avion dans un salon annexe. Nous autres, journalistes, nous étions parqués dans un lieu étroit, entouré d’un cordon, et nous ne pouvions pas nous déplacer. Soudain, le sayed passe, entouré bien entendu de ses gardes et de plusieurs responsables. Impulsivement, je lui lance : « Sayed, quand est-ce que vous allez nous libérer, nous aussi ? » La question résonne dans un silence choqué. La plupart des responsables me lancent des regards pleins de reproches. Nasrallah s’arrête, regarde dans ma direction et ne dit rien. Quelques minutes plus tard, le cordon a été détaché et les journalistes ont été invités à circuler librement...

Les années ont ensuite passé. Le sayed faisait souvent l’actualité et moi je la couvrais autant que possible. Je ne l’ai revu personnellement que le 12 juillet 2006, lorsqu’il a donné une conférence de presse annonçant l’opération d’enlèvement de soldats israéliens qui a, par la suite, déclenché la guerre qui a duré jusqu’au 14 août. Là aussi, je me souviens avoir posé une question qui a déplu aux organisateurs qui ont rapidement voulu passer le micro à un autre journaliste présent, mais là, encore le sayed a choisi de répondre, sans montrer le moindre dérangement. Même scénario le 1er décembre 2009, lorsqu’il a personnellement annoncé, devant un parterre d’invités, la nouvelle charte du Hezbollah, qui remplace celle de 1985. Dans cette charte, le parti reconnaît la formule libanaise ainsi que la place du Liban dans le monde arabe. Il annonce qu’il ne veut rien changer à ce sujet. C’est un tournant dans l’histoire du parti et Nasrallah a voulu lui-même lire ce document pour bien montrer la solennité de l’engagement du Hezbollah à s’intégrer au sein du tissu social libanais. À la fin de la lecture, un débat a été organisé, et cette fois, c’est lui qui m’a poussée à poser des questions, soucieux de permettre ainsi à toutes les voix de s’exprimer.

Plus tard, il y a quelques années, le Hezbollah a convié quelques journalistes (dont moi) à une rencontre, sans préciser avec qui. On m’a juste dit de me couvrir « parce que la climatisation est puissante et je risquerais d’avoir froid ». J’ai compris que la rencontre était avec une grande personnalité et je ne me suis pas trompée. Comme à chaque fois, on donne rendez-vous aux personnes conviées à la rencontre dans un lieu précis dans la banlieue sud. Une fois sur place, celles-ci montent dans des voitures aux vitres opaques, qui empêchent les personnes à l’intérieur de voir l’extérieur. Le trajet dure une vingtaine de minutes au cours desquelles on a parfois l’impression de tourner en rond... puis on arrive dans un sous-sol impersonnel, comme tous les parkings en sous-sol, et on monte dans un ascenseur où il y n’y a qu’un seul bouton à presser. On n’a même pas le temps de comprendre si on monte ou si on descend, et voilà qu’on arrive dans un appartement comme il doit y en avoir des centaines ayant le même design : les mêmes rideaux lourds, les mêmes canapés avec leur bordure en bois travaillé, les mêmes petites tables... et le même sayed, toujours avec son sourire jovial, sa voix douce et son pas un peu lourd. De près, l’homme est différent de celui qui apparaît lors de ses discours, où il manie volontairement les changements de ton, utilisant tantôt le lyrisme et tantôt les menaces. De près, c’est un leader impressionnant par la douceur de sa voix, son calme et même son souci de mettre ses interlocuteurs à l’aise et de ne pas chercher à les blesser ou à les provoquer... Qu’on l’aime ou non, Hassan Nasrallah a marqué son époque. L’histoire permettra sans doute d’évaluer son action, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle retiendra son nom, tout comme ceux qui ont eu la chance de le rencontrer... et qui ont aujourd’hui encore du mal à le cerner, tant il portait en lui des messages contradictoires.

Je le précise tout de suite, je ne prétends pas bien le connaître, ne l’ayant vu que quelques fois. Mais de toutes les personnalités que j’ai rencontrées au cours de ma carrière, Hassan Nasrallah est l’une des plus marquantes. D’abord du fait de son charisme et ensuite en raison des modalités particulières qui accompagnent chacune de ses apparitions et qui donnent à ses interlocuteurs l’impression de vivre une grande aventure. Ma première rencontre avec « le sayed » a eu lieu au début du mois de mai 1997. Le pape Jean-Paul II devait arriver à Beyrouth pour une visite historique et la direction du journal avait voulu sonder à l’époque le secrétaire général du Hezbollah, alors que son parti parlait encore d’une République islamique au Liban. Les mesures de sécurité n’étaient pas encore aussi...
commentaires (12)

Censure une fois de plus. Ça devient plus qu’agaçant ! Vos modérateurs font n’importe quoi

Lecteur excédé par la censure

11 h 16, le 02 octobre 2024

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Commentaires (12)

  • Censure une fois de plus. Ça devient plus qu’agaçant ! Vos modérateurs font n’importe quoi

    Lecteur excédé par la censure

    11 h 16, le 02 octobre 2024

  • Triste que des Libanais admirent et sont seduits par l'engin des assassinats de nos politiciens, journalistes, des peuples Syriens et Libanais. et qui ont vendu notre patrie en defense de la Perse qui fait la guerre en coulant le sang des autres, et qui a ruine tant de pays (Liban, Syrie, Yemen, Iraq-avec l'aide d'autres admettons le) et des ses ambitions expansionitses..... Reveillez vous

    Cadmos

    10 h 51, le 02 octobre 2024

  • Cette admiration mal placee explique la subjectivite affichee! On ne sait quoi dire d'autre....

    Cadmos

    07 h 05, le 02 octobre 2024

  • Un récit bien inspiré et relaté. Vous êtes chanceuse Scarlett. H d’avoir rencontré une personnalité à la fois adulée et controversée . Adoré par les uns et hai par les autres, H. Nasralla restera tout de même le leader charismatique et influent dans le milieu chiite libanais et “translibanais”. Et si sayyed Hassan vous a appréciée dès la première rencontre c’est qu’il avait le flair infaillible des personnes authentiques ou fausses.

    Hitti arlette

    15 h 09, le 01 octobre 2024

  • Les dates reprises dans l’article sont importantes. ""ON M’A JUSTE DIT DE ME COUVRIR « PARCE QUE LA CLIMATISATION EST PUISSANTE ET JE RISQUERAIS D’AVOIR FROID ». J’AI COMPRIS QUE LA RENCONTRE ÉTAIT AVEC UNE GRANDE PERSONNALITÉ ET JE NE ME SUIS PAS TROMPÉE"". Avis aux jeunes journalistes qui rêvent d’une rencontre au sommet. L’allusion au climatiseur au max, signifie qu’un haut dignitaire sera présent, et qu’il faut avoir une tenue décente. Ça ne sort pas de l’imagination d’un romancier ou d’un scénariste… Car l’histoire ne dit pas si le foulard porté (tchador en persan) était noir ou blanc.

    Charles Fayad

    11 h 05, le 01 octobre 2024

  • Que le Liban aie au moins la décence et le respect de le condamner à titre posthume pour les crimes commis ( victimes du port, assassinat de dirigeants, crimes de guerres....)

    KHL V.

    09 h 44, le 01 octobre 2024

  • Cette voix douce dont vous parlez? Rafic Hariri, Tueini, gemayel et la dizaine de personnalités assassinées ne seront pas d’accord avec vous. Ni Slim, ni les officiers assassinés pour avoir devoilé la presence du nitrate au port….

    LE FRANCOPHONE

    09 h 23, le 01 octobre 2024

  • "c’est l’injustice faite aux Palestiniens par les Israéliens et ceux qui les appuient qui est à ses yeux la cause des problèmes de la région" ..... peut être madame, mail le Liban seul ne peut subir le lourd fardeau de solidarité avec les peuple Palestinien alors que la majorité des peuple arabes en ont lave les mains.

    hrychsted

    06 h 11, le 01 octobre 2024

  • Intéressant, mais vous demeurez encore très loin derrière Orianna Fallaci!

    Zampano

    04 h 08, le 01 octobre 2024

  • Waw il voulait faire une république islamique , je ne vois pas les femmes libanaises portés le chador

    Eleni Caridopoulou

    02 h 44, le 01 octobre 2024

  • Triés sur le volet, c’est donc une poignée de journalistes ayant le privilège de rencontrer "quelque fois" el Sayed. Portrait nuancé en conclusion : ""tant il portait en lui des messages contradictoires"". Ce n’est donc plus le chef terroriste à l’idéologie totalitaire que nous rappellent certains médias. Une journaliste assez convaincue par le culte du chef même quand elle ""ne prétend pas bien le connaître"". Mais quel portrait dressera alors un familier. Ses discours, et ses faits de guerre parlent de lui. Qu’il repose en paix après des décennies de guerre et de lutte armée. RIP.

    Charles Fayad

    02 h 29, le 01 octobre 2024

  • Article très intéressant je l’avoue. Malheureusement il semble que vous vous êtes plus attaché à l’homme et a son charisme indéniable qu’a ses idées et ses actions qui seront ce que l’histoire retiendra du personnage. Un peu comme Lénine ou Castro qui peuvent semblera attachants à prime abord mais dont la doctrine a tué et ruiné de milliers de gens.

    Liban Libre

    00 h 53, le 01 octobre 2024

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