La guerre à la frontière sud, la vacance présidentielle, le naufrage des institutions, les crises qui se succèdent sans trouver l’ombre d’une solution : ce n’est certes pas dans un ciel sans nuages qu’éclatait hier ce fracassant coup de tonnerre qu’est la mise en détention provisoire de l’ancien gouverneur de la Banque du Liban.
Longtemps grand argentier du pays, architecte d’un système financier qui a fini par s’effondrer comme château de cartes, Riad Salamé venait d’être interrogé dans le cadre d’une affaire de détournement de fonds que l’on est tenté de qualifier de bénigne, compte tenu des très singulières normes en usage au Liban. La malversation présumée porterait en effet sur une misérable quarantaine de millions de dollars, pensez donc, alors que ce sont des dizaines de milliards qui se sont évaporés du Trésor public !
Ne dit-on pas pourtant que les petits ruisseaux font les grandes rivières ? Peut-être bien, mais pas ici, faut-il croire hélas. Chat échaudé craint en effet l’eau froide ; et si l’homme de la rue, principale victime du désastre, a vu dans le coup de théâtre d’hier un bon début, il n’est pas loin de partager le scepticisme, sinon la méfiance, de plus d’une référence financière ou juridique. C’est au regard de la suite qu’il faudra, dès lors, se faire une opinion. En attendant, et là réside le plus important, Riad Salamé n’est pas seul sur la sellette : c’est la justice libanaise dans son intégralité qui est en voie de passer un test décisif. Le dernier sans doute…
Car même s’il devait s’avérer que l’ex-gouverneur s’est sucré en opérant des transactions avec une société locale de courtage de bons du Trésor, c’est ailleurs, plus loin, qu’est tenu de se porter, en grande priorité, le regard inquisiteur de la magistrature : sur le financement en continu par la BDL de l’insensée, de la frauduleuse dilapidation des deniers publics due à l’insatiable mafia politique vissée au pouvoir. C’est bien là que réside le test pour une justice qui, au demeurant, n’a pas encore lavé son honneur gravement éclaboussé par le scandale de la meurtrière explosion de 2020 dans le port de Beyrouth. N’a-t-on pas vu en effet des hauts magistrats, autrement dit les gardiens du temple, s’associer aux suspects pour neutraliser le courageux juge d’instruction Tarek Bitar ?
Au final, et pour qui attend depuis des années, quatre jours de détention provisoire sont vite passés. Riad Salamé passe pour un personnage prévoyant qui, en consignant son gouvernorat par la voix et l’image, s’est assuré de ne pas plonger seul si devait se retourner la roue de la fortune. Il est l’homme qui sait tout dans les moindres détails, l’homme qui en sait trop.
Trop pour le laisser tomber, doivent se dire en ce moment les pillards de la République. Trop pour le laisser tout déballer.