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Dominos du troisième type


C’est par l’effet d’une implacable réaction en chaîne – une aberration conduisant fatalement à une autre – que le Liban croule aujourd’hui sous une multitude de crises de tout genre : politique, institutionnelle, financière, socio-économique, et on en oublie. La logique, si tant est qu’elle a son mot à dire dans notre pays, voudrait qu’à l’inverse, toute réelle entreprise de redressement, tant moral que politique et financier, suive le même enchaînement de cause à effet. Ce serait là une sorte de théorie des dominos mais à rebours, qu’évoquait d’ailleurs dans ses rêveries un Gérard de Nerval : au lieu de se faire tomber l’un après l’autre, les petites pièces de bois s’aideraient au contraire à se relever…

La détention provisoire de l’ancien gouverneur de la Banque du Liban, décidée mardi par le procureur général, est loin d’être, quant à elle, un produit de l’imagination. Très vite le premier domino a fait carambole : le dossier a été transmis au procureur financier qui a aussitôt engagé des poursuites contre Riad Salamé pour détournement et vol de fonds publics et désigné un juge d’instruction. À son tour le service du contentieux de l’État s’est porté partie civile, exigeant réparation. On aura même vu un personnage aussi contesté que la procureure du Mont-Liban, pourtant mise sur la touche par ses supérieurs, s’inviter au bal en exigeant de reprendre du service.

Quoi qu’il en soit, un démarrage aussi foudroyant qu’inopiné de la procédure ne manque pas de susciter de nombreuses questions en quête de réponses. Contrairement aux spéculations qui ont circulé un moment, une mise en jugement de Salamé au Liban, ce pays où les interventions politiques ont de bonnes chances d’inciter les juges à l’indulgence, ne le mettrait guère à l’abri des poursuites dont il est déjà l’objet à l’étranger. Plus probable paraît la thèse d’un forcing auquel a dû se résoudre l’État pour tenter de se refaire une virginité aux yeux des instances financières planétaires. C’est dans quelques semaines en effet que le GAFI, une émanation du G7, doit décider d’inclure ou non le Liban dans la liste des pays demeurés sourds aux injonctions qui leur sont faites de lutter efficacement, par le moyen de réformes structurelles, contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. De montrer soudain patte blanche en exhibant un trophée de taille peut-il donc suffire pour épargner à Beyrouth l’infamie de la liste grise et les catastrophiques sanctions et restrictions bancaires qui en résulteraient ?

On ne sait plus trop, à la vérité, s’il faudrait le souhaiter ou non, si noir est en effet l’état de services d’une classe dirigeante passée experte en matière de survie. Que la nouvelle direction collégiale de la Banque du Liban fasse de l’œil et du genou au GAFI, qu’elle coopère à fond avec une justice soudain revenue à la vie telle la Belle au bois dormant, on veut bien. Mais l’opération mains propres aurait tourné à la farce si, par malheur, elle devait se limiter au seul cas Salamé. Car bien plus que les grenouillages qui ont pu sévir au sein de la BDL, c’est la grande saignée, l’hémorragie massive de fonds publics, que veut voir déconstruit, pièce par pièce, le citoyen dépossédé de ses économies.

Autant, sinon davantage, que ceux de la BDL, ce sont les comptes des ministères, offices autonomes et autres caisses nationales que sont tenus d’éplucher les enquêteurs. De l’Énergie aux douanes en passant par les générateurs de quartier, les importations de carburants, les télécoms, le port et l’aéroport, c’est sur tous ces fronts que doivent être lancées et diligentées les poursuites judiciaires. Cela si l’on désire vraiment neutraliser une même association de malfaiteurs réunissant, sous le signe de la razzia donnant donnant, les plus divers, les plus féroces parfois, des rivaux politiques. Les dominos du troisième type, les voilà !

Premier à pavoiser, à jubiler, après le coup de théâtre de mardi, auront étrangement été ceux qui ont pressé jusqu’à l’écorce le juteux citron de l’électricité : qui ont le plus scandaleusement bénéficié des largesses de la Banque centrale (quelque 40 milliards de dollars) sans jamais se fendre du moindre kilowatt.

Que veut-on, à hold-up du siècle il fallait bien quelque part le bluff le plus outrancier, le plus grossier de tous les temps…

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

C’est par l’effet d’une implacable réaction en chaîne – une aberration conduisant fatalement à une autre – que le Liban croule aujourd’hui sous une multitude de crises de tout genre : politique, institutionnelle, financière, socio-économique, et on en oublie. La logique, si tant est qu’elle a son mot à dire dans notre pays, voudrait qu’à l’inverse, toute réelle...