Invité mercredi dernier d’un panel télévisé, le député Marwan Hamadé suscitait un vif émoi en tenant pour imminent – pour les tout prochains jours, sinon les prochaines heures – un embrasement général. Peu après toutefois, il se défendait d’avoir cherché à semer la panique, ajoutant qu’il avait plutôt voulu tirer la sonnette d’alarme à l’adresse de qui veut bien entendre.
Il est vrai que le contexte actuel est rien moins que rassurant. De variante en variante, la négociation sur le projet de cessez-le-feu à Gaza piétine au rythme des revirements de Benjamin Netanyahu. En revanche, les échanges d’hostilités gagnent de jour en jour en fébrilité et violence, Israël rappelle ses réservistes, concentre des troupes à notre frontière sud et intensifie ses attaques contre la plaine orientale de la Békaa. C’est dire que cette guerre pas comme les autres, nous y sommes déjà plongés jusqu’à la taille. Et pourtant, nous persistons à nous perdre en débats sans fin pour en préciser le genre : le sexe, comme déjà déploré dans ces mêmes colonnes*.
Non seulement ce conflit qui s’avère d’une longueur absolument inusitée a déjà fauché un nombre record d’innocents civils, mais il bouscule tous les critères traditionnels pour mettre en jeu des technologies de pointe, allant jusqu’à l’intelligence artificielle, ainsi que des armements inédits, tels les drones et missiles ; il en vient même à impliquer, pour la première fois d’aussi voyante manière, la superpuissance américaine, plusieurs de ses alliés européens ou arabes, et l’Iran.
Infiniment plus grave que tout ce qui précède est cependant cette ahurissante impassibilité, confinant au détachement, avec laquelle le Liban officiel contemple la succession des événements. En psychologie, cette répugnance à considérer la froide réalité d’un péril ou de toute autre situation traumatisante est inconsciente. Mais est-ce bien le cas pour nos dirigeants, gouvernements et Parlement, passés spécialistes de cette honteuse pratique consistant, comme pour le célèbre trio de singes, à se boucher les yeux et les oreilles (mais pas la bouche !) face aux impensables anomalies et malheurs s’abattant sur le pays ? Non, ce déni-là est parfaitement conscient, il est assumé, il procède de la veulerie, de la lâcheté morale d’une grande partie de l’establishment politique encline aux compromissions de tout genre. Ce déni, on l’a bien vu avec l’inexorable processus qui ne pouvait que conduire à la faillite financière du pays, avec le mépris opposé à la rébellion populaire de 2019, avec les mensongères promesses de justice pour les victimes des explosions de 2020 dans le port de Beyrouth. Et c’est ce même déni qu’aura affiché l’État libanais dès l’instant où le Hezbollah ouvrait, de son propre chef, un front de diversion pour soulager les assiégés de Gaza ; dix longs mois après, la République orpheline de président n’a toujours pas voix au chapitre, si ce n’est pour mendier la sollicitude de la communauté internationale et conseiller aux citoyens de s’en remettre aux vertus de la prière.
Au député Hamadé, on a très bien pu reprocher un ton jugé par trop alarmiste. On ne peut évidemment que lui souhaiter d’avoir tort dans ses sombres appréhensions et prévisions. Mais sans doute son coup de pied dans la fourmilière aura-t-il salutairement bousculé la bulle de résignation et de fatalisme où a dû trouver refuge une population entière laissée à l’abandon.
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*Appellations non contrôlées, éditorial du 7 août 2024.
Issa GORAIEB