« J’ai mal au dos, à l’épaule. Je n’arrive plus à tenir la souris de l’ordinateur… » Ces douleurs, fréquemment rapportées, relèvent toutes de la rhumatologie. Une discipline qui regroupe plus de 200 pathologies, explique le Pr Fouad Fayad. « La rhumatologie prend en charge les articulations, les os, les tendons et la colonne vertébrale, que ces pathologies soient d’origine mécanique, inflammatoire auto-immune ou métabolique. Elle se distingue totalement de l’orthopédie, qui est une spécialisation chirurgicale. On pourrait comparer la rhumatologie à la cardiologie et l’orthopédie à la chirurgie cardio-vasculaire. »
On consulte un rhumatologue pour les douleurs de l’appareil locomoteur, des muscles, des tendons, des articulations et de la colonne vertébrale, tandis que le chirurgien orthopédiste traite les fractures, pose des prothèses, opère les hernies discales et la sténose canalaire rachidienne.
Compte tenu de la diversité et de la complexité des pathologies traitées, une consultation en rhumatologie nécessite généralement une heure. Le diagnostic repose sur une anamnèse détaillée, une description minutieuse des symptômes et un examen clinique approfondi, complétés par des examens d’imagerie et biologiques si nécessaires.
Peu représentée au Liban avec une trentaine de spécialistes exerçant sur le territoire, la majorité étant concentrée dans la région du Grand Beyrouth, la rhumatologie est également complexe du fait de son impact sur tous les systèmes du corps (maladies multisystémiques).
Origine mécanique, inflammatoire ou métabolique
« En tête de liste des pathologies mécaniques des articulations figure l’arthrose, la maladie la plus répandue dans le monde. Cette dégradation du cartilage n’est pas uniquement liée à l’âge ; l’obésité et la sédentarité contribuent à l’augmentation de sa prévalence chez des sujets jeunes », explique le spécialiste.
Quant aux tendinopathies mécaniques, elles surviennent souvent lors d’une sollicitation excessive du tendon pendant certaines activités physiques ou le sport, comme par exemple le tennis elbow (dont le nom scientifique est l’épicondylite latérale). Parmi les autres pathologies articulaires et périarticulaires mécaniques, on compte l’algodystrophie ainsi que la nécrose osseuse à l’épaule et à la hanche, et la capsulite rétractile (épaule gelée), sans oublier les syndromes canalaires comme le syndrome du canal carpien aux poignets.
Dans les rhumatismes inflammatoires, la polyarthrite rhumatoïde est une maladie auto-immune chronique qui touche entre 0,5 et 1 % de la population adulte. Elle est deux à trois fois plus fréquente chez les femmes et apparaît habituellement entre 30 et 50 ans. Les articulations, généralement des mains et des pieds, développent une inflammation, donnant lieu à un gonflement, une douleur, une raideur matinale prolongée et souvent, en l’absence de traitement adapté et précoce, la destruction des articulations. Des rhumatismes peuvent être associés aussi à des maladies inflammatoires chroniques de l’appareil digestif (maladie de Crohn, rectocolite...). Ces maladies auto-immunes affectent le tube digestif en premier mais peuvent aussi provoquer des affections concernant les articulations et la colonne vertébrale.
Une autre source de douleur et de handicap au quotidien est l’enthésite, une inflammation de l’enthèse (zone d’attache des tendons aux os). Elle est généralement associée à des affections comme la spondylarthrite, une maladie inflammatoire chronique qui touche essentiellement les articulations des vertèbres et l’articulation entre la colonne vertébrale et le bassin (sacro-iliaques), ou aussi au rhumatisme psoriasique, cette affection, plus connue quand elle touche la peau, peut avoir des répercussions sur les articulations et la colonne vertébrale.
Parmi les pathologies métaboliques ou microcristallines, la goutte se distingue par une hyperuricémie (excès d’acide urique dans le sang) et des dépôts de microcristaux d’acide urique dans les articulations et les tissus environnants, ainsi que la pseudo-goutte ou chondrocalcinose (dépôts de cristaux de pyrophosphate de calcium dans les cartilages), pouvant donner des symptômes comme ceux d’autres rhumatismes et entraîner parfois de la fièvre ou des syndromes inflammatoires biologiques difficiles à distinguer.
La prise en charge de l’hyperuricémie est essentielle pour prévenir les complications rénales et cardiaques chez les patients présentant des crises de goutte. Une attention particulière à l’alimentation est nécessaire, bien que toutes les hyperuricémies ne deviennent pas symptomatiques. Le caractère génétique de la goutte se fait de plus en plus évident, impliquant une surproduction d’acide urique et une déficience de son élimination par les reins.
Comprendre la fibromyalgie et l’ostéoporose
Le Pr Fayad revient sur deux affections peu connues du grand public. « La fibromyalgie ou le syndrome de fatigue chronique a un taux de prévalence important dans les pays industrialisés (autour de 8 %). Elle se manifeste par des douleurs chroniques, une fatigue intense, des problèmes de concentration, de mémoire, de sommeil, et des symptômes gastro-intestinaux. Touchant principalement les femmes (8 femmes sur 10 patients) entre 20 et 40 ans, elle est caractérisée par une hypersensibilité à la douleur. C’est un problème de perception de la douleur dans le système nerveux central qui peut être multifactoriel : génétique, immunitaire, « early stress » ou stress à un âge jeune », détaille le médecin. Le diagnostic se fait après élimination de pathologies endocriniennes, de manque de vitamine D, de problèmes de rhumatismes, de pathologies du système nerveux, de certaines infections, selon un système de classification. La fibromyalgie n’est pas une maladie grave, au sens où elle n’entraîne pas de complications de santé majeures, elle n’en est pas moins une maladie pénible et invalidante pour les personnes qui en souffrent. Le médecin se doit d’être rassurant et doit prendre son temps pour expliquer aux patients que cette maladie n’est pas psychosomatique. Elle se traite par une prise en charge pharmacologique (antidouleurs, antidépresseurs…) et non pharmacologique. Cette seconde partie est la plus importante : elle consiste à faire de l’exercice (marche, aquagym…) et à éviter la sédentarité (ne pas s’enfermer chez soi).
Quant à l’ostéoporose, elle constitue un problème majeur de santé publique, qui affecte principalement les femmes après la ménopause et les hommes âgés. « Selon les chiffres de l’International Osteoporosis Foundation, à partir de 50 ans, une femme sur trois et un homme sur cinq subit une fracture, avec un risque élevé (80 %) de récidive. L’ostéoporose peut aussi toucher des sujets plus jeunes suite à certaines maladies ou certains traitements (par exemple la cortisone) », poursuit le Pr Fayad. Pour établir le diagnostic, il y a un test, l’ostéodensitométrie (mesure de la densité minérale osseuse) qui se fait grâce à une machine qui permet aussi d’évaluer le risque de fracture. La densitométrie osseuse est faite à partir de l’âge de 60 ans. Elle est indiquée à un âge plus jeune en présence de certains facteurs de risque : le tabagisme, l’alcool, antécédents parentaux de fracture du col du fémur, la polyarthrite rhumatoïde, la prise de cortisone, la prise d’un traitement anti-hormonal dans certains cancers… ou si on a perdu en taille. Les traitements disponibles sont très efficaces.
La vitamine D
Outre les nombreux traitements pharmacologiques et les thérapies physiques prescrits en rhumatologie, le Pr Fouad Fayad souligne l’importance cruciale de la vitamine D dans la gestion de nombreuses affections rhumatologiques. « La vitamine D ne se contente pas de favoriser la calcification osseuse ;
elle joue un rôle crucial dans la modulation du système immunitaire, offrant ainsi une protection contre certaines maladies auto-immunes et inflammatoires telles que la polyarthrite rhumatoïde. »
La pandémie de Covid-19 a mis en lumière l’importance de maintenir des niveaux adéquats de vitamine D, avec des études montrant une diminution significative des déficiences grâce à une supplémentation prise à la base pour contrer les effets du virus. La déficience de la vitamine D au Liban a alors chuté de 76 % en 2016 à 57 % en 2022.
L’apport de vitamine D en supplément doit se faire de préférence au quotidien, mais parfois de façon hebdomadaire ou mensuelle. Les mégadoses (une seule dose très importante) de vitamine D sont à éviter. Le médecin prescrit pour les patients déficients une dose de charge pour remplir le stock, puis une dose d’entretien.
Au Proche et Moyen-Orient, malgré l’ensoleillement, la déficience en vitamine D est sévère. « Les populations locales ont un problème de fabrication de vitamine D dans la peau », explique le Pr Fayad. « Le dosage de la vitamine D est demandé chez les personnes qui souffrent de douleurs musculaires, de fatigue, d’ostéoporose… Chez les sujets jeunes, le rachitisme doit être diagnostiqué au plus tôt », conclut le médecin.