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Nos Lecteurs ont la Parole

Vos valeurs et les miennes

Encore un avion qui s’apprête à décoller, défiant la force de gravité. Encore un retard inattendu, et des « Roh lala, c’est pas possible » qui suivent sans arrêt. Encore les aiguilles d’une montre pressée, qui n’arrivent pas à s’aligner avec le temps. Encore des passagers agacés à l’idée de ne pas retrouver à temps ceux pour qui le cœur bat à l’instant. Encore un coucher de soleil qui se dissocie dans un vaste ciel, emportant avec lui les espoirs martyrisés de ceux qui ont échoué au quotidien. Encore une hôtesse de l’air gênée, présentant des excuses à une foule hantée par des codes sociaux s’emparant de notre humanité. Encore moi, déconnecté de ce bric-à-brac, cherchant à écrire des pensées sur un bout de papier.

J’ai longtemps cru qu’avec l’âge, ces pensées allaient se calmer. Or, depuis quelques années, elles m’engouffrent dans une sorte de vide démesurée. Un vide affolant, à la fois triste et joyeux. Un vide bourré de slogans que la société trouve exagérés : « Casse-toi », « lâche tout », « il est temps de changer », « va au-delà de toi », « suis tes rêves ». Un vide que la science serait loin de décrire comme simple « vide ».

Ces idées se sont construites sur le chemin du questionnement. Et sur ce chemin, il y avait de tout : des traumatismes de guerre, des complexes identitaires, l’envie de ne plus appartenir, la volonté de découvrir de nouveaux horizons géographiques, politiques, culturels et sexuels, la soif d’apprendre, de comparer, de juger, de remettre en question et d’oser dire « non ». Non à ce qui ne me convient pas, non à ce qui ne me convient plus, non à ce qui s’oppose à mes valeurs, non à l’éthique quand elle n’a rien à voir avec ma propre définition de « l’éthique ».

En parlant d’éthique, il est important de noter que ce concept varie d’une société à une autre. Par exemple, ce qui est considéré comme éthique en France peut ne pas l’être au Liban, et inversement. Il existe malgré tous des convergences dans la définition sociale du terme « éthique » entre ces deux pays, surtout lorsque le christianisme joue un rôle prépondérant dans la définition des « valeurs ». Cela donne naissance à ce que je me permets d’appeler : des éthiques communautaires, qui représentent des valeurs partagées par, à la fois, un chrétien libanais et un autre français. Bien que ces éthiques soient similaires, elles ne représentent que deux communautés différentes, vivant chacun sur un continent : l’Asie et l’Europe. Dans cette réflexion, il est intéressant de se demander si ce qui est éthique pour ces communautés l’est également dans les quartiers musulmans de Beyrouth ou dans certains quartiers à Marseille.

En s’éloignant un peu de l’Occident, nous pouvons observer que certaines communautés au Liban partagent les valeurs avec d’autres en Iran. Par exemple, ce qui est considéré comme éthique dans la banlieue sud de Beyrouth ressemble à certains fondamentaux qui virevoltent les rues de Téhéran. Ces valeurs ne font évidemment pas l’unanimité au Liban. Certains les refusent et les dénigrent, tandis que d’autres les adoptent et les qualifient d’« éthiques libanaises ». En réalité, ce ne sont qu’un autre exemple d’éthiques communautaires qui prennent place dans un quotidien censé être libanais. Reflétant, encore une fois, la complexité d’une société ravagée par la religion.

Malgré toutes les épreuves, j’ai eu la chance de grandir dans une société aussi complexe et bordélique que celle du Liban, et de pouvoir vivre dans une société complètement différente en France. Aujourd’hui, je n’appartiens ni aux valeurs de la première ni à celles de la deuxième. J’ai choisi ce qui me convenait le mieux de chacune, et j’ai construit une éthique qui m’est totalement unique.

Alors que je regarde l’avion décoller, je souris face au hublot qui me ramène de Londres à Nantes. Je souris en sachant que pour beaucoup, je passe pour celui qui vit sur son fil de funambule, déconnecté de la réalité. Aujourd’hui, je deviens le « Surhomme » que Friedrich Nietzsche décrit dans son chef-d’œuvre Ainsi parlait Zarathoustra : un individu qui transcende les valeurs traditionnelles et crée ses propres valeurs, vivant avec une intensité et une liberté qui dépassent celles des personnes qui l’entourent.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Encore un avion qui s’apprête à décoller, défiant la force de gravité. Encore un retard inattendu, et des « Roh lala, c’est pas possible » qui suivent sans arrêt. Encore les aiguilles d’une montre pressée, qui n’arrivent pas à s’aligner avec le temps. Encore des passagers agacés à l’idée de ne pas retrouver à temps ceux pour qui le cœur bat à l’instant....
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