Beaucoup d’encre a coulé et coule toujours en vertu de la situation ambiguë du Liban, pour dépeindre toutes les malédictions qui se sont enchaînées au détour des années, pour décrire malgré le chaos, le destin indéfectible des Libanais.
Il y a des tas d’écrits qui nous ramènent aux lieux confinés de notre passé, qui gardent la porte vers celui-ci toujours entrouverte ; on ressent même, à chaque fois qu’un auteur lève son stylo, une graine semer de l’espoir au-dessous de ses mots.
On ressent comment les Libanais sont doués : ils trébuchent, se relèvent, retombent, réessayent. On ressent certes la décrépitude, mais c’est toujours par un paradoxe entre deux réalités opposées, toujours pour finir par une réconciliation. S’il est sujet d’agonie, on parle naturellement de renaissance ;
s’il est sujet de guerre, on parle de paix ; s’il est sujet de crise, on parle d’exode, etc.
Donc désolée si c’est le conformisme rare des Libanais au pessimisme qui prend le relais aujourd’hui, puisqu’ils sont plus penchés vers la fête, la vie, mais je le comprends parfaitement puisqu’on croit difficilement, comme le disait Camus, aux fléaux lorsqu’ils nous tombent sur la tête.
C’est d’abord vrai que le chemin menant vers les vestiges d’hier est sombre et sans flambeaux. À se perdre dans les méandres de l’ambiguïté incessante qui règne sur nos cèdres, on ressent les embûches et les débâcles de la guerre civile, toutes les impasses et instabilités, toutes les épées de Damoclès suspendues au-dessus de nos têtes.
On ressent tous les reliquats de ces guerres, on ressent tous les dégâts, les traces et les taches qui traînent jusqu’aujourd’hui, qui se nichent contre chacun de nos cœurs.
Aujourd’hui, été 2024, le visage décrépit du Liban se perd petit à petit pour devenir fade, la guerre sillonne derrière nos pas, comme une ombre. On est menacé à tout moment, dans un pays qui agonise à petit feu sous la menace d’un despotisme creusant son itinéraire vers nos abris qui, d’ailleurs, jamais ne furent à l’ombre de la tempête.
Les larmes s’imbibent dans les yeux troublés de notre pays, un bout de terre toujours à l’affût, toujours en péril politique, social, économique, etc. Guerre qui change de nature mais jamais de dimension : un fléau hérité, une nation maudite.
Ainsi, une griffe après l’autre, de guerre en guerre et d’une crise à une autre, le visage jadis doux du Liban se dilue dans une perfusion d’ignominie sans trêve.
Nous sommes expédiés du monde dont on a rêvé et qu’on a essayé de construire malgré les défaillances, les erreurs et les héritages d’hier. Qu’est-ce qu’on n’a pas su, ou pu, faire ? Sommes-nous devenus les spectateurs de nos destins qui s’abandonnent à la flétrissure ? Le Liban est-il condamné ainsi à l’impasse ?
Notre pays a toujours été noyé dans les profondeurs, avec quelques intervalles où il a pu prendre une bouffée d’air, quelques interstices où il a frayé un chemin vers un retranchement creusé que dans sa tête nichée contre l’illusion.
Des moments passagers et diffus, des sourires à peine dessinés, jamais de légèreté ou de répit, des rires absorbés, nos diagrammes toujours en tachycardie… Des plaisirs indigestes, des curieux instants de faible haleine.
Souvent la reconstruction, la résurrection suite à la mort nous lasse, Sisyphe cesse d’être une vertu pour devenir un fardeau de fer porté malgré nous-même.
On révèle notre passé comme les enfants exposent leurs billes les plus précieuses, les plus polies et les plus belles.
On se dit qu’on va renaître de nos propres cendres. Comme si l’on s’est habitué à ce quelque chose qui nous condamne à un cycle répétitif. Or, à force de se comparer à un phénix, on a fini par créer nous-même un monstre auquel on s’identifie avec fierté pour glorifier quelque chose de peu louable.
Honnêtement, je ne sais plus si je dois tenir à ce dernier bout d’espoir de vie, si je dois m’accrocher à cet oxymore qui rend les Libanais si fiers d’eux-mêmes. Je ne sais pas si nos présages, nos espoirs et nos rêves se dérouleront en notre faveur cette fois-ci, mais je crois que le temps se referme sur lui-même et qu’on ne sait ce qui nous attend (guerre ou velléité de guerre ?).
Difficile de vivre dans l’anxiété et l’incertitude, triste de témoigner de la perte d’un bout de nous-même tout en restant impuissant.
Que dire finalement lorsque nous sommes à la merci de quelque chose face à quoi nous sommes démunis ?
Quoi qu’il en soit, nous sommes les petits préférés du drame…
Haya AL-ZEIN
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