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Nos Lecteurs ont la Parole

Dans un univers parallèle

J’ai 10 ans. C’est un dimanche. À peine ai-je ouvert les paupières que je sens la levure chaude, et que le soleil palpite déjà à travers les fentes, frôlant mes yeux encore gonflés par le sommeil.

Maman doit être en train de cuisiner des crêpes sucrées ; elle en a déjà préparé une dizaine. C’est un dimanche pas comme les autres et je vis une enfance pleine d’insouciance, mais demain on me basculera dans le monde des grands, celui des fous de vie, des âmes vagabondes et des cœurs fracassés.

Je sors avec hâte de mon lit, présomptueuse, et j’aperçois maman en train d’ôter de la poêle à frire une crêpe en glissant dessus une grande couche de crème chocolatée (autrefois les calories ne comptaient pas). J’ensevelis les dernières miettes et j’en veux encore, mais je pleure suite au refus catégorique de ma mère penchée au-dessus de l’évier.

J’ignore comme toujours que, demain, je serai nostalgique d’aujourd’hui et qu’aujourd’hui, je suis nostalgique pour quelque chose qui n’existe pas encore. Je crois que tout sera mieux demain, mais, à chaque fois, tout s’avère avoir été mieux hier.

Car demain, sortir du lit, affronter l’humidité des matins avant de partir à la fac, m’engager dans l’embarras des relations humaines, travailler des heures pendant la journée pour rentrer chez moi et faire face à une centaine d’autres galères, dont celle de prendre soin de ma mère à qui désormais moi je dois préparer des crêpes… Toutes ces tâches seront les raisons pour lesquelles je rêve de retourner à ces dimanches, où je suppliais maman pour ingurgiter une crêpe en plus, un souci qui s’apparente à une graine de sésame face à l’immensité des problèmes du monde des grands : redevenir toute petite pour revivre dans le meilleur des mondes !

Me voilà abandonnée dans le monde d’adultes, comme un Petit Prince perdu dans le désert : je n’ai pas assez de goût pour les livres, je n’écris que rarement et je pense trop aux gens et d’ailleurs, je ne sais pas faire des crêpes, c’est un dur labeur.

Je suis l’ignorée, l’inconnue. Je pense, je me suis trop hâtée à mûrir mes pensées, alors qu’en réalité, l’âge léger comme un panier d’osier, dans ce monde où tout était possible, dont l’amour (le vrai) inclus, vaut mille fois l’âge de la raison et des douleurs, là où la beauté facilite les passages, et la raison ne sert en fait à rien. Peut-être que dans un univers parallèle, j’ai 10 ans et maman continue à me faire des crêpes les dimanches matin…

Haya AL-ZEIN

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

J’ai 10 ans. C’est un dimanche. À peine ai-je ouvert les paupières que je sens la levure chaude, et que le soleil palpite déjà à travers les fentes, frôlant mes yeux encore gonflés par le sommeil. Maman doit être en train de cuisiner des crêpes sucrées ; elle en a déjà préparé une dizaine. C’est un dimanche pas comme les autres et je vis une enfance pleine d’insouciance,...
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