Comme l’abattement n’est souvent rien d’autre que le sentiment d’être prisonnier de circonstances auxquelles on ne peut rien, le secret, pour se consoler, c’est précisément d’exercer cette faculté que Dieu nous a donnée de « choisir librement ». Certaines situations (des enfants insupportables, un conjoint indifférent, un patron irascible, une montagne de responsabilités) ne peuvent être changées du jour au lendemain, si tant est qu’elles puissent jamais l’être. Mais celui qui se sent accablé peut toujours vaquer à des occupations qui peuvent faire du bien : déjeuner dans un restaurant différent, repeindre son bureau, se mettre au judo, parler à une amie ou emprunter un itinéraire différent pour rentrer de son travail.
Certaines personnes, et elles sont nombreuses, ont constaté que les vents du marasme soufflent sur les individus à des intervalles étonnamment réguliers. Chez l’un, ce peut être tous les seize jours ; chez un autre, tous les cinquante jours ;
la moyenne est un cycle de trois semaines. Les périodes de lassitude « se produisent le plus fréquemment dans la première et la dernière demi-heure de la journée ».
Ainsi renseignée, telle cette dame, lasse d’être assaillie tous les lundis par le découragement à la vue des vestiges du week-end et des tas de corvées accumulées, a tout simplement pris le parti de « supprimer les lundis ». Dès que son mari part pour le bureau et ses enfants pour l’école, elle s’en va faire des achats, rentre chez elle et s’allonge, un coussin bien mou sous les pieds, pour lire son magazine préféré. Ainsi reposée, elle est prête à s’attaquer le mardi à ses travaux ménagers.
Dans l’arsenal « antilassitude », le tiroir spécial joue un rôle fort utile : on y accumule des richesses qui, l’expérience le prouve, exercent une action tonique lorsqu’on se sent démoralisé. Ce tiroir peut contenir les DVD favoris, des vêtements neufs, un ou deux messages particulièrement affectueux. Chaque concerné sortira aussi la feuille de papier sur laquelle il aura noté ses derniers motifs de tristesse. En les relisant, il se souviendra peut-être que les lilas ne fleurissent pas en toute saison.
Il n’y a aucune raison pour que ce tiroir ne contienne pas aussi quelques bons billets de banque pour des achats dans les magasins (surtout s’il s’agit de dépenses déraisonnables pour acquérir des biens délicieusement superflus). Tout cela est un refuge traditionnel contre la tristesse. Comme cette mère de famille qui ne peut que rarement s’offrir le superflu ; elle décide alors de ne pas aller acheter n’importe quel jour ce dont elle a besoin ; elle attend que survienne une mauvaise humeur. Alors, elle va prendre un moment de détente dans le grand magasin de son quartier.
Les traitements contre la lassitude sont aussi variés que ses victimes. Pour combattre le marasme, une personne a pris l’habitude d’agir, de faire n’importe quoi plutôt que de se complaire dans la mélancolie. Elle se met par exemple à nettoyer à fond ses placards, faute de pouvoir nettoyer les recoins obscurs de son esprit. Une autre peut s’attaquer, en pareil cas, à une besogne répugnante ou à une corvée qu’elle remet à plus tard depuis des semaines : par exemple ranger la paperasse.
Telle autre emploie la méthode des comparaisons. Elle s’assied et pense à une chose terrible qui lui est arrivée ou qui pourrait lui arriver. Et elle se dit : « Enfin, au moins, mon conjoint n’est pas à l’hôpital, l’électricité n’est pas coupée, nous n’avons pas de problèmes d’eau. » Ce ne sont pas là des idées bien réjouissantes, mais cette méthode donne de bons résultats. Pour varier, on peut lire un ouvrage sur une légende du cinéma.
Les étudiants interrogés à ce sujet confient entre autres se consacrer à des activités telles que faire une longue promenade à pied, voir un film comique, danser, dormir, pratiquer un sport, aider quelqu’un. Cette dernière solution, la décision de donner de la joie, même si l’on n’en éprouve pas soi-même, constitue l’un des traitements les plus efficaces contre l’exténuation. Si nous ne pouvons pas faire une sortie agréable, faisons en week-end ce que nous pouvons faire chez nous.
Et puis, si on venait à être déprimé, ne restons pas seul, ne restons pas inactifs. Si nous sommes inactifs, ne restons pas seuls. Une bonne compagnie est une ressource précieuse quand on a mauvais moral. Certains préfèrent la société des inconnus, d’autres cherchent refuge auprès de proches parents. Le mieux, probablement, est de recourir à un véritable ami. Mais prenons garde de ne pas l’entraîner dans notre tourbillon de détresse ! L’épaule des amis est là pour soulager nos douleurs, mais le stress réchauffé d’émotions est un plat trop peu appétissant pour être partagé.
Depuis les temps bibliques, on n’a jamais connu meilleure thérapie, car, comme dit l’Ecclésiaste, « un ami fidèle est un baume de vie ». En dernier ressort,
appliquons-nous ce conseil : faisons ce que nous pouvons, avec ce que nous avons, là où nous sommes.
Sylvain THOMAS
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