En arrivant en Alsace-Lorraine, lieu de son exil, le roi de Pologne Stanislas Ier Leszczynski, deux fois roi de Pologne et arrière-grand-père de trois rois de France, Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, découvre une spécialité de la région appelée kougelhopf. Trouvant ce gâteau trop sec, il le trempe dans du vin de Malaga. Son chef pâtissier, Nicolas Stohrer, qui l’avait suivi dans son déplacement, trouve une solution au problème en lui préparant un sirop alcoolisé pour arroser ce gâteau. Stanislas Ier baptise cette version « Ali Baba », du nom de son héros favori des Contes des Mille et Une Nuits.
Le pâtissier inspiré rejoindra par la suite à Versailles la fille de l’ex-roi de Pologne, Maria Leszczynska, lorsqu’elle épouse en 1725 le roi de France Louis XV. Quelques années plus tard, plus précisément en 1730, Stohrer fonde sa pâtisserie à Paris, rue Montorgueil, et lui donne son nom. L’un de ses descendants, qui avait poursuivi l’affaire, avait eu, en 1835, l’idée d’utiliser du rhum pour arroser le gâteau devenu la spécialité de la famille. Plus tard, la recette a été affinée, le rhum, devenu l’alcool de prédilection à cette époque notamment auprès des classes aisées, est mélangé avec du sirop de sucre aromatisé.
En 1844, les frères Julien, également pâtissiers à Paris, s’inspirent du baba vendu par Rouget, une autre pâtisserie parisienne célèbre à l’époque, et de celui de Stohrer pour créer le savarin cuit dans un moule circulaire. Ce dessert est ensuite trempé dans un sirop de sucre, avec du kirsch, de l’absinthe et de l’eau de rose. Toujours en Europe, le baba au rhum devient un favori des Napolitains, qui le nomment babà, après que la ville eut été occupée par les Français au XIXe siècle. Ici, il se décline au rhum ou au limoncello (liqueur d’écorce de citron). Il se déguste seul ou accompagné de glace à la vanille.
Au bout des lèvres de Diderot
Par ailleurs, cette pâtisserie franco-polonaise n’a pas uniquement titillé les papilles des gourmets, mais aussi celles des penseurs. Et pas des moindres. Ainsi, toutes les références historiques du baba au rhum précisent que Diderot, le grand philosophe et encyclopédiste français des Lumières, l’a évoqué dans une lettre adressée en 1767 à son grand amour Sophie Volland, femme d’une grande culture. Et, bien sûr, les grandes toques françaises ont eu leur mot à dire sur cette pâtisserie qui a fait date dans leurs desserts et à laquelle ils ont tous mis la main à la pâte, faisant, de plus, entrer le mot « baba » dans la langue française.
Selon le site Saisons-vives, en 1806, le gastronome Grimod de La Reynière avait écrit dans son Almanach des gourmands à propos des raisins de Corinthe : « On en fait surtout beaucoup usage dans les babas, espèces de biscuit de Savoie au safran, que le roi de Pologne, Stanislas Ier, a fait connaître en France et dont les meilleurs se fabriquent à Paris, chez M. Rouget, pâtissier célèbre. »
En 1811, l’ouvrage Le Manuel de la cuisine, publié à Metz, indique à l’article « baba » qu’il s’agit d’un gâteau à l’allemande ou Kaisel-Koucke, une pâte levée, riche en beurre et en œufs, aromatisée d’un peu d’eau de fleur d’oranger, contenant des raisins de Corinthe et cuite dans un moule.
Pour Ducasse, « un chef-d’œuvre de bon goût »
Le grand cuisinier Marie-Antoine Carême en parle dans son livre Pâtissier royal sous le nom de « baba polonais ». Et tout le monde s’accorde à dire que c’est véritablement le roi Stanislas, beau-père de Louis XV, qui l’a fait connaître en France.
Aujourd’hui, le fin mot revient au grand prêtre des fourneaux français Alain Ducasse, qui y a apposé sa fabuleuse signature dans son restaurant Le Meurice. Dans ce lieu de grande renommée, le baba au rhum est servi avec tout un cérémonial, sur une table à part, accompagné de rhums millésimés des Caraïbes. Le chef étoilé propose ce dessert dans chacun des 34 restaurants qu’il possède à travers le monde. Néanmoins, rien ne vaut, dit-on, l’original baba du Meurice. De ce baba au rhum qui a fait histoire, Ducasse confie : « Pour un gourmand, le simple fait de prononcer ces mots “baba au rhum” évoque un avant-goût de ce qu’il peut y avoir de plus savoureux, moelleux et parfumé, gorgé de sirop et fondant à souhait, bref, un moment de plaisir parfait. À le voir ainsi lustré de son nappage à l’abricot, prêt à recevoir son ultime onction de rhum vieux, il m’apparaît comme un petit chef-d’œuvre de bon goût. »
Intéressant!
11 h 53, le 16 août 2024