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Culture - Musique

Quand la scène house apprend l’arabe, de Beyrouth vers l’Occident

Alliant tradition et modernité, les sonorités orientales se mêlent de plus en plus aux beats électroniques, pour le plus grand bonheur des enfants du Cèdre et de sa diaspora.

Quand la scène house apprend l’arabe, de Beyrouth vers l’Occident

Le DJ haïtien Francis Mercier lors de son concert à Beyrouth le 8 juillet 2023. Photo tirée du compte Instagram de Francis Mercier

« Oui, je viens au Liban ! » a écrit il y a deux jours sur son compte Instagram Francis Mercier, affirmant sa volonté de ne pas lâcher ses fans en dépit des tensions que vit le pays. Le DJ haïtien, un régulier de la nuit beyrouthine, est attendu comme un messie ce samedi 17 août à Faraya Mzaar, piste Wardé (Kfardebian). Connu pour ses astucieux mix de house et de mélodies orientales, comme ses pairs allemands de Keinemusik, il sillonne les scènes mondiales en y disséminant ses arrangements qui font danser même les âmes les plus immuables. Une sauce qui prend et à laquelle se servent de plus en plus de DJ, étrangers comme locaux.

Et pourtant, quand Oum Koulthoum et Feyrouz chantaient devant des centaines de milliers de téléspectateurs, les divas du monde arabe étaient sans doute à mille lieues d’imaginer que leurs refrains seraient repris dans les plus grandes boîtes de nuit de la planète, un demi-siècle plus tard.

Il est vrai, avec la génération Z, la musique arabe, jadis associée pour certains  à un certain sentiment de « honte », est devenue une tendance incontournable. Il y a à peine quelques années, la majorité de cette génération n’écoutait que de la musique « étrangère » française, anglaise ou même espagnole. C’était à la mode d’être « occidentalisé », de s’intéresser davantage à d’autres cultures qu’à la sienne, au point de parfois être embarrassé par la sienne, s’accordent à dire de nombreux observateurs. Il était tendance d’être « étranger » à sa propre terre, de se vanter de son exotisme.

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Aujourd’hui, on connaît un phénomène assez inédit lorsqu’il s’agit de l’arabisation de la scène musicale house non seulement au Liban, mais dans le monde entier. La génération Z, un verre à la main et un lever de soleil à l’horizon, se gargarise des remix à la sauce orientale que les DJ voyageurs concoctent de plus en plus. Pour le plus grand bonheur des fêtards de 17 à 27 ans (ou même parfois de 77 ans !).

La house se met à l’heure orientale

De l’entendre résonner lors des soirées à Ibiza, à Cannes ou sur les hauteurs de Kfardebian, jusqu’à la voir lancer des tendances sur la plateforme TikTok, la musique arabe atteint aujourd’hui un paroxysme qu’elle n’avait plus atteint depuis des années.

Si la tendance est à son apogée à l’heure actuelle, ses premiers balbutiements remontent au début des années 2000, avec des pionniers comme Saïd Mrad dans son remix en 2001 de Alf Laila wa Laila (composée par Baligh Hamdi), un son qui continue à électriser les foules, même si la version qui a survécu 20 ans est un peu différente.

Après Mrad, une série de DJ ont pris le train en marche. Des chansons comme el-Tannoura de Farès Karam ou encore le fameux beat oriental Shik Shak Shok de Hassan Abou el-Saoud n’ont pas échappé à la tendance : ils viennent d’être repris par deux frères français opérant sous le nom Kimotion. «On aime bien tout ce qui est oriental», affirment-ils à L’Orient-Le Jour, en précisant que ce sont surtout les sonorités qui se marient bien, selon eux, avec l’afro house, mélodiquement et même dans la rythmique. « On s’est donc tournés vers ça naturellement, et les gens adorent », précisent les DJ français.

Même son de cloche du côté du célèbre duo de DJ libanais ED’N’RAY : « Tout comme l’afro house qui a gagné en popularité en mélangeant les rythmes africains et les beats house, on voit de plus en plus l’intégration de sons, d’instruments et de voix du Moyen-Orient dans la house. Des artistes comme Francis Mercier, Mont Rouge & friends et Kimotion créent des remix orientaux qui cartonnent. » Voir des jeunes danser à 4h du matin sur Abdel Kader de Faudel, Khaled et Rachid Taha ou Allah Allah ya Baba de Saber al-Roubai est donc devenu chose courante.

Le collectif Keinemusik lors de son concert à Gizeh, sous les pyramides, avec Amr Diab en invité surprise sur les platines et en personne. Photo Keinmusic YouTube

Si les DJ étrangers aiment les sonorités orientales, ils avouent également une certaine préférence pour les scènes d’Égypte ou du Liban, et plus généralement des pays arabes. « C’est dans ces derniers qu’ils disent avoir la meilleure ambiance et le meilleur public, c’est eux qui font le plus, et aussi le mieux, la fête », affirme le Dr Nazir Bassit, dentiste et DJ libanais. Validant cette réponse, le DJ libanais Nicolas Merheb ajoute lors d’un échange avec L’OLJ : « Quiconque met les pieds au Moyen-Orient a tout simplement kiffé l’expérience au maximum. » Selon lui, ces fêtes aujourd’hui deviennent de mieux en mieux, voire même meilleures que celles en Europe et aux États-Unis.

D’ailleurs, avec une diaspora libanaise éparpillée partout sur la planète, plusieurs DJ font remarquer que lorsqu’ils mettent une musique arabe, n’importe où, la foule interagit le plus avec eux. Par nostalgie ? « Ça doit leur rappeler sans doute leurs racines alors qu’ils sont à des kilomètres », poursuit DJ Nazir, ayant lui-même joué à New York, Boston, Miami, Los Angeles et Paris. Il semble que, sur ce point-là, tous les DJ sont d’accord, car même ED’N’RAY affirme : « Où que l’on soit dans le monde, lorsqu’on joue une chanson orientale, le public réagit super bien et adore ça. Peut-être parce qu’ils sont fatigués d’entendre les mêmes sons depuis des années et trouvent ça rafraîchissant d’entendre quelque chose de nouveau. » Ils n’ont pas tort, même aux antipodes, lors des soirées et parmi les milliers de têtes étrangères, un cèdre est toujours repéré : le drapeau libanais est le premier à flotter fièrement parmi les foules, un drapeau qui finit souvent par être tenu par le DJ lui-même, quelle que soit sa nationalité.

Francis Mercier, DJ et producteur haïtien, devant le drapeau libanais, à Toulouse (France), le 4 février 2024. Photo Instagram tirée du compte Instagram de Francis Mercier

Dr Bassit revient aux prémices de la tendance : « C’est Keinemusik (un label allemand et groupe de producteurs et de DJ de renommée internationale) qui a introduit pour la première fois, il y a un an, le morceau arabe Nour el-Ein de Amr Diab dans l’industrie de la house, et c’était énorme. Après ça, tout le monde a suivi et la tendance s’est ainsi affirmée. » Et le DJ de poursuivre : «  Il y a 5 ans, la plupart des soirées mettaient de la musique commerciale, donc ceux qui voulaient écouter de la musique arabe ou anglaise devaient se rendre à des concerts spécialisés. De nos jours, l’afro house et la house music conquièrent et dominent le marché ; plus personne ne joue de la musique commerciale. Ainsi, ceux qui avaient l’habitude d’écouter de la musique arabe le font aujourd’hui à travers la house music. »

Tout le monde veut faire partie d’une tendance

Beyrouth sort des haut-parleurs et fait le tour du monde, car même les chansons de l’iconique Feyrouz se voient remixées. « C’est une tendance, et naturellement, tout le monde veut faire partie d’une tendance », indique ACNØR, DJ libanais qui a remixé la fameuse Li Beirut, son tout premier opus qui a fait le buzz sur SoundCloud (plateforme où les artistes peuvent publier des remix sans l’accord juridique du propriétaire de la chanson). Il poursuit : « Je l’ai fait pour le plaisir, j’adore la chanson originale, après tout, Feyrouz est notre reine. Vu que je l’ai fait au tout début du mouvement, je ne m’attendais pas à ce que ça devienne aussi important pour le peuple libanais, mais aussi pour plein de grands artistes à l’étranger qui l’ont reprise. J’en suis très reconnaissant. »

Alors que les DJ occidentaux puisent dans la culture arabe, les jeunes Libanais expatriés en raffolent. 

Peut-on dire alors que la génération Z traverse une vague de « désoccidentalisation » ? « La phase du fantasme de l’Occident est finie. Aujourd’hui, on fantasme sur notre culture, qu’elle soit respectée et qu’elle inspire les gens, plutôt que de donner l’impression qu’on veut être comme les Occidentaux », révèle Zeid Hamdan, producteur de musique libanais. Ainsi, avec un mélange de nostalgie ainsi que de conscience de la singularité de la culture arabe, présente nulle part ailleurs, les jeunes Arabes commencent enfin à se vanter d’être arabes, et ce sont aujourd’hui les Occidentaux qui nous écoutent, estime le musicien fondateur des groupes Soap Kills et Bedouin Burger.

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Du vinyle au remix : l’été 2023 danse aux rythmes du passé

Francis Mercier a écrit en légende en dessous d’une publication qu’il a épinglée sur Instagram : « Il n’y a que trois villes dans le monde où je me sens chez moi quand je ne suis pas à New York ou à Port-au-Prince, et Beyrouth en fait certainement partie ! Quand je joue ici, ça ne donne pas l’impression d’un spectacle, mais plutôt d’une réunion familiale. Tout le monde est si accueillant, positif et heureux ! J’ai hâte d’y retourner. »

Ce retour pourrait donc s’effectuer le samedi 17 août, si tout va bien. En attendant, avec le DJ libanais ED’N’RAY, il prépare un remix « sur l’un de nos sons orientaux préférés », confie-t-il en exclusivité à L’Orient-Le Jour.

Les remix à l’orientale, le public moyen-oriental en redemande, qu’il soit chez lui ou dans les pays de la diaspora. Mais cette tendance musicale serait selon plusieurs DJ déjà en déclin. « Les DJ en ont un peu abusé, remarque le Dr Bassit. Ça a été génial, mais je ne crois pas que ça va durer, car tous les sons se ressemblent. » « C’est devenu un peu “mainstream” et ça commence à manquer  d’originalité », renchérit ACNØR. 

Tendance à son apogée ou déjà en déclin ? 

La réponse sur les pistes de danse. Si tout va bien. 

« Oui, je viens au Liban ! » a écrit il y a deux jours sur son compte Instagram Francis Mercier, affirmant sa volonté de ne pas lâcher ses fans en dépit des tensions que vit le pays. Le DJ haïtien, un régulier de la nuit beyrouthine, est attendu comme un messie ce samedi 17 août à Faraya Mzaar, piste Wardé (Kfardebian). Connu pour ses astucieux mix de house et de mélodies orientales,...
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