Après plus de onze mois de guerre, il reste la cible numéro un des forces israéliennes à Gaza. Yahya Sinouar, chef du Hamas à Gaza devenu récemment chef politique de l’organisation après l’assassinat d’Ismaïl Haniyé, à Téhéran, le 31 juillet, continue de se dérober à l’armée considérée comme la plus avancée de la région. Et Israël, qui a fait de l’élimination du mouvement islamiste un objectif de guerre, se montre déterminé à ne pas discuter de la fin de cette séquence avant de l’avoir neutralisé. À plusieurs reprises, le dirigeant du groupe palestinien est passé entre les mailles du filet, selon le New York Times (NYT), alors que les États-Unis collaborent étroitement avec les Israéliens pour échanger des renseignements collectés à Gaza. Reste que sa traque est rendue compliquée en raison de son refus d’utiliser des technologies modernes, faciles à surveiller. Selon le Wall Street Journal (WSJ), « Yahya Sinouar pourrait être mort aujourd’hui si ce n’était un système de communication de faible technicité mis au point en prison ».
Dans les geôles israéliennes
L’homme, qui a passé plus de deux décennies dans les geôles israéliennes, s’appuie sur un système complexe de coursiers, de messages codés, de notes manuscrites et parfois d’enregistrements vocaux, lui permettant de diriger les opérations du groupe depuis des tunnels où il se cacherait, rapportent des médiateurs arabes au WSJ. Un message serait ainsi écrit à la main par le chef du Hamas et transmis à un membre de confiance de l’organisation qui va le faire circuler à une chaîne de coursiers, certains pouvant être des civils. Se basant sur un système développé avec des codétenus durant ses années de prison, le contenu est souvent codé, différents codes étant utilisés pour différents destinataires, circonstances et timing. Au début du conflit, des appels avec les médiateurs, quand ils n’envoyaient pas de coursiers directement dans l’enclave, ont ainsi été organisés à l’aide de messages codés et alias, Yahya Sinouar se dissimulant parfois derrière le nom de certains anciens codétenus. La note finit enfin chez un médiateur arabe entré dans Gaza ou un militant du Hamas qui utilisera un téléphone ou une autre méthode pour envoyer le message à des membres du groupes en exil, selon les médiateurs interrogés.
Ces méthodes primaires de communication sont celles du mouvement à ses débuts, que Yahya Sinouar a adoptées lors de son incarcération dès 1988, selon des experts du groupe, rapporte le WSJ. Les membres du Majd, la police interne fondée par le natif de Khan Younès pour traquer les collaborateurs de l’État hébreu, communiquaient déjà dans les prisons israéliennes à base de messages codés. Des notes manuscrites étaient enroulées dans de la mie et laissées à sécher. Une fois durcies, ces boules de pain étaient transmises d’un agent à l’autre au cri de « courrier de la part des combattants de la liberté ! » décrit le quotidien américain en se basant sur le livre Son of Hamas de Mosab Hassan Youssef – fils d’un fondateur du mouvement devenu agent double pour le compte des israéliens.
L'assassinat de Arouri comme tournant
Les méthodes de communication sont devenues de plus en plus rudimentaires au fur et à mesure que la guerre s'enlisait à Gaza, alors qu’Israël multipliait les assassinats ciblés contre des commandants de l’« axe de la résistance », de l’enclave palestinienne à la Syrie en passant par le Liban et même Téhéran. D’après les informations du NYT, Yahya Sinouar utilisait encore des téléphones portables et satellitaires au début de la guerre, appuyés par des réseaux mobiles développés dans les tunnels de Gaza. Il aurait ainsi parlé directement à des responsables du mouvement basés à Doha, tout en étant surveillé par les agences de renseignements américaine et israélienne, sans que ces dernières ne puissent le localiser. Alors que les approvisionnements en fuel commençaient à se raréfier dans le réduit palestinien, le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant aurait plaidé pour livrer cet hydrocarbure essentiel à faire tourner les générateurs qui faisaient fonctionner le réseau mobile des tunnels, de façon à pouvoir continuer la surveillance du dirigeant du mouvement. Ce réseau de communication est connu des Israéliens depuis au moins une décennie, affirme pour sa part le WSJ, rappelant une opération commando en 2018 que le Hamas avait liée à une tentative de mettre sur écoute les lignes souterraines du groupe.
Début janvier, l’assassinat de Saleh Arouri, le numéro deux du bureau politique du Hamas, en pleine banlieue sud de Beyrouth, aurait contribué à accentuer la méfiance de Yahya Sinouar face à l’utilisation de technologies avancées. « Je suis sûr que c’est l'une des principales raisons pour lesquelles l’armée israélienne ne l’a pas trouvé », avance Michael Milshtein, ancien responsable des renseignements militaires de l’État hébreu, cité par le WSJ. « Il garde vraiment tous les schémas de base de ses comportements personnels très stricts », ajoute-t-il. Face à la menace des assassinats ciblés liés à la surveillance des communications par Israël, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait lui aussi appelé à la prudence extrême lors d’un discours en février dernier : « Jetez vos smartphones, enterrez-les, mettez-les dans une boîte de métal et éloignez-les. »
Les missives
Dans le cas de Yahya Sinouar, « les méthodes sont tellement efficaces que ses poursuivants ne peuvent même pas exclure qu'il ne se trouve pas à Gaza », écrit le WSJ. S’il a pu être injoignable à certains moments, le chef du Hamas s'est montré parfois très réactif dans le suivi des négociations en vue d’un cessez-le-feu, comme en juin, lorsque le directeur de la CIA, William Burns, était à Doha pour y rencontrer les médiateurs qataris et égyptiens, où les messages arrivaient en direct dans la capitale de l’émirat, poursuit le journal. Dans cette veine, il a également transmis en avril un message de condoléances à Ismaïl Haniyé quelques heures après que trois de ses fils ont été tués par une frappe israélienne à Gaza, ainsi qu’au président algérien Abdelmadjid Tebboune après sa réélection début septembre. Vendredi dernier, le chef du bureau politique du Hamas a également envoyé une missive à Hassan Nasrallah, le remerciant pour le « front de soutien » ouvert au Liban-Sud dès le 8 octobre. Il semblerait néanmoins qu’en dehors de cette mention spéciale, plusieurs politiciens libanais aient reçu la même lettre pour les remercier d’avoir présenté leurs condoléances après l’assassinat d’Ismaïl Haniyé, d'après le quotidien saoudien Asharq al-Awsat. La lettre « n’était pas manuscrite et a été émise par le bureau de Sinouar, pas par lui personnellement, en raison des circonstances actuelles », a déclaré au journal une source proche du Hezbollah.