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Culture - Musique

Aya Nakamura, anatomie d’un phénomène

Comment expliquer qu’Aya Nakamura soit devenue, entre autres, la chanteuse française la plus écoutée dans le monde ? Éclairage.

Aya Nakamura, anatomie d’un phénomène

La chanteuse durant sa prestation à la cérémonie d’ouverture des JO de Paris en juillet 2024. Capture d’écran de son compte Instagram

« Honnêtement, bon, je ne vais même pas vous parler de l’entourage. Je vais vous parler de sa tenue, de sa vulgarité, du fait qu’elle ne chante pas français. Elle ne chante d’ailleurs pas étranger non plus. Elle chante on ne sait pas trop quoi. Et non, ce n’est pas du métissage, c’est du n’importe quoi. Enfin, pardon, regardez, lisez les paroles de ses chansons, ce n’est pas du métissage, non, ce n’est pas vrai. C’est du n’importe quoi. » Ceux – rares peut-être– qui n’avaient pas entendu parler d’Aya Nakamura ont certainement dû la découvrir après ces propos, devenus viraux en quelques instants seulement, qu’a tenus, à son égard, Marine Le Pen lors de la matinale de Léa Salamé, sur France Inter, le 26 janvier 2024. Pourtant, au moment où la députée d’extrême droite lui crache dessus à coups de clichés racistes, Aya Nakamura, gigantesque star française née au Mali en 1995, est la chanteuse française la plus écoutée dans le monde. D’ailleurs, quelques jours plus tôt, Emmanuel Macron avait en ce sens fait allusion à l’idée qu’elle pourrait chanter lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de 2024, à Paris. Tout à fait logique pour une artiste française d’une telle notoriété et dont le rayonnement a franchi toutes les frontières géographiques et culturelles. La polémique qui a suivi ce qui à l’époque n’était qu’une vague rumeur, et notamment la réaction virulente et chauvine de Marine Le Pen, a donc certainement fait comprendre à ceux qui ne la connaissaient pas, et confirmer à ceux qui la suivent depuis son tube interplanétaire « Djadja », à quel point Aya Nakamura est plus qu’une simple star. Elle incarne à elle seule un phénomène. Retour sur son parcours.

Aya Nakamura chante à Vogue World, Paris, en Juin 2024. Crédit photo Vogue World

Proposer un nouveau modèle

Née à Bamako, au Mali, Aya Danioko y passe les neuf premières années de sa vie, avant que la famille n’émigre vers la France, où elle s’installe dans la cité des 3000 d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, où la jeunesse pousse dans des HLM et des conditions de vie très précaires et difficiles. Aya n’y échappe pas, et elle est retirée à ses parents pour être mise en pension. C’est peut-être ici que commence sa force et en tout cas la résilience dont parlent ses proches collaborateurs. Aya Danioko, qui a pris pour pseudonyme le nom d’un personnage de la série Heroes, est donc sans conteste la première artiste française noire issue de la banlieue et de l’immigration à atteindre de tels sommets. À arriver d’ailleurs aussi haut, si ce n’est encore plus haut, que les championnes de la chanson française « pure souche », toutes époques confondues. Et ce n’est pas rien. C’est qu’autant dans son parcours personnel que dans ses choix musicaux, Aya Nakamura a réussi à proposer quelque chose de totalement inattendu. Hors normes. Une alternative, un nouveau modèle, la possibilité d’autre chose que les carrières bien carrées des Clara Luciani, Juliette Armanet, Angèle ou même Nolwenn Leroy, Zazie et Louane, avec qui elle partage le terrain depuis son arrivée en 2017, avec son premier album Journal intime. Le premier single, « Brisé », est tourné maladroitement, avec les moyens du bord, dans le jardin des Tuileries à Paris ; et même si l’opus ne cartonne pas, il se vend quand même à 50 000 exemplaires, donnant à Aya de quoi produire un deuxième album. À l’époque, et comme c’est le cas jusqu’à aujourd’hui, la chanteuse n’est pas encerclée par une armada de managers et de producteurs. Elle fait tout toute seule, et cela, surtout pour une artiste d’une telle envergure, est une rareté dans le milieu. C’est de cette manière qu’elle réussit à fabriquer le tube « Djadja », toute seule, en démarchant des compositeurs et des collaborateurs sur Instagram et en pianotant les paroles de la chanson sur son iPhone, comme elle continue de le faire jusqu’à son dernier album en date DNK (2023). Le titre, sorti en 2018, compte à ce jour plus de 500 millions de streams sur la plateforme Spotify à elle seule. L’album où figure ce titre, Nakamura, est sacré disque de platine en France. Une star est née.

Aya Nakamura au Met Gala, à New York, en mai 2024. Photo Vogue France

Casser tous les records

Depuis, Aya Nakamura n’a cessé de susciter fascination et détestation. Tout, d’elle et en elle, sort des cadres, faisant d’elle une artiste à la fois infiniment fédératrice et impossible à mettre dans une case. Certes, elle est autant écoutée dans les banlieues que dans les boîtes du XVIe, autant dans des centres commerciaux du 93 que sur France Inter. Certes, elle a accumulé plus de 2 milliards de streams sur Spotify, avec la plupart de ses singles comme « Copines », « Hypé » ou « Pookie » dépassant les 100 millions de streams chacun. Certes, elle a cassé des records historiques avec ses nombres de vues sur YouTube, ses trends sur TikTok et ses mentions sur Instagram. Certes, comme on le disait au début de cet article, elle est l’artiste française la plus écoutée dans le monde, mais elle est aussi et surtout incomparable à toute autre. Elle crée de la musique en se fichant de la placer dans une catégorie, mêlant le R’n’B, la pop, l’afrobeat dans une recette qui séduit un public où se pulvérisent les barrières de l’âge et des classes sociales. Elle parle dans un français dont elle fait craquer le langage, en inventant des mots ou en en déformant d’autres, à la manière des grands poètes maudits du XVIIIe siècle. Elle s’habille comme bon lui semble, elle qui avait fait des études de mode à la Courneuve, en assumant un côté totalement borderline, et tout cela dans une ère où les artistes sont généralement habillées de la tête jusqu’aux orteils par la marque dont elles sont des égéries. Le New York Times lui a consacré un entretien d’une page entière, Alicia Keys l’a invitée à chanter en duo son morceau « Djadja » lors de son concert parisien de Bercy en 2022, on raconte qu’elle a refusé une proposition de duo avec Angèle, et également refusé que la très influente maison de production parisienne Iconoclast (qui réalise les clips de Kanye West) réalise la vidéo de son morceau « Pookie » en 2018. Et, en même temps, on en sait si peu sur sa vie privée. Aya préserve ses deux enfants des lumières des projecteurs et, aux soirées mondaines, elle préfère les séances de shopping ou de cinéma avec son cercle de copines – les mêmes qu’avant le grand succès – dans des centres commerciaux de banlieue. Et c’est en alliant tous ces contraires, en étant à la fois inaccessible et divaesque, à la fois semblable à toutes les filles avec qui elle a grandi dans la cité des 3000, qu’Aya Nakamura a cultivé cette infinie liberté qui a sans doute fait d’elle ce phénomène unique en son genre. Il était donc tout à fait logique qu’elle interprète un medley de ses chansons, « Djaja » et « Pookie », ainsi qu’une reprise à la façon de la « Queen Aya » de « La Bohème » d’Aznavour, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris. De surcroît, en sortant de l’Académie française, en compagnie de pas moins que la garde républicaine. Tandis que les fans le repartageaient par millions sur les réseaux sociaux avec le hashtag « la reine Aya », ce passage, suivi par 20 millions de téléspectateurs, est devenu le moment historique de télé française le plus regardé. N’en déplaise à madame Le Pen…

« Honnêtement, bon, je ne vais même pas vous parler de l’entourage. Je vais vous parler de sa tenue, de sa vulgarité, du fait qu’elle ne chante pas français. Elle ne chante d’ailleurs pas étranger non plus. Elle chante on ne sait pas trop quoi. Et non, ce n’est pas du métissage, c’est du n’importe quoi. Enfin, pardon, regardez, lisez les paroles de ses chansons, ce n’est pas...
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