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Idées - Point de vue

Les banques ne devraient pas prêter sans restructuration préalable

Les banques ne devraient pas prêter sans restructuration préalable

Une agence bancaire dans une rue de Jounieh, en janvier 2024. Photo P.H.B.

Certains groupes et décideurs politiques exercent une pression croissante pour que les banques reprennent leurs activités de prêt, et réclament une loi qui oblige les emprunteurs à rembourser les nouveaux prêts libellés en dollars dans la même devise. Ils considèrent cette étape comme nécessaire pour réactiver le secteur bancaire, financer les investissements et stimuler la croissance économique. Bien que tout le monde soit d’accord avec les prémisses de cette proposition, celle-ci doit être examinée avec soin, compte tenu de la fragilité du secteur bancaire et des conditions économiques et financières sévères que traverse le Liban.

Les actifs en devises étrangères du secteur bancaire sont nettement inférieurs à ses passifs en devises étrangères, avec un écart dépassant 70 milliards de dollars. En conséquence, les déposants n’ont pas pu accéder à leurs dépôts antérieurs au 17 octobre 2019 et à tous les dépôts en « lollars » effectués après, sauf pour des montants très limités dans des conditions strictes fixées par les circulaires de la Banque du Liban (BDL). En revanche, une nouvelle catégorie de dépôts en dollars effectués après cette date (les « dollars frais ») est accessible sans restrictions.

Dans ce contexte, une question cruciale se pose : les banques, qui sont de facto (mais pas de jure) insolvables, devraient-elles être autorisées à allouer leurs maigres actifs en dollars pour financer de nouveaux prêts ? Ces prêts seraient-ils limités à des fonds frais dans le cadre d’un guichet distinct ? Quels sont les avantages potentiels de la reprise des prêts en devises ?

Évaluer les risques

Ces questions complexes exigent une évaluation approfondie des risques associés.

Premièrement, les banques étant insolvables et disposant d’un capital (presque) nul, la reprise des prêts violerait probablement les règles prudentielles et réglementaires. Les banques ne pourraient le faire que si elles obtiennent davantage de capital et si un plan global de restriction bancaire est mis en place.

Ensuite, l’argument en faveur de la reprise des prêts repose sur le fait que le secteur bancaire dispose d’un nombre limité de dollars « frais » ou sur la libération d’une partie des réserves obligatoires de la BDL. Cependant, les dollars frais doivent être compensés par des banques correspondantes, ce qui signifie qu’il n’y a pas de véritable argent frais disponible pour prêter. L’utilisation de réserves sûres pour des prêts périlleux comporte des risques pour les déposants. Même avec des capitaux supplémentaires, les avantages du prêt de nouveaux dollars seraient probablement limités, car les grandes entreprises libanaises peuvent déjà emprunter auprès de banques à l’étranger. Les prêts serviraient principalement à la consommation plutôt qu’à l’investissement, ce qui n’est pas souhaitable dans les circonstances actuelles. En outre, les coûts d’emprunt seraient élevés en raison des risques, ce qui pourrait non seulement restreindre la demande, mais aussi augmenter les prêts non productifs.

Il faut aussi tenir compte de l’opinion et des préoccupations éthiques. Permettre aux banques de prêter en dollars alors que les déposants ne peuvent pas accéder à leurs fonds pourrait exacerber les tensions sociales et susciter des contestations juridiques. De plus, les prêts en dollars risquent de peser davantage sur les liquidités en dollars des banques, ce qui les empêcherait de remplir leurs obligations envers les déposants, même pour des montants limités, comme le stipulent les circulaires actuelles de la BDL.

Un autre risque est celui lié à l’inadéquation entre l’actif et le passif. Dans une crise où les dépôts dépassent largement les actifs disponibles, les banques sont confrontées à de graves contraintes de liquidité. Même si des dépôts en dollars frais sont disponibles, ils sont généralement à court terme et retirés dès qu’ils sont reçus. L’octroi de nouveaux prêts, qui impliquent généralement des échéances plus longues, pourrait aggraver l’asymétrie des échéances, augmentant ainsi les risques pour les banques et les déposants.

Enfin, il y a les risques de dépréciation de la monnaie. Exiger des emprunteurs qu’ils remboursent les prêts libellés en dollars « frais » atténuerait le risque de change pour les banques, mais pas pour les emprunteurs. Une nouvelle dépréciation de la livre pourrait compromettre la capacité des entreprises et des particuliers à rembourser leurs prêts en dollars, en particulier si une partie de leurs revenus est libellée en monnaie locale. Cela pourrait accroître les prêts non productifs, affaiblir encore les actifs des banques et compromettre l’accès des déposants à leurs fonds.

Priorité à la restructuration

Compte tenu des risques importants courus, qui dépassent de loin les avantages potentiels, les autorités monétaires et le gouvernement devraient se concentrer en priorité sur la restructuration du secteur bancaire. Dans le passé, les différentes versions de la loi sur la résolution bancaire ont suscité une forte opposition de la part des différentes parties. Il est également essentiel de se demander pourquoi un projet de loi sur le remboursement des prêts en dollars devrait avoir la priorité sur des lois plus importantes concernant la crise. Par exemple, la loi sur le contrôle des capitaux, qui fait l’objet de discussions depuis près de cinq ans, n’est toujours pas adoptée. Une approche fragmentaire de la réforme du secteur bancaire réduirait la pression exercée sur les décideurs pour qu’ils adoptent un programme de réforme complet comprenant une série de mesures visant à réhabiliter le secteur et à mettre l’économie sur la bonne voie.

Compte tenu de la crise actuelle, il convient d’être extrêmement prudent avant de reprendre les prêts en devises. L’accent devrait être mis sur la réhabilitation du secteur bancaire par le biais d’un plan de résolution global qui permettrait de reprendre les prêts à plus grande échelle et à des taux moins élevés, au bénéfice des déposants si la majeure partie des bénéfices générés par ces prêts est allouée à la récupération des dépôts. Même dans ce cas, les autorités de régulation devraient imposer des règles strictes avec des paramètres clairement définis afin d’éviter d’exacerber une situation déjà difficile et de respecter les objectifs plus larges de stabilité économique.

Si la reprise des prêts pourrait potentiellement améliorer l’activité, toute loi autorisant les prêts en dollars et les remboursements dans la même devise devrait faire partie d’un ensemble de réformes plus larges et bien intégrées, plutôt que d’être une mesure isolée répondant à des intérêts particuliers.

Vice-président du Conseil des ministres sortant.

Certains groupes et décideurs politiques exercent une pression croissante pour que les banques reprennent leurs activités de prêt, et réclament une loi qui oblige les emprunteurs à rembourser les nouveaux prêts libellés en dollars dans la même devise. Ils considèrent cette étape comme nécessaire pour réactiver le secteur bancaire, financer les investissements et stimuler la croissance...
commentaires (9)

Madoff était un enfant de chœur par rapport à nos politiciens et nos hauts fonctionnaires notamment de la BdL ou de l’EdL. Notre clique de gangsters a réussi à voler toute la population et tous le pays. Depuis que le monde existe, il n’y a pas eu de cas similaire dans le monde. Ce n’est pas le casse du siècle mais le plus grand casse de l’humanité si du moins on peut encore qualifier nos gangsters d’êtres humains

Lecteur excédé par la censure

10 h 11, le 16 septembre 2024

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Commentaires (9)

  • Madoff était un enfant de chœur par rapport à nos politiciens et nos hauts fonctionnaires notamment de la BdL ou de l’EdL. Notre clique de gangsters a réussi à voler toute la population et tous le pays. Depuis que le monde existe, il n’y a pas eu de cas similaire dans le monde. Ce n’est pas le casse du siècle mais le plus grand casse de l’humanité si du moins on peut encore qualifier nos gangsters d’êtres humains

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 11, le 16 septembre 2024

  • Les commentateurs ont raison. L'Etat est responsable de la crise car il a accumulé les déficits. Le gouvernement n'a rien appris : dans la dernière mouture du budget , il cherche á faire combler le déficit par la sécu. Après avoir escroqué les déposants les politiciens cherchent á escroquer les retraités. C'est Madoff qui revient aux affaires

    Moi

    09 h 36, le 16 septembre 2024

  • Arrêtons de rêver, l’argent des déposants a disparu définitivement. Au mieux, les déposants pourront encore récupérer 50.000 à 100.000$ sur les 10 prochaines années. Le reste sera du papier qui ne vaudra rien du tout. Demandez aux porteurs de la dette russe du Tsar quel montant ils ont récupéré ? Politiciens, banquiers, miliciens, hauts fonctionnaires et vos proches: vous avez volé l’épargne de 4 millions de libanais en vous enrichissant de manière éhontée. Toute la population vous maudit et rappelez vous que vous ne prendrez rien avec vous dans l’au-delà et votre descendance non plus

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 25, le 16 septembre 2024

  • Les banques sont certes fautives partiellement de la faillite parce qu’ils ont donné l’argent des déposants à l’Etat en prenant soin de mettre leurs fortunes à l’étranger. Mais les vrais coupables sont les dirigeants politiques qui ont dilapidé, pillé et volé l’argent public à grande échelle et tous bords confondus. Certes la période 2016/2022 a vu la dette exploser sans aucune réalisation notable mais ce vol avait commencé depuis 1989. C’est à la BdL de rembourser les déposants en puisant dans les actifs de l’Etat.

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 18, le 16 septembre 2024

  • Monsieur Chami. Excusez moi de vous dire que votre article est tronqué et partisan. Si les banques ont un tel écart entre leur actif et leur passif c’est parce que l’Etat que vous représentez ne rembourse pas sa dette colossale et par conséquent la BdL ne donne pas aux banques commerciales leurs actifs placées auprès d’elle. Donc avant de restructurer le secteur bancaire, PENSEZ À RESTRUCTURER CET ÉTAT VOYOU QUE VOUS REPRÉSENTEZ EN TANT QUE SOI DISANT MINISTRE. De plus, la Justice (apolitique et non corrompue) devrait juger les coupables de la faillite: politiciens, banquiers, foctionnaires…

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 29, le 16 septembre 2024

  • Le problème dans notre situation, c'est qu'il faut commencer par enlever les obstacles là oû ils se trouvent; un véritable casse-tête chinois. Il faudrait une autorité plus importante que tous les groupes belligerents concernés par la décision, pour imposer la solution. La politique et les politiciens sont devenus le cancer du Liban; comment vont-ils résoudre le cauchemars qu'ils ont eux-même créé ? Nous avons encore un peu de chance d'avoir d'honnêtes technocrates comme vous au gouvernement, mais il ne sont évidemment pas écoutés.

    Ramzi SALMAN

    06 h 08, le 16 septembre 2024

  • Les banques sont peut-être "too big to fail", mais leurs dirigeants ne sont certainement pas "too big to jail"... Une chose à la fois. D'abord les responsables du chaos devraient rendre des comptes, si pas pour vol du moins pour les risques disproportionnés qu'ils ont pris avec l'argent de leurs pigeons (pardon, clients) par pure avidité. Ensuite et seulement lorsque tous ces voyous croupiront à Roumieh, nous pourrions envisager une relance du secteur avec d'autres dirigeants mieux formés à la morale et au RISK MANAGEMENT!!!

    Gros Gnon

    10 h 46, le 15 septembre 2024

  • Cher M. Chami, expert du FMI, La restructuration du secteur bancaire passe avant tout par la sanction judiciaire des corrompus de l'etat et de leurs complices, les crapules bancaires, responsables du VOL des depots. Une fois tout ce beau monde vereux et irresponsable en prison, on pourra alors parler de retour a la normale entre gens honnetes.

    Michel Trad

    12 h 08, le 14 septembre 2024

  • En sus de tous les arguments présentés par l'auteur de cet article, permettre aux banques d'accorder des prêts avant qu'elles n'aient complètement remboursé leurs anciens déposants est une insulte à la morale, à la justice et au droit et constitue un véritable pied-de-nez adressé aux déposants floués qui ne laisseront jamais passer une telle infamie. Les banques, si elles ont encore une once de conscience ou tout simplement de logique, devraient tout faire pour sauver en premier lieu leur réputation et retrouver la confiance, en concoctant un plan sérieux de remboursement de leurs déposants.

    Georges Airut

    03 h 20, le 14 septembre 2024

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