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Au pied du cocotier

Tenu pour imminent, le duel irano-israélien ne met pas seulement en jeu deux colosses régionaux. Outre les nombreux protagonistes de deuxième rang, la première superpuissance mondiale campe déjà sur place, elle fait même étalage de ses muscles avec ses porte-avions et sous-marins nucléaires. Or il n’est pas dit que les autres prétendants au titre, la Chine et la Russie, feraient le dos rond si l’Amérique s’engouffrait dans la mêlée. Verrait-on dès lors le spectre d’une troisième guerre mondiale déserter l’Ukraine pour s’en venir étendre son ombre sur le Moyen-Orient ?


Hola, pas si vite ! Les deux duellistes affirment avec la même vigueur – mais peut-être pas la même sincérité – qu’ils ne cherchent pas à provoquer une guerre totale. Bon gré, mal gré pourtant, l’Iran ne peut faire autrement que répondre à l’assassinat, en plein centre de sa capitale, du chef du Hamas, Ismaïl Haniyé : il y va non seulement de sa souveraineté violée et de sa fierté nationale bafouée, mais aussi et surtout de sa crédibilité. Cela, les États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni le savent fort bien, même quand ils appellent conjointement les Iraniens à la retenue et que leur démarche est rejetée avec indignation. C’est plutôt à obtenir de l’Iran l’engagement d’une riposte mesurée, lui permettant de sauver la face sans pour autant mettre le feu aux poudres, que s’activent donc les pays occidentaux : le même effort de persuasion étant exercé sur Israël, lequel ne va pas manquer de riposter à la riposte, comme le commande l’implacable loi régissant toute spirale de violence. Ce que la prudence recommande en revanche aux protagonistes (et avec elle la diplomatie secrète, cela s’est déjà vu), c’est de s’entendre au préalable sur l’intensité de l’échange de coups…


Sous le regard anxieux des populations entières de la région, ce sont en somme deux forcenés qu’il va falloir aider à descendre du cocotier au haut duquel ils se sont juchés. Cela tient bien sûr du vœu pieux, mais reste du domaine du possible. Ce ne serait là toutefois qu’un premier pas de franchi dans cette infernale course contre la montre, puisque c’est au secours de la réunion de demain à Doha, consacrée au brasier de Gaza, qu’on devra aussitôt voler. Mais Benjamin Netanyahu est-il seulement en humeur, ou même en état, de se prêter au jeu ?


À vouloir jouer les prophètes tout en pataugeant dans une mare de sang, Bibi n’aura été pour Israël que l’homme des désastreuses premières. La guerre la plus longue depuis sa création, l’État hébreu n’a pas encore fini de la livrer contre une milice dans le mouchoir de poche de Gaza. Cette guerre de brutes s’avère aussi la plus ruineuse, notamment pour son image et pour son audience diplomatique. Mais c’est surtout au double plan de sa cohésion interne et de ses rapports avec les États-Unis qu’Israël, sous la houlette de Netanyahu, s’aventure en terra incognita. Jamais la proverbiale union sacrée n’a autant fait défaut, avec les incessantes manifestations de familles d’otages et les flagrants désaccords au sein de la hiérarchie politique. Désavoué à sa gauche par son ministre de la Défense, et à sa droite par les ultras qui menacent de saborder son gouvernement, Netanyahu est un homme aux abois, poursuivi par la justice, et qui croit n’avoir d’autre salut qu’une guerre qui perdure. Mieux encore, une guerre qui s’étend, qui happe même dans ses remous cet allié américain déjà réduit au rang de garde du corps d’un État qui en était venu à se prendre pour le Goliath de la région.


Le secrétaire d’État Antony Blinken sur la brèche, le négociateur Amos Hochstein à Tel-Aviv et ensuite à Beyrouth : Washington met visiblement les bouchées doubles pour assurer ce nécessaire lien de cause à effet entre une conflagration générale évitée au moindre prix et la négociation de Doha. C’est en définitive un explosif soufflé qui est actuellement mis au four : avant que d’être servi il est censé monter, gonfler sans se calciner, pour ne s’affaisser que sous la cuiller du consommateur. En attendant le hasardeux résultat, c’est son souffle que l’on retient.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Tenu pour imminent, le duel irano-israélien ne met pas seulement en jeu deux colosses régionaux. Outre les nombreux protagonistes de deuxième rang, la première superpuissance mondiale campe déjà sur place, elle fait même étalage de ses muscles avec ses porte-avions et sous-marins nucléaires. Or il n’est pas dit que les autres prétendants au titre, la Chine et la Russie, feraient le...