Un ours en peluche maléfique qui envoûte une petite fille et réveille nos cauchemars enfantins dans Imaginary, un rockeur ressuscité par un corbeau dans The Crow et, bien sûr, le retour des créatures monstrueuses d’Alien dont vient de sortir le quatrième opus... Ceux qui n’auraient pas leur compte de frissons ont encore de quoi faire cette semaine dans les salles de cinéma libanaises.
Frayeurs estivales
Si film d’horreur ne rime pas avec Halloween, c’est parce que, contre toute attente, c’est en été que la demande d’épouvante est le plus forte. Voilà ce que nous apprend une récente étude de Parrot Analytics qui identifie d’avril à septembre la période où le cinéma d’horreur est plus recherché par le public, avec un pic au mois de juin où la demande est 8,9 fois supérieure à la moyenne. Une préférence que partage Ghadi, un cinéphile trentenaire : « L’été, je me sens plus en confiance, il fait jour tard. Surtout que j’habite à la montagne, quand je rentre l’hiver, il fait nuit, ça n’est pas rassurant. » S’ajoute à cela un esprit estival plus léger qui laisse de côté les tracas quotidiens de la vie professionnelle ou étudiante. Talal, lycéen féru de films d’épouvante, apprécie aussi tout particulièrement les visionnages entre amis qu’il a le temps d’organiser pendant les vacances scolaires. « L’ambiance sombre de l’hiver est très propice aux films d’horreur, mais les regarder entre copains réunis pendant les soirées d’été nous aide à affronter nos peurs. »
Effrois thérapeutiques
La capacité de tels films à dompter les angoisses a été analysée par plusieurs chercheurs, avec un angle tant psychologique que scientifique. Une « science de la peur » a même été développée par la sociologue Margee Kerr dans son livre Scream : aventures glaçantes dans la science de la peur, où elle interroge les « voluntary arousing negative experiences » qui consistent en une confrontation délibérée aux ressentis inconfortables. Celle-ci, par le sentiment d’euphorie qui lui succède, permettrait d’« aider à affronter les facteurs de stress ultérieurs » en inhibant de futures réactions neurologiques négatives. La théorie selon laquelle les fictions d’horreur aideraient à se préparer à des situations du monde réel est renforcée par une étude réalisée lors de la pandémie du Covid-19 sur plus de trois cents personnes. Elle montre que les individus ayant l’habitude de se confronter à des films d’horreur ont dans la majorité des cas montré une plus grande préparation mentale et une plus grande résilience psychologique face à la pandémie, de tels films aidant à recueillir des informations et modéliser des mondes possibles. Ainsi, l’exposition à des fictions effrayantes permettrait au public de mettre en pratique des stratégies d’adaptation efficaces qui peuvent être bénéfiques dans des situations réelles.
Catharsis ou catalyseur ?
Si cet été particulièrement angoissant au Liban requiert de s’armer mentalement, la psychanalyste Joanna Andraos explique cependant que l’aspect thérapeutique des films d’horreur est à double tranchant, d’autant plus dans une région où le film d’horreur n’est pas seulement une fiction mais aussi un réel cauchemardesque. « Il y a une dialectique entre le besoin de décharge de pulsions morbides ou de pulsions meurtrières (l’identification à l’agresseur permet par exemple de prendre une forme de revanche sur des agressions subies) et d’autre part l’impression de contrôle de l’anxiété par la compulsion même de visionnage – la compulsion étant de vouloir contrôler ce qui nous rend impuissant », indique-t-elle. Il en va de même pour le rapport compulsif aux images d’horreur du réel, par les nouvelles ou sur les réseaux, qui donne l’impression de pouvoir savoir ce qu’il se passe à la minute : « Cela provoque un soulagement temporaire, mais dans les deux cas, cela reste anxiogène », poursuit Joanna Andraos. Pour certaines personnes, le visionnage de films d’horreur est même devenu impossible car il amplifie leur anxiété, parfois en réactivant des événements traumatiques. Face aux trop-pleins d’horreur de ce nouvel été sanglant dans la région, chacun trouve donc la formule qui lui convient. S’il continue d’apprécier les films d’épouvante, le lycéen Talal reconnaît qu’il en a vu beaucoup moins ces derniers mois : « La situation du pays est déjà trop anxiogène : rien ne sert de rajouter de la peur à la peur ! »