Passionnée de flamenco depuis l’adolescence, la Japonaise Junko Hagiwara a marqué les esprits en devenant, le mois dernier, la première danseuse non espagnole consacrée lors du principal festival international de flamenco. Un véritable coup de tonnerre dans ce milieu très fermé. « Quand je danse, je ne pense pas au fait de savoir si je suis étrangère ou japonaise », confie, en espagnol, l’artiste dans une interview par téléphone. « Je suis simplement sur scène, j’écoute la guitare, le chant, et ce que je ressens, je le reflète dans ma danse. »
Née il y a 48 ans à Kawasaki, près de Tokyo, Junko Hagirawa – connue sous le nom de scène de « La Yunko » – est tombée dans la marmite du flamenco à l’âge de 14 ans... en assistant à un championnat de gymnastique rythmique durant lequel une athlète espagnole utilisait en accompagnement sonore la musique d’une guitare andalouse.
« J’ai adoré la guitare flamenca, le son, la mélodie, le rythme », explique-t-elle, visage rond aux longs cheveux de jais, racontant avoir aussitôt cherché à en savoir plus sur cette danse et cette musique typiques du sud de l’Espagne.
À l’époque, il n’y avait pas internet, « mais il y avait des magasins qui louaient des disques. J’ai couru dans l’une de ces boutiques : il n’y avait qu’un seul CD de flamenco. Je l’ai écouté, mais il n’y avait pas de guitare, il n’y avait que du chant », se remémore la danseuse. « Souvent, les chanteurs de flamenco ont une voix très rauque, très grave, et cela m’a fait peur », ajoute-t-elle en riant.
Choc culturel
Inscrite à l’université pour étudier la pédagogie, elle découvre quelques années plus tard un club de flamenco et commence à suivre des cours. Mais rapidement, cela ne lui suffit plus.
Cédant à sa passion, elle fait alors un choix radical : partir vivre à Séville, capitale de l’Andalousie et du flamenco, pour s’imprégner de cette culture. « Au Japon, on peut apprendre la technique, la chorégraphie, mais le flamenco est une culture, un mode de vie », justifie la danseuse, qui a dû affronter l’incompréhension de sa famille.
« Mon père s’est mis très, très en colère, il ne m’a pas parlé pendant trois mois. Et ma mère m’a dit : « Mais quelle honte, mais quelle honte ! » » raconte-t-elle en riant.
À Séville, où elle arrive en 2002, elle découvre un monde aux antipodes du sien et – comme cela arrive à tant d’étrangers – se trouve décontenancée par la façon de parler très bruyante des Espagnols. « Je pensais que tout le monde se disputait », se souvient-elle. « Dans la culture japonaise, nous accordons beaucoup d’importance à la dissimulation des sentiments, alors que dans le flamenco, il faut les montrer », compare-t-elle.
La native de Kawasaki apprend à danser avec des professeurs réputés et se met à l’étude de l’espagnol. Jusqu’à se faire un nom dans le milieu du flamenco, où ses performances sont désormais reconnues par ses pairs, notamment à Séville, où elle vit avec son mari andalou.
Très surprise
La consécration est arrivée le 10 août, quand Junko Hagiwara est devenue la première étrangère à remporter le prix El Desplante de meilleure danseuse lors du festival international du Chant des mines de Murcie, dans le sud-est de l’Espagne. Ce festival, créé en 1961, doit son nom aux chants des mineurs andalous qui travaillaient au XIXe siècle dans cette région frontalière de l’Andalousie. Il est considéré par les passionnés comme le rendez-vous le plus important au monde consacré à la culture flamenca. À l’annonce du jury, « j’ai été très surprise et je n’arrivais pas à y croire (...) Je ne sais pas comment expliquer cette sensation », raconte « La Yunko ».
Sa victoire a déplu à une partie du public, qui a réagi par des cris et des sifflets. Mais elle lui a aussi valu les louanges unanimes des critiques. Pour Manuel Bohórquez, par exemple, « La Yunko » méritait de gagner. « Je l’ai préférée à ses concurrentes pour trois raisons : son classicisme ; le fait qu’elle n’ait pas dansé pour la galerie, c’est-à-dire pour le public ; et enfin sa bonne formation », a-t-il écrit dans le journal en ligne Sevilla Info.
Alfons LUNA/AFP