Alors que le patriarche maronite, Béchara Raï, observe, depuis l’arrestation de l’ex-gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé, un silence notoire à ce sujet, le chef de l’Église maronite a exprimé, lors de son homélie dominicale, une critique relative aux « atteintes contre les postes réservés aux chrétiens, en particulier les maronites ». Un message – que certains observateurs ont considéré comme une première réaction à l’affaire Salamé – adressé à ceux qu’il tient pour responsables de la vacance à la tête de l’État, qui perdure depuis la fin du sexennat de Michel Aoun fin octobre 2022, mais aussi de la Banque du Liban, un poste traditionnellement occupé par un maronite et qui s’est retrouvé, après le départ à la retraite de M. Salamé en juillet 2023, aux mains du premier vice-gouverneur de la BDL, Wissam Manssouri, un chiite.
En détention provisoire depuis mardi dernier, Riad Salamé attend d’être interrogé lundi par le premier juge d’instruction de Beyrouth, Bilal Halaoui. Il pourrait soit se soumettre directement à l’interrogatoire, soit user de son droit légal de présenter au juge des exceptions de procédure. Dans la seconde hypothèse, le juge Halaoui aura une semaine pour trancher sur leur acceptation ou leur rejet, avant de poursuivre son instruction, au cours de laquelle il pourra soit relâcher l’ex-gouverneur, soit lancer un mandat d’arrêt contre lui.
Dans son homélie dimanche, Béchara Raï a de nouveau dénoncé la vacance à la présidence « qui perdure depuis presque deux ans maintenant », à l’heure où le président du Parlement, Nabih Berry, persiste dans son refus de tenir une séance parlementaire pour élire un nouveau chef de l’État, mettant pour condition préalable la tenue d’une séance de dialogue avec l’ensemble des protagonistes, une proposition que continuent de rejeter les principales composantes chrétiennes. « La prolongation de la vacance au niveau de la présidence – qui semble être intentionnelle – se répercute de manière néfaste sur le bon fonctionnement des institutions, ce qui se traduit par la désintégration des administrations et la violation des lois et va jusqu’aux atteintes contre des postes chrétiens maronites au sein de l’État, ce qui menace sérieusement le vivre-ensemble », a indiqué le patriarche.
Ce n’est pas la première fois que le chef de l’Église dénonce le risque de voir les chrétiens perdre peu à peu leurs positions respectives au sein de l’État. Outre son leitmotiv se rapportant à la nécessité de pourvoir à la vacance présidentielle, le prélat maronite avait affiché des prises de position antérieures interprétées comme une volonté de prendre la défense du poste occupé par l’ex-gouverneur de la BDL, une figure largement décriée depuis le début de la crise économique en 2019.
Marginalisation des chrétiens
« Je ne pense pas que le discours de Mgr Raï est à lier à l’arrestation de Riad Salamé. Le chef de l’Église ne cesse de rappeler qu’il y a désormais une pléthore de postes au sein de l’État qui ne sont plus occupés par des chrétiens (notamment dans le cas des départs à la retraite ) et présentement occupés, par intérim, par des non- chrétiens », affirme Eddy Maalouf, ancien député du Courant patriotique libre, à L’Orient-Le Jour. M. Maalouf fait allusion entre autres aux positions de directeur général au ministère des Travaux publics et de celui de l’urbanisme et autres fonctions au sein de l’administration, des postes jadis occupés par des chrétiens et qui aujourd’hui ne le sont plus. « Il faut reconnaître que même au sein du gouvernement démissionnaire, les ministres chrétiens ne sont pas représentatifs des principaux partis de la communauté », a ajouté l’ancien député en référence notamment à Georges Kallas, ministre sortant des Sports, un indépendant, ou à Georges Bouchikian, ministre sortant de l’Industrie, écarté par le parti Tachnag.
À ce sujet, César Abou Khalil, député et ancien ministre aouniste, va encore plus loin pour critiquer, sans les nommer, « en chœur avec le patriarche, tous ceux, y compris certains chrétiens, qui ont couvert le fonctionnement d’un gouvernement sortant, contribuant ainsi à prolonger la vacance au niveau de l’exécutif ». « Les affaires courantes que le gouvernement Mikati est censé gérer sont devenues un processus normal de la vie publique. Le fait de reconnaître ce gouvernement et d’avaliser ses actes a abouti au piétinement de la Constitution et a porté atteinte aux prérogatives du président », décrypte l’ancien ministre. Selon lui, le coup de gueule du patriarche n’a rien à voir avec l’affaire Salamé, « qui a quitté son poste depuis bien longtemps », mais concerne l’injustice faite aux chrétiens au sein de l’État.
Selon un cadre des Forces libanaises qui a requis l’anonymat, le patriarche Raï hausse le ton en vue d’exercer une plus grande pression en disant que la persistance de la vacance au niveau de la première magistrature est une atteinte contre les chrétiens et les maronites, et que ceux qui empêchent cette élection et cherchent à marginaliser cette communauté au sein de l’État sont les tenants du chiisme politique.
Un message – que certains observateurs ont considéré comme une première réaction à l’affaire Salamé! Et pourtant Riad Salamé a été arrêté non pas parce qu’il est maronite mais bien pour des malversations
21 h 38, le 09 septembre 2024