Hier soir, à l’heure d’écrire ces lignes, on faisait état d’une nouvelle série d’explosions d’engins de communication, cette fois des talkies-walkies, après les bipeurs piégés de la veille. Les hôpitaux déjà saturés faisaient face à de nouvelles fournées de blessés, atrocement labourés par des bombes quasi personnelles qu’ils portaient à leur insu, à même le corps. Quatorze nouveaux morts, quatre cent cinquante nouveaux blessés pour ce second épisode. En abandonnant les smartphones pour ces technologies rudimentaires, les membres et proches du Hezbollah croyaient ainsi échapper aux drones israéliens qui les reniflaient à distance, interceptant et ciblant ainsi des dizaines de combattants durant leurs déplacements en voiture ou à moto. Le Parti de Dieu s’était rattrapé un peu tard en passant commande, il y a quelques mois – deux semaines pour les talkies-walkies – de milliers de pagers, ces boitiers discrets que les médecins portaient sur eux il y a trente ans et qui leur faisaient quitter cinémas et concerts quand ils buzzaient pour une urgence, lors de leurs rares soirées de pause. Excès de confiance, baisse de surveillance, bouillonnement d’espions dans cette guerre de trop, le Hezbollah n’a pas vu venir le coup des pagers piégés, et c’est là un terrible échec dans sa stratégie.
L’ONU a rappelé hier que les objets civils ne devaient pas être transformés en armes. Inédit, ce procédé est en contradiction flagrante avec les Conventions de Genève qui condamnent particulièrement la perfidie. Comment qualifier autrement que de perfide la guerre que mène l’État hébreu contre les Palestiniens, en plus de son aspect génocidaire ? Tant qu’à se lancer dans une offensive unilatérale contre Israël, le Hezbollah aurait eu intérêt à réduire son hubris et mieux connaître cet ennemi. En se prenant pour Goliath avec ses déploiements hollywoodiens d’arsenaux de plusieurs tonnes et ses tunnels grands comme des villes, il a oublié que c’était à David que revenait le bon rôle, le rôle héroïque que confèrent une fronde, cinq pierres lisses et la force de la foi. La milice chiite, largement mieux équipée que l’armée régulière du Liban, ne manque pas d’honorer ses morts, quand ils meurent au front, comme « martyrs sur la route de Jérusalem ». En novembre dernier, le député Mohammad Raad, qui venait de perdre son fils dans un raid israélien, recevait des félicitations plutôt que des condoléances, tant une telle mort est considérée par le Hezbollah comme la gloire suprême. Mourir de l’explosion d’un pager dans sa poche est loin d’avoir le même panache.
Dans ce plan diabolique qui consiste à déclencher à distance, au moyen d’un code envoyé simultanément à des milliers d’engins, des détonateurs cachés dans les batteries, il y a une imagination perverse, un rétrofuturisme, un côté Buck Rogers, super-héros d’avant Marvel Comics qui possédait déjà, en 1929, un pistolet à rayon laser capable de désintégrer toute forme de vie. Il y a un déni d’humanité à faire exploser ces pagers dans des lieux civils, des maisons, des supermarchés, des bureaux, des hôpitaux, mettant en danger des enfants, des soignants, des personnes qui n’ont rien à voir avec ce conflit qui a déjà atteint, à Gaza et dans les territoires occupés, des sommets d’inégalité et de cruauté.
On n’a jamais vu pareille guerre. Au Liban, elle met face à face les Israéliens, colonialistes insatiables doublés de farceurs sadiques, et les combattants eschatologiques du Hezbollah pour qui la mort et le temps ne sont rien tant qu’ils participent de la volonté divine. Entre les feintes aventureuses des uns (comment oublier la mini-guerre des étoiles iranienne en avril ?) et les attaques sournoises, quasi personnelles des autres, on court vers un conflit généralisé, au moins à l’échelle régionale. Au vu des moyens déployés, nul besoin d’arsenal nucléaire pour tout détruire. « Je ne sais pas comment sera la troisième guerre mondiale, mais ce dont je suis sûr, c’est que la quatrième guerre mondiale se résoudra à coups de bâtons et de silex », écrivait Einstein. On n’est pas loin de manquer une case pour aller directement au quatrième délire planétaire. Israël semble s’affairer autour de notre frontière sud. Il faudra réapprendre le harcèlement mené par les activistes au lendemain de l’invasion de 1982, quand le Hezbollah n’était qu’à peine un projet dans l’esprit d’un mollah.
Rien n'est plus soulageant dans ce monde atroce que de constater qu'au milieu de toute la cruauté et la perfidie de l'engeance sioniste , les militants qui perdent leurs yeux, leurs mains , leurs jambes restent fidéles à la Cause ! Tant d'abnégation , tant de courage et de détermonation dans le martyre est le meilleur baume qui fait encore croire en la défaite de l'infâme !
12 h 14, le 19 septembre 2024